26/08/2014
Entretien avec John C. Patrick
A la suite de la chronique de Cassiopée sur Moïra, le roman de John C. Patrick récemment sorti aux éditions Kyklos, voici l'entretien que l'auteur a accordé au collectif Un-polar.
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Cassiopée. Moïra est un livre qui a connu une période où vous l’aviez abandonné. Acceptez-vous de dire pourquoi vous l’aviez laissé de côté et pourquoi vous l’avez finalement terminé ?
John C. Patrick. J’ai effectivement commencé le roman Moïra au début du nouveau siècle et je l’ai abandonné pour deux raisons. La première, sur laquelle je ne vais pas m’appesantir, concerne ma vie personnelle qui traversait alors une période de turbulences. La seconde relève de la difficulté à trouver un éditeur pour « le crépuscule des hyènes ». Ces deux raisons expliquent les années de jachère littéraire ; je me suis concentré sur mon travail d’enseignement et la lecture tous azimuts.
C. Moïra est un livre remarquablement documenté. Je crois savoir que vous êtes professeur d’histoire. Est-ce que cela a suffi pour connaître tous les faits évoqués ? Je ne sais pas. Alors pouvez-vous expliquer comment s’est organisé votre travail de recherches, puis le classement de votre documentation avant de passer à l’écriture ? De plus, pourquoi avoir décidé de ressortir des faits peu connus du grand public ?
J.C.P. Tous mes romans s’inscrivent dans un contexte historique très précis. C’est un choix qui s’est imposé à moi lors de la lecture de « Chacal » de Forsyth. Je me suis rendu compte que je pouvais ainsi conjuguer deux centres d’intérêt : l’Histoire et le roman, mélange de « polar » et « espionnage ». D’autres lectures, que j’évoquerai plus loin, m’ont ancré dans ce choix.
En général je dresse une liste d’ouvrages concernant la période et les thèmes que je veux évoquer. Je lis une première fois, la plupart du temps en prenant des notes (ce qui ne me dispense pas d’une seconde lecture). Quand je commence l’écriture du roman, il arrive que je sois obligé de faire des lectures complémentaires, car j’essaie avant tout à être proche de la réalité. Je n’opère pas de classement particulier, je navigue dans la masse de références documentaires qui m’habitent.
Pourquoi « ressortir des faits peu connus du grand public » ? Depuis longtemps (je l’ai déjà dit dans une interview et je vais l’expliciter) je pense qu’il existe deux Histoires. L’une, celle des journaux et des livres d’Histoire et l’autre, souvent sulfureuse, toujours confidentielle, connue de quelques initiés qui en sont sont souvent les manipulateurs et les véritables acteurs. J’aime toujours citer cette phrase de Marcel Chalet qui fut directeur de la DST : « Il m’est arrivé de rêver à ce qu’il resterait de la version officielle d’un certain nombre d’évènements vécus au cours des cinquante dernières années si on y intégrait les produits de quelques opérations de contre-espionnage et les réflexions auxquelles elles ont conduit. »
La guerre d’Algérie fut fertile en « coups tordus », guerre de l’ombre inexpiable, dans laquelle les services secrets ont joué un rôle majeur. Aujourd’hui nous pouvons appréhender une partie de la vérité grâce à de nombreux témoignages d’acteurs de cette période, d’ouvrages divers, en sachant que des pans restent (et resteront ?) dans l’ombre. Je navigue dans cet océan et mon imagination comble des lacunes. Parfois la lecture d’un ouvrage me sidère, car le produit de mon imaginaire cerne de très près la réalité. Il est vrai que les racines profondes de mon envie d’écrire restent profondes et plutôt mystérieuses. J’aime toutes les formes de littérature et je ne fais pas de subtiles distinctions entre une « grande » et toutes les autres. Le « polar » fait partie pour moi de la littérature populaire au sens noble, celui des grands auteurs du XIXe. J’attache une grande importance à l’imagination et j’ai toujours déploré que le système scolaire ne lui accorde pas une place majeure. La littérature « policière » est un moyen d’aborder certaines questions sociales, politiques et l’Histoire, même romancée, est un moyen pour comprendre notre époque. Je pense aussi que l’écriture est certainement pour moi une catharsis, mais je ne tiens pas à faire de la psychanalyse de bas étage et je suis attaché à la préservation de mon moi profond. Je n’aime pas notre époque avec cette manie de la transparence ; je revendique haut et fort ma part d’ombre, de flou, d’ambiguïté. Dans ce domaine de l’écriture, il est bon que subsiste une part de mystère !
C. Dans « Le crépuscule des hyènes » vous étiez également dans un « domaine historique », pensez vous que ce votre métier de professeur d’histoire vous permet d’être plus à l’aise avec ce genre d’ouvrages ?
