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03/06/2014

Le zoo de Mengele, de Gert Nygårdschaug

zoo,mengele,gert,Nygårdschaug,amazonie,forêtUne chronique de Jacques.

La forêt amazonienne, déforestation et terrorisme...

Poète et romancier, le norvégien Gert Nygårdschaug  a publié en 1989 le zoo de Mengele, qui est considéré comme le roman norvégien le plus populaire de tous les temps ; un roman vendu à 150 000 exemplaires dans un pays qui compte cinq millions d’habitants, ce qui correspondrait à environ deux millions d’exemplaires pour un pays comme la France...

 Le livre vient d’être publié pour la première fois hors de Norvège, grâce à une excellente initiative des éditions J’ai lu. Un quart de siècle après sa parution en Norvège, il était temps pour nous de découvrir ce remarquable romancier ! Politiquement engagé à gauche, soutenant le Red party, Gert Nygårdschaug  est de longue date un ardent défenseur de la forêt Amazonienne et il nous propose justement, avec le zoo de Mengele, un savoureux et intense roman de politique-fiction, qui fait exploser le politiquement correct avec des personnages  qui se battent pour la défense de cette forêt qui représente une si grande part de la biodiversité de la planète.

Mais, direz-vous, prendre la défense de la forêt primaire n’est-ce pas justement du politiquement correct à l’état pur ? Qui oserait approuver les exactions commises par les multinationales qui la détruisent, et détruisent avec elle ses habitants et tout l’écosystème ? De toute évidence : personne ! Ces grandes sociétés et les États qui en sont les complices ne justifient jamais leurs actes, car ceux-ci sont de toute façon injustifiables. Elles se contentent de pratiquer la destruction systématique de la forêt pour des raisons financières, ce qui à leurs yeux suffit à tout justifier, mais nul n’oserait soutenir que cette destruction est une chose normale ou de peu d’importance !

Ce n’est donc pas naturellement au niveau de ce constat que se situe le politiquement incorrect de l’auteur, mais plutôt sur le moyen que les personnages vont  utiliser : le terrorisme.

Certes, il s’agit de terrorisme ciblé (au moins partiellement) et non de terrorisme aveugle comme ceux du FLN ou de l’OAS pendant la guerre d’Algérie. Mais alors même que des hommes sont froidement et impitoyablement exécutés, l’auteur va réussir le tour de force de nous rendre ces terroristes sympathiques. Après nous avoir fait partager leurs motivations, il nous fera découvrir en quoi cette forme de lutte est non seulement légitime, mais va se révéler (dans le roman !) la seule efficace.

 Naturellement, ce livre est à l’opposé d’un manifeste politique, il s’agit bien d’un roman, et même d’un roman qui par certains de ses aspects tire vers le conte. La poésie de certaines pages, les personnages ayant des capacités hors du commun, le refus du réalisme, le souci d’entrainer le lecteur vers la poésie et le rêve, tout cela permet à l’auteur de tempérer un questionnement qui reste malgré tout central : le terrorisme est-il parfois justifiable, et si oui, dans quelles conditions ?

Celui qui va déstabiliser le monde, celui grâce à qui rien ne sera plus comme avant, est au début du roman un tout jeune enfant, Mino Aquiles Portoguesa. Il est le seul survivant d’un massacre qui a vu ses parents et la totalité des habitants de son village exécutés par les hommes de main d’une puissante société pétrolière américaine. Mino fait partie de l’écosystème de la forêt. Quand il se révolte, c’est tout l’écosystème qui se révolte avec lui, et l’auteur a sur ce sujet des pages magnifiques. Si l’utilisation du terrorisme comme moyen politique ne pose pas de problème éthique au personnage de Mino, c’est qu’il s’agit d’un problème qui dépasse largement les humains : il est celui de la planète entière, considérée comme un système global avec ses sols, ses océans, ses végétaux et ses animaux dont les humains ne sont qu’un simple sous-ensemble.

