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22/01/2014

La piste de Chajnantor, de Alain Keralenn

piste_de_chajnantor.jpgUne chronique de Jacques

Après la croisière d’ultime espérance, chroniqué par Cassiopée, Alain Keralenn nous propose un deuxième roman, la piste de Chajnantor, qui nous entraine lui aussi vers des horizons lointains, propres à faire rêver les amoureux de voyages et de dépaysement. Mais, comme nous le verrons, ce roman est loin de se réduire à ce seul aspect.

 Nous sommes au Chili, près de la frontière bolivienne, dans le désert de l’Atacama. La toile de fond du roman est somptueuse, puisqu’il s’agit du projet ALMA (Atacama Large Millimeter Array ou : vaste Réseau d’Antennes Sub-Millimétriques de l’Atacama) : un radiotélescope géant observant les ondes millimétriques, le plus puissant du monde actuellement. Pour obtenir les meilleures conditions d’observation, le site est situé sur le haut plateau de Chajnantor à environ 5 100 m d’altitude près de la ville de San Pedro de Atacama, et c’est là où va se dérouler l’essentiel de l’histoire. Une histoire construite autour de trois personnages à la forte personnalité, dont chacun représente (symboliquement) trois des grands blocs souvent antagonistes du monde contemporain : Chine, Europe et Pays émergents.

Le français Vincent Madec, responsable du projet ALMA, connait bien la Chine où il a travaillé. Il est considéré par certains comme le responsable d’un accident sur le chantier qu’il dirigeait en Chine et doit s’expliquer devant la justice : ce couperet menace de briser sa carrière.

Il reçoit une jeune  astrophysicienne chinoise, Wang Mei (qui choisit Julia comme nom « occidental »),  officiellement envoyée pour s’informer sur les possibilités et les modalités d’investissements de son pays dans le projet ALMA.

Fidel Quispe, le bras droit de Vincent, est le contremaitre des travaux. C’est un indien aymara, ancien mineur, syndicaliste et révolutionnaire. Il défend avec ferveur et talent la culture et l’âme de son peuple et se bat pour l’indépendance de celui-ci.

Autour du désert d’Atacama, zone frontalière entre la Bolivie, le Chili, à proximité de l’Argentine, le pays Aymara contient une importante réserve de Lithium, un métal rare indispensable aux batteries lithium-ion et, plus généralement, à l’informatique et la téléphonie. Alors que les réserves mondiales de Lithium sont estimées à 13 millions de tonnes, 58 % de ces réserves pourraient se trouver en Bolivie. De nombreuses puissances, comme la Chine, l’Europe ou les États-Unis, sont donc fortement intéressées par ce lieu, car la possibilité d’un soulèvement du peuple aymara peut rebattre les cartes et laisser espérer à certains de ces pays qu’ils auront alors, en cas de réussite de ce projet, la possibilité d’exploiter le lithium à leur profit.

Vincent Madec, dont l’intérêt personnel est de mener à bien le projet ALMA tout en se défendant auprès de la justice des accusations qui sont portées contre lui, va se trouver placé au cœur d’un rapport de force entre la Chine et l’Europe qui risque d’interférer avec son objectif professionnel.

Dans ce jeu, quel rôle joue précisément Julia, avec qui il va développer une relation amoureuse ? Et son ami Fidel, le remarquable meneur d’hommes du projet ALMA, n’est-il pas en réalité intéressé avant tout par la lutte que mènent les Indiens aymaras ? Et  cette lutte, n’est-elle pas soutenue en sous-main par des  États qui espèrent avoir ainsi accès au Lithium ?

Même s’il nous entraine de Hongkong à La Havane en passant par Buenos Aires et Paris,  loin de  rechercher de l’exotisme à tout prix, c’est plutôt à un passionnant cours de géopolitique que se livre Alain Keralenn dans ce roman, et il le fait avec un grand talent de pédagogue. Mais pour autant, le livre n’est pas austère : au contraire ! L’auteur a créé des personnages suffisamment complexes, riches  et ambigus pour que la combinaison de leur vie personnelle avec les objectifs que chacun d’eux cherche à atteindre soit passionnante pour le lecteur.

Le récit est remarquablement documenté, ce qui ajoute à son intérêt. Son rythme ne faiblit jamais et le suspense joue sur plusieurs tableaux : la réussite du projet ALMA  pour la date prévue (un projet qui  a été inauguré, dans la réalité, en mars 2013), la révolte des Indiens aymaras, la question de l’enjeu du Lithium, l’évolution de la relation entre Julia et Vincent...

La subtilité est un autre point fort du livre. Subtilité dans la description des rapports entre les personnages ; subtilité dans l’analyse des rapports de force entre États. Nous vérifions qu’il n’y a pas, dans ce domaine, de bons et de méchants : chacun défend ses intérêts stratégiques au mieux de ses capacités. La présence auprès de Vincent d’un ami diplomate permet à l’auteur de nous faire comprendre le dessous des cartes, les enjeux et les méthodes employées pour y parvenir, ce qui est très éclairant !

L’écriture est sobre, efficace, aussi bien dans les dialogues que les descriptions. Ainsi, celle qui nous montre l’arrivée par camion d’une partie du radiotélescope à Chajnantor :

« Il s’écarta pour laisser passer le transporteur.  Déterminé, implacable, l’engin avançait telle une scolopendre mécanique. Ses roues articulées vibraient en mouvements dissonants sur les inégalités de la piste. Seule la cargaison demeurait statique. Une cargaison venue de l’autre hémisphère, conçue avec méticulosité, entourée de soins. L’antenne, cœur palpitant de l’observatoire, allait être déposée sur le haut plateau de Chajnantor avec d’infinies précautions. En compagnie de ses sœurs jumelles, elle capterait les signaux infimes des profondeurs de l’espace. »

La piste de Chajnantor est un roman passionnant, dans lequel le lecteur a le sentiment de découvrir et de comprendre des éléments mal connus, ou même inconnus de lui. De ce point de vue, c’est une belle réussite !

Jacques, lectures et chroniques

 

La piste de Chajnantor
Alain Keralenn
Éditions Beaurepaire
262 pages ; 16 €

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