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14/07/2014

Entretien avec Arlette Aguillon

 

entretien,arlette aguillonQuand Arlette Aguillon, l'auteur de l'irrésistible L'assassin est à la plage a accepté de répondre à quelques questions, je n'imaginais pas que ses réponses seraient à ce point décoiffantes.

Pour pas mal d'auteurs en effet, l'entretien est un pensum auquel il est difficile d'échapper, qui fait partie du métier mais qui n'est pas forcément une partie de plaisir.   Il est rare de rencontrer un écrivain qui joue le jeu de cet exercice imposé avec autant de spontanéité, de sincérité et de brio que le fait ici Arlette Aguillon.   Qu'elle en soit ici remerciée !

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J. Ce n’est qu’après avoir lu « l’assassin est à la plage » que j’ai découvert votre autobiographie sur votre site. Dans les deux cas, j’y ai trouvé le même humour ravageur et la même verve caustique qui semblent bien être votre marque de fabrique. Cet optimisme réconfortant, cette vitalité qui se dégage de vos écrits Est-ce votre état naturel ? Diriez-vous, comme G.B. Shaw, que « la vie est trop courte pour être prise au sérieux » ?

 Arlette Aguillon. Parler de soi sur commande  est un exercice à la fois agréable et dérangeant. Agréable parce qu’on se sent tout à coup un personnage intéressant dont l’opinion importe (au moins à quelques uns), dérangeant parce que fatalement, on va se poser la grande question : « Qui suis-je ? »  Accepter d’y répondre avec sérieux c’est courir le risque d’être  ridicule. Tourner autour du pot en ironisant, c’est botter en touche. Et si on la posait plutôt aux autres ?

Audit réalisé sur un panel de 100 personnes :

 80% : « Arlette ? Elle a un caractère en or : elle rit tout le temps ! »

15% : « C’est même parfois un peu agaçant... »

5% : « C’est franchement insupportable ! »  

Oui, les gens gais peuvent être pénibles. Mais ils n’y peuvent rien. C’est, je crois, une question de gènes. Dans ma famille, nous sommes tous plus ou moins musiciens, peintres, poètes et… farceurs. Qu’on lui annonce un heureux événement ou une catastrophe, ma grand’mère répondait immanquablement : « A la bonne heure ! ». Mon père a réussi à tirer sa révérence un 1er avril.  Pourtant, la vie n’est pas particulièrement indulgente avec nous. Si je voulais, je pourrais, en racontant notre saga sur un ton mélodramatique, tirer au lecteur des larmes grosses comme des olives.  Car au fond, si on réfléchit un peu, il n’y a pas vraiment de quoi rire : on ne sait pas d’où l’on vient… on ne sait pas où l’on va… Bonjour l’angoisse ! Mais entre ces deux trous noirs, quelle aventure ! Et si courte. Une étincelle sur du papier brûlé. Tout peut arriver à tout moment. Tenez ! Par exemple, voici deux mois. En me badigeonnant ( joyeusement) de crème à bronzer, je sens… la fameuse petite boule. Trois jours plus tard, le verdict tombe : cancer. (Ben oui, nous avons des cancers nous aussi, comme tout le monde !) « Mon Dieu » ! (Même si on n’y croit guère, on dit toujours « Mon Dieu ! » dans ces cas là.)

Et d’un coup tout bascule, comme disent les auteurs qui ne se compliquent pas trop la vie avec le style. Jusque là, malgré mon âge canonique (au sens étymologique du terme) j’étais encore une belle femme. Avec des cheveux abondants et des seins intrépides qui avaient brillamment allaité deux beaux garçons. Enfin… une femme qui recevait encore de temps en temps, des propositions indécentes.  Là, je comprends qu’il va falloir en rabattre. (Les cheveux et les seins sont un bon produit d’appel). Eh oui… au début, on ne pense qu’à « ça » ! Et puis, on découvre autre chose. Des proches sur lesquels on comptait qui se dérobent avec brio… et d’autres auxquels on ne croyait guère qui se révèlent magnifiques ! Tiens ? Les cartes sont redistribuées ? C’est une nouvelle partie ? Et si on la jouait ? Avec un peu de chance… La chance, c’est peut-être d’avoir pour voisin un ancien coiffeur de Djibril Cissé. Il accepte de me faire une coupe décoiffante. Je propose une crête. Il me dit « Non, c’est trop, je vais vous faire un truc classe : bicolore avec des vagues sculptées sur la nuque. » On rit beaucoup dans le salon de coiffure pendant l’opération.  Verdict de ma joyeuse famille : « Génial ton nouveau look ! » Et les passants dans la rue : « C’est quoi ça ? Un homo ? Un trans ? Une lesbienne chic ? Un chanteur de rock anglais ? » Non. C’est une ex vieille belle qui a pris le vent.  Le 3eme millénaire est voué à l’androgynie. Et si en fin de course ses seins ne sont plus tout à fait ce qu’ils étaient, elle se lancera dans le « body art » . Elle a un peu mal ici, un peu mal là, (surtout mal au cœur) mais c’est l’été.  Pour les trois prochains mois.