Mino, qui éprouve une passion pour les papillons et en a une connaissance approfondie, va choisir comme symbole de sa lutte le Morpho, un papillon des forêts tropicales d’un bleu iridescent, d’une grande beauté. Devenu adolescent, puis jeune adulte, il va avec ses trois amis Ildebranda, Jovina et Orlando former le groupe Mariposa dont l’objectif sera de mettre fin au pillage et au saccage de la forêt en exécutant tous les dirigeants des sociétés qui en sont responsables, et cela dans tous les pays de la planète. Les quatre amis vont se répartir le travail en traquant les décideurs et leurs complices dans tous les pays du monde, et ils seront eux-mêmes pourchassés par tous les services secrets occidentaux qui vont créer une cellule spéciale destinée à les débusquer, puis à les exécuter.

La description de l’évolution personnelle de Mino, du début jusqu’à la fin du livre, constitue une vraie prouesse d’écriture. Le petit garçon vivant dans la forêt tropicale et qui voit sa famille et ses amis exécutés par des armeros va devenir, au contact, de son ami Isidoro un magicien itinérant capable d’extraordinaires tours qui lui seront utiles dans son futur combat.

Les idées des quatre amis vont faire tache d’huile sur l’ensemble de la planète, et ils vont parvenir à isoler partiellement les gouvernements, la banque mondiale et les grandes sociétés qui pillent les richesses des peuples au détriment d’une partie toujours plus grande de la population :

« Sur le plan officiel, dans les déclarations des chefs d’État, des autorités policières et des gouvernements, de même que dans certains journaux, la condamnation de leurs actions était totale et sans ambiguïté. On considérait le groupe Mariposa comme une bande de fanatiques qui tuaient aveuglément des citoyens innocents en répandant peur et désespoir. À un niveau officieux, en revanche, parmi les gens ordinaires comme dans la communauté scientifique et étudiante, au sein des organisations gouvernementales et dans une partie de la presse (celle qui se fixait un autre but que de flatter le pouvoir), les actes de Mariposa recevaient un accueil positif, car ils attiraient l’attention sur les dysfonctionnements des gouvernements. Quelques journaux affichaient ouvertement leur sympathie pour le groupe, allant jusqu’à questionner le rôle des pays développés dans la déforestation de l’Amérique latine.

Et c’était là un fait résolument nouveau.

Aucune organisation terroriste n’avait auparavant réussi à créer un courant de sympathie pour sa cause en recourant à la violence. Mais le groupe Mariposa avait quelque chose d’inédit (...) ».

La force du livre tient également aux descriptions riches et détaillées de la forêt, l’opposition entre ce qu’elle était avant le passage des prédateurs, et à ce qu’elle devient après. Nous le découvrons à travers les yeux de Mino, qui nous fait ressentir pleinement le désastre annoncé, puis réalisé. Les toutes premières lignes nous mettent d’emblée dans l’ambiance : « La colline aux magnolias au sud-est du village s’illuminait d’un vert tendre dans la lumière rasante du couchant ; la douce brise humide, presque imperceptible, apportait le parfum légèrement amer du canforeira, le camphrier. Au milieu de toute cette verdure trônaient les jaracandas en pleine floraison, tels des phares bleu porcelaine qui attiraient tous les oiseaux – depuis les vautours, les zopilotes, les colibris, en passant par les toucans au bec si particulier.

Une nuée de Statiras, ces papillons citron, décollèrent de leur abri après la brève mais intense ondée de l’après-midi pour voleter en direction du village, attirés par les fortes senteurs du marché de fleurs et de légumes. La température torride faisait remonter de la jungle une sorte de brume ».

Le récit démarre lentement, il faut une soixantaine de pages à l’auteur pour installer le personnage de Mino enfant et nous montrer son environnement, son village, sa vie quotidienne. Cette première partie s’ancre délibérément dans le réalisme, puis tout s’accélère, le suspense est là, présent à chaque page, et affleurent avec lui l’onirisme et la poésie.

La fin du roman, brutale, laisse un point d’interrogation ; une suite est prévue, sans doute sera-t-elle publiée en France si ce premier volume rencontre des lecteurs.

J’espère vraiment que ce sera le cas !

 Jacques (blog : lectures et chroniques)

Le zoo de Mengele
Gert Nygårdschaug Traduit du norvégien par Hélène Hervieu et Magny Telness-Tan
Éditions J’ai lu (4 juin 2014)
320 pages ; 19,90 €

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