J.C.P. Je crois que ma formation de professeur d’Histoire m’a permis d’être effectivement plus à l’aise dans l’écriture de ce type de romans. Il y a néanmoins un danger qui me guette : celui d’être trop didactique. J’essaie de ne pas sombrer dans ce travers et seul le lecteur peut dire si j’y parviens.
C. Avez-vous des rituels d’écriture, des périodes où les mots viennent plus facilement sous vos doigts ? À quel rythme écrivez-vous ? Que représente l’écriture pour vous ?
J.C.P. Le seul rituel d’écriture que je me connaisse est celui du support : j’écris « à l’ancienne », au crayon et à la gomme. Je ne suis pas capable d’écrire à l’ordinateur. Aujourd’hui j’écris à plein temps, contrairement à une époque où j’écrivais pendant les vacances scolaires. Quand je commence un roman, j’écris à plein temps à partir de l’automne (déformation datant de l’époque où j’enseignais ?), tous les jours. Le rythme est variable, certains jours sont fastes, d’autres plus laborieux. Je traverse des périodes de « vide », de doute, difficiles à vivre parfois. J’ai aussi beaucoup de mal à m’extraire du monde que j’ai créé, les personnages me hantent et cela peut être un écueil avec mes proches dans la vie quotidienne.
C. Est-ce qu’il arrive que vos personnages vous entrainent là où vous ne vouliez pas aller ?
J.C.P. Il arrive que les personnages m’entrainent dans des voies que je n’avais pas appréhendées au départ. En règle générale ces chemins détournés s’avèrent des pistes fructueuses et je m’aventure dans l’inconnu avec délectation.
C.Avez-vous des auteurs que vous appréciez beaucoup ? Vous inspirez-vous de certains d’entre eux ?
J.C.P. Dans le domaine strict du roman « policier », « espionnage », j’ai bien sûr des auteurs de prédilection. Je lis très peu les auteurs français, sauf Léo Malet dont j’ai lu toute l’œuvre et Jean — François Parot. Tous mes auteurs préférés appartiennent au domaine anglo-saxon : Fortsyth qui fut le révélateur, Ellroy (la trilogie flamboyante sur les années Kennedy-Nixon reste pour moi une référence), Robert Littell, un de mes auteurs préférés de romans d’espionnage (« La compagnie » est un modèle du genre), James Grady (admirable « Le fleuve des ténèbres »), Connelly, Dennis Lehane, Hillerman, Don Winslow (il faut lire le chef-d’œuvre absolu : « La griffe du chien »). Actuellement je lis toute l’œuvre de James Lee Burke, le Faulkner de la Louisiane (son héros Dave Robicheaux a détrôné dans mon panthéon personnel les héros de Chandler, Hammet et Connelly et je pense que le choix de Tavernier, Tommy Lee Jones, pour interpréter le personnage dans le film « dans la brume électrique avec les soldats confédérés » fut un trait de génie). Voilà quelques pistes. > Nous subissons tous des influences littéraires, ainsi que celles du cinéma et aujourd'hui des "séries" télévisées. Mais je ne m'inspire pas de mes lectures ( j'essaie ! ). Mon choix personnel, outre les thèmes, des auteurs anglo-saxons, me délivre des imitations car j'évolue dans un univers qui est le nôtre, celui de la France des années 60, aux antipodes des Etats- Unis. Seuls les lecteurs peuvent dire s'ils perçoivent une influence plus ou moins diffuse dans mes romans.
C. Un autre livre en route ? Vous nous en dites quelques mots ?
J.C.P. Oui, un autre roman est déposé chez Kyklos. Au départ je ne savais pas que les personnages de Moïra allaient vouloir vivre leur vie et réclamer une suite ! J’ai alors pensé à une trilogie qui couvrirait la période de notre Histoire des années 54-74 (de la fin de la quatrième République à la fin du « quinquennat » de Pompidou). Aujourd’hui je m’aperçois qu’il pourrait s’agir d’une quadrilogie ! Dans Moïra la période évoquée est assez longue : 54-62. J’ai choisi de privilégier des moments paroxystiques dans la vie de mes personnages ; j’aurais pu développer et faire une trilogie sur la guerre d’Algérie ! Dans le second volet, la chronologie se restreint : 62-67. La suite que je vais commencer couvrira la période 68-69.
Je ne tiens pas à déflorer le sujet, mais je peux dire néanmoins que le fil conducteur est bien résumé dans le titre d’un livre de Thierry Wolton : « Les écuries de la Vème ».
C.Vous écrivez sous un pseudo, pourquoi ?
J.C.P. La question du pseudonyme. Au départ j’ai écrit sous mon véritable patronyme : Jean-Claude Patrigeon. J’ai voulu changer. Mon nom est, paraît-il, d’origine anglo-saxonne : Patrick John. J’ai adopté un nom avec les mêmes initiales J C P.
10:30 Publié dans 07. Les plus récents entretiens avec des auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretien, john c patrick, moïra | Facebook | |
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