 Voilà. Le monde est tantôt merveilleux, tantôt abominable, souvent absurde, jamais décevant. Tenter d’y tenir sa modeste place sans rechigner me paraît une bonne philosophie. Dire que je suis optimiste ? J’ai fait des enfants, j’écris des livres et je plante des arbres, ce qui constitue, à des degrés divers, une forme de pari sur l’avenir. Je pense que je serais plutôt une pessimiste gaie et entreprenante. Je pousse obstinément ma pierre qui finira un jour ou l’autre par retomber. Comme toutes les pierres. « Il faut imaginer Sisyphe heureux » écrivait Camus.

Vous avez écrit plusieurs romans historiques qui vous ont permis d’avoir un lectorat fidèle, attentif à vos nouveautés. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’écrire ce premier polar, qui est une vraie réussite ? Allez-vous poursuivre l’expérience ?

A.A. En fait, tous mes romans, aussi bien ceux dit « de terroir » qu’historiques, sont construits autour d’une intrigue policière. J’ai même commis un authentique roman d’espionnage « La Dérive ». Qu’il s’agisse de démasquer un empoisonneur, de découvrir l’identité d’un squelette, de suivre à la trace le manuscrit des « 120 journées de Sodome », ou d’arrêter le tueur des ronds-points, le mécanisme reste le même : le coupable est perdu dans une foule de personnages qui s’agitent dans tous les sens, les indices sont noyés dans un fourmillement de détails.  Au lecteur de mener sa propre enquête dans cette apparente pagaille. Au fond, même s’ils ont l’air très différents les uns des autres par l’époque évoquée, la langue utilisée et l’intrigue annoncée,  techniquement mes livres se ressemblent. J’adore construire ce faux désordre, monter brin à brin une botte de foin fourrée d’une épingle, ménager des surprises, des voies sans issue, des culs de sac, organiser  un jeu  de piste qui va conduire à la solution, souvent à double détente et ouverte.  Je n’aime pas conclure. Encore moins tuer mes personnages. Il y a beaucoup de morts dans mes livres, mais ils sont soit anonymes soit très antipathiques. Je ne veux pas faire de la peine au lecteur. Je suis une gentille.

Comment construisez-vous vos personnages ? Jasmine, par exemple, est-elle un composé de plusieurs ados que vous avez rencontrées ?

assassin_a_la_plage.jpgA.A. Dans « L’assassin est à la plage » il y a presque une centaine de personnages. Certains, (souvent les plus extravagants), sont simplement « copié-collé ». Ainsi, grand’mère Léo, snob à vouvoyer son chien, ou Damien, le skipper approximatif qui manque la Corse (histoire authentique). D’autres sont composites, bricolés selon la technique utilisée par le docteur Frankenstein. Par exemple Madeleine est une synthèse d’Edmonde Charles-Roux, Liliane Bettencourt et Jane Fonda. Stéphanie est un patchwork de plusieurs collègues enseignantes. Maxime doit beaucoup, et jusqu’à son prénom, à un adorable petit élève que j’ai eu il y a une vingtaine d’années.  Jasmine a le langage châtié d’une jeune voisine, le délicieux physique de l’une de mes petites filles et le caractère intrépide de l’autre (jusqu’à sa passion pour la photographie).

En fait, les personnages prennent corps au cours des premières pages. Lorsqu’ils sont cohérents, ils s’animent et on n’a plus qu’à les laisser agir et s’exprimer. Ils ont acquis leur autonomie. Au point, quelquefois, qu’ils refusent d’exécuter ce qu’on leur demande ou même vous échappent totalement. J’ai connu cette mésaventure avec le Vicomte dans « Vincent gentilhomme galant ». Présent à titre quasi anecdotique dans le premier volume, il menaçait de supplanter le héros dans le deuxième. Par mesure de rétorsion je l’ai évincé des deux tomes suivants. Il a réussi à revenir dans le cinquième ! J’ai l’air de plaisanter, mais pas du tout. C’était un véritable combat. Rien de tel avec Maxime. J’ai vécu très agréablement en sa compagnie, et j’aimerais bien faire encore un bout de chemin avec lui. J’ai d’ailleurs ménagé quelques possibilités de prolongations. Si le Vicomte, ne revient pas s’imposer. Ou alors un nouvel  enfant tombé du ciel ? J’ai tenté d’approcher ce phénomène étrange que constitue la naissance d’un personnage de roman, dans le passage où Madeleine est littéralement percutée par Vladimir Dimitrievitch Levchenko. C’est un processus très mystérieux…  

 Dans ce roman, Maxime et Madeleine ont une différence d’âge de cinquante-cinq ans et entre eux vous parvenez à rendre crédibles des sentiments amoureux réciproques qui sont plutôt rares dans la réalité. Comment vous est venue cette idée ? Avez-vous pensé aux personnages de Harold et Maud de la pièce de Higgins ?

 A.A. Au départ, il y a une anecdote. Un ami m’a raconté avoir un jour, sous la pluie, changé une roue au véhicule d’une vieille dame très fortunée (et très connue). Le dépannage terminé, cette dame lui a glissé sa carte en l’invitant très amicalement à lui rendre visite. Et… il ne l’a pas fait. « Qu’aurait-il pu se passer s’il l’avait fait ? » On laisse parfois passer des chances. Ou on évite des écueils. L’idée me trottait dans la tête depuis un certain nombre d’années. Je sentais que je pouvais en faire quelque chose, mais je ne savais ni par quel bout la prendre, ni sur quel ton la traiter. Jusqu’à ce que cette dame soit mêlée à une affaire qui a fait couler beaucoup de salive et d’encre. C’est à ce moment que l’histoire est devenue un roman policier (sans aucun rapport d’ailleurs, avec l’affaire citée plus haut !)

Bien sûr, en cours de rédaction j’ai un peu pensé à Harold et Maud, mais beaucoup plus à La vieille qui marchait dans la mer. Je suis une admiratrice passionnée de Frédéric Dard. Au point de lui avoir octroyé un fauteuil d’Académicien à titre posthume, (celui qu’occupe Madeleine.)  Même si elle s’en démarque par bien des aspects, notamment le langage très classique, Madeleine ressemble d’avantage à Lady M. qu’à Maud. De la truculente aventurière, je lui ai transmis la canne, l’arthrose et… les désirs inavouables (un clin d’œil à Frédéric Dard.)  Alors que Maud est une délicieuse vieille fée Clochette, Madeleine est une femme de pouvoir, une dominatrice. Comme Lady M., elle peut se montrer dure, cassante, autoritaire. Ce caractère impérieux est l’un des éléments de la fascination qu’elle exerce sur Maxime. A plusieurs reprises, il pense : « C’est une reine ! », ce qui le renvoie à Aliénor d’Aquitaine, un joli souvenir d’enfance. Enfin, en marge de cette dévotion qu’il assimile  à « l’amour courtois », Maxime a une vie sexuelle plutôt active, ce qui n’est pas le cas d’Harold si mes souvenirs sont bons. Malgré leur différence d’âge, j’ai mis en présence une homme et une femme de chair et de désirs, pas une bonne fée et un enfant capricieux. 

 Rendre cette relation crédible, était-ce un défi que vous vous étiez lancé avant de commencer l’écriture du roman ?

A.A. Les histoires d’amour entre un vieux monsieur et une jeune femme foisonnent dans la littérature, au théâtre et au cinéma. Et aussi d’ailleurs dans la vie. Les couples qui ont 30, voire 40 ans d’écart ne manquent pas. Le thème est classique, traité sur tous les tons, de la tragédie à la comédie loufoque. Il ne choque personne. En inversant les sexes on entre en zone rouge. On touche un tabou. Si on admet volontiers que les vieux messieurs ont encore une libido, les vieilles dames devraient être asexuées comme les anges. Aux papies les tendrons, aux mamies les confitures et la promotion des yaourts. Il n’y a pas si longtemps, on pensait que les femmes n’avaient pas d’âme. En fait, sont-elles si différentes des hommes ? Une femme mûre et même plus que mûre ne peut-elle être troublée sensuellement par un jeune homme ? Pour moi, cela ne fait aucun doute. De son côté, un  jeune homme peut-il être séduit par une femme en âge d’être sa grand’mère ?Voilà qui est plus problématique. La question du sexe se pose. Un garçon de 25 ans qui désire une octogénaire, est soit pervers soit très myope. Ou alors, c’est un gigolo. Car si on soupçonne la jeune femme assortie à un barbon de n’être pas insensible à l’aspect financier de la relation, quand il s’agit d’un jeune homme, on ne soupçonne pas, on accuse !  Rien ne sert de crier à l’injustice et de défiler derrière une banderole pour revendiquer une impossible égalité.  Il faut simplement rendre crédible, ce qui, à priori, est inadmissible : la part du sexe dans une relation de ce type. J’espère m’en être tirée honnêtement sans tomber dans le glauque ou le ridicule mais sans l’éluder non plus. On notera que jamais Madeleine n’est coquette avec Maxime. Elle est la première convaincue que rien n’est possible entre eux.  

 Avez-vous l’habitude de préparer un plan détaillé de vos romans, jusqu’au découpage en chapitres, avant de commencer l’écriture ? Ou bien laissez-vous une part à l’improvisation ?

A.A. Je suis totalement incapable de faire un plan (dans aucun domaine). J’ai une idée qui parfois s’étiole et parfois s’étoffe. Les entrées en matière et les conclusions foisonnent. J’écris alors sans trop me casser la tête, une première et une dernière page. Et là, c’est parti ! Entre ces deux points fixes, je me promène au hasard. J’ai des sortes de flashes. Presque des hallucinations. Des scènes isolées. Souvent elles ne sont pas dans l’ordre chronologique. Des personnages se présentent au moment le plus inattendu. Les dialogues sont déjà bouclés. Je ne suis que la main qui écrit. Sur n’importe quoi. Des carnets, une enveloppe, le dos d’une publicité ou d’un chéquier, parfois, en tout petits caractères, sur un ticket de caisse. Ensuite il y a un énorme travail de montage. Je bouche les trous, j’ajuste, je ponce, je lisse. Sur ordinateur cette fois. Quand c’est terminé, je change en général le début. Et puis la fin. J’écris environ 600 pages pour en retenir 400.  Par exemple, je crois que je devrais effacer ce que je viens d’écrire, parce que ça ne fait pas du tout sérieux. Mais c’est la vérité. Ce désordre est mon ordre et je m’y retrouve très bien. Mes manuscrits ont l’air de poubelles renversées. Je les fourre en vrac dans des boîtes IKEA. Mais je peux à tout moment retrouver tel passage, parce que je me rappelle l’avoir écrit en vert, au dos du certificat de ramonage.   J’ai essayé de travailler de façon plus classique, mais la feuille 21x29,7 me stérilise. Je la couvre de damiers ou de petits cubes, et puis je sors prendre l’air. Et là, tout d’un coup une réplique me foudroie ! Et puis une autre ! Une autre encore ! Zut, je n’ai rien sous la main ! Mais si… un constat à l’amiable de la MAIF !    

 Vous écrivez dans votre autobiographie : « Écrire est un métier de solitaire, mais aussi de roi. On tient fermement les rênes, on va où on veut ». Mais quand on écrit en sachant qu’on va être lu, le lecteur est là, toujours présent. Quel est votre rapport avec ce lecteur – connu ou inconnu – pendant le temps de l’écriture ? Pensez-vous à lui, ou bien est-ce le plaisir d’écrire et d’imaginer qui l’emporte, et vous emporte ?

A.A. Giono, qui avait quelquefois des accrochages avec Pagnol au sujet des adaptations cinématographiques de ses romans, comparait à son détriment le cinéma à la littérature : « Rien qu’avec ma plume, j’ai à ma disposition la Grande Armée. » C’est ce que j’ai voulu dire par « un métier de roi ».  Même si je le fais avec moins de talent, moi aussi, avec un simple Bic, je peux manœuvrer la Grande Armée et je l’ai fait. Dans « L’Abeille et le scarabée » j’ai pris un plaisir immense (et pas très féminin ) à reconstituer la bataille navale d’Aboukir, à tirer au canon, à brûler des vaisseaux. Quand j’écris le premier jet de ces passages héroïques, je parle seule, je m’exclame, je ris, j’ai l’air d’une vraie folle. Je me sens comme irradiée. Ensuite, vient le temps de la finition, et c’est là qu’intervient le lecteur. Parfois, il s’agit d’un lecteur bien précis qui m’a dit un mot judicieux lors d’une signature. Ou qui a écrit une lettre charmante. Ou encore expédié un mail critique, mais pertinent. Je me dis : « Non… il (ou elle) ne va pas aimer ça. C’est complaisant… ou trop long… ou trop violent… ou trop érotique… » Alors je polis. Pour lui ou pour elle.  Je pense particulièrement à Simone, une vieille dame adorable (92 ans) qui m’a écrit une longue lettre pour me dire qu’elle avait adoré « La maîtresse du moulin », mais que « Lenaif_libertin.jpg naïf libertin » c’était «  bien, mais quand même trop… dissipé ! » Eh bien voilà, Simone ! J’ai écrit « L’assassin est à la plage » en pensant à vous. Il n’est pas trop dissipé. Mais je vous connais ! Vous allez dire qu’il y a encore beaucoup trop de gros mots !

Oui, bien sûr, je pense au lecteur ! Il m’arrive souvent, comme je viens de le faire, de m’adresser directement à lui pour l’aider à ingérer certains mets indigestes ou un peu épicés. Frédéric Dard le faisait sans arrêt dans ses San Antonio, et bien avant lui les auteurs du 18eme, particulièrement les Anglais, parmi lesquels Fielding qui m’enchante. Ceci dit, il y a une façon d’aguicher le lecteur, de vouloir plaire à tout prix, qui fleure le trottoir et ne me plait pas beaucoup. C’est peut-être ainsi que certains auteurs parviennent à conquérir un vaste lectorat ? Mes lecteurs ne sont pas très nombreux, mais je les aime bien. Je les bouscule parfois, mais je les respecte. Nous avons une relation franche. Quand à mes livres, s’ils ne font pas des best-sellers, ils suivent leur petit bonhomme de chemin. Comme chantait Brassens : « Si le public en veut, je les sors dare-dare, s’il n’en veut pas je les remets dans ma guitare… »

 Êtes-vous une lectrice – même irrégulière – de polars, si oui quels sont vos auteurs préférés ? Qu’appréciez-vous dans les polars que vous ne trouvez pas forcément ailleurs ?

A.A. Je crains de n’être pas une spécialiste du roman policier. Mais comme je suis une lectrice compulsive, toujours en panne d’imprimé, j’en ai forcément lu un certain nombre. Les classiques un peu vieillots : Arsène Lupin, Rouletabille, Chéri-Bibi, Hercule Poirot, Miss Marple, James Bond, etc. Mais j’ai un grand souvenir.  Je devais avoir 14 ou 15 ans. A cette époque, j’avais un oncle qui lui, était un véritable amateur de polars.  Il me prêtait, après les avoir lus, ses bouquins préférés. A charge pour moi de les lui rendre (en général le lendemain) pour qu’il puisse les prêter à d’autres mordus. C’était un  cercle de mecs, de burnés, de tatoués (Tonton avait fait l’Indochine dans les paras !) Je lisais en voltige les mauvaises éditions brochées, fatiguées, aux pages cornées, au titre craché en travers sur des pin-up vulgaires et des machos craignos armés de Beretta et autres 6-35. Coplan… OSS 117... Mon père qui ne jurait que par les auteurs américains, promenait sur cette littérature un regard amusé. Mais il n’aurait jamais exercé de censure : « Après tout… si ça te plait… » D’ailleurs je lui piquais aussi ses bouquins à lui, Faulkner, Steinbeck, Caldwell, Fitzgerald, Hemingway…  Mais voilà qu’un jour, Tonton me  tend un exemplaire particulièrement amoché, en me disant : « Tiens ! Celui là tu peux le garder ! Il est bizarre. Il ne me plait pas et à mes copains non plus ! » Ces messieurs avaient le mauvais goût très sûr : le livre s’appelait « Des dragées sans baptême », l’auteur, Commissaire San-Antonio (avec un tiret). Une révélation. L’ayant terminé, j’ai dit à mon père : « Celui-là, tu devrais le lire… » Il m’a répondu avec un brin de condescendance : « Tu sais que je n’aime pas trop ces trucs là… » Moi : « Mais si ! » Lui : « C’est bien pour te faire plaisir … » Et il est devenu accro au point de laisser parfois brûler sa fournée pour suivre les exploits de Béru.

Mais j’aime aussi Maigret, qui est le contraire absolu de San Antonio. J’ai découvert récemment la Floride déjantée de Carl Hiaasen et la Toscane décadente de Marco Malvaldi. Et puis, en téléchargeant un peu au hasard des auteurs pas du tout connus, je tombe parfois sur de petites merveilles comme « Le voleur de centimes » de Christophe Paul, ou « Même pas peur » de Luc Venot.

Ce qui fait le polar, c’est, je crois, le choc ou la friction entre les gens. Contrairement à Bret Easton Ellis, j’aime bien les gens, moi. Et pas beaucoup ses polars artificiels …  

 Quel est votre prochain roman ? Une suite à Vincent, gentilhomme galant, ou bien... ?

A.A. J’ai toujours plusieurs fers au feu, ce qui rend ma « production » assez chaotique. J’écris à tors et à travers. Et puis, tout d’un coup, plusieurs livres sont terminés en même temps. Ainsi en 2011 j’en ai « sorti » 5, fruits longs à mûrir de 20 ans de travail. C’était pourtant trois ans trop tôt. Comment pouvais-je me douter que le manuscrit des « 120 journées de Sodome » qui est au centre de ma saga, allait retourner en France en 2014 ? La rentrée ne sera qu’une divine célébration de Sade, et mon « Vincent, gentilhomme galant » qui en proposait un autre visage, est déjà passé… Un auteur sérieux doit « sortir » un livre par an. Hélas, je ne suis pas un auteur sérieux. En ce moment, j’ai sur l’établi un sixième volume qui devrait clore ( ?) l’affaire Vincent. Je travaille aussi sur une trilogie « de terroir », les amours drolatiques de ma mère, ma grand’mère et mon arrière grand’mère, respectivement pendant l’occupation, la guerre de 14 et sous la 3eme république. J’ai aussi un « chick lit » qui me trotte dans la tête, et même un livre de cuisine. Et puis Maxime me manque un peu. Ce Delacroix accroché dans un camion pizza, c’est préoccupant, non ? Sans parler de ma récente mésaventure. Je découvre de l’intérieur un monde de préjugés, de clichés, d’idées reçues. Et puis le « cancer business », franchement, ce n’est pas triste ! Je crois qu’on pourrait l’aborder sous l’angle polar, ou, pourquoi pas… ésotérique ?  C’est tout de même bizarre d’avoir raconté dans « L’Assassin est à la plage », cette histoire de chimio et de perruque ? Ce n’est pas du tout mon genre. On meurt beaucoup dans mes livres mais, en général de mort violente. Personne n’est jamais malade. En plus d’être roi, l’écrivain serait-il médium ?  

 Un dernier message à faire passer aux lecteurs du  collectif Un-polar ?

A.A. Le premier polar que j’ai lu, était « La petite Roque » de Maupassant. C’était juste après « La petite Fadette », et je croyais tenir là une histoire du même acabit, mignonne et gentillette. Oh la la ! Quel choc ! Ce recueil, je l’avais dérobé à ma mère, qui, elle, était très « grands romans du 19eme ». En ce temps là, comme on n’avait pas la télévision, les boulangères lisaient « La Chartreuse de Parme » et « Madame Bovary ». Cela simplement pour dire que la notion de « polar » est extrêmement élastique. Comment réduire le genre à sa plus simple expression ? Un crime plus ou grave et un justicier plus ou moins net qui traque un coupable ou un innocent ? Dans ce cas, par le duel fiévreux entre Javert et Jean Valjean,  « Les Misérables » est  un polar.  En revanche, certaines productions contemporaines à succès ne me paraissent que de plats rébus inutilement compliqués. Beaucoup de ces best-sellers techniques me sont tombés des mains. Mais j’aime bien Fred Vargas, ses personnages désenchantés, ses atmosphères. Et je n’ai rien contre les best-sellers. Certains méritent amplement leur succès. Ainsi « Misery » de Stephen King. Mais peut-être s’agit-il plutôt d’un thriller ? Moi, même si je me suis amusée à terminer « L’assassin est à la plage » par un suspense et un face à face un peu Far West,  je ne suis pas du tout dans cette catégorie. Je serais plutôt rangée au rayon « polar humoristique », avec Frédéric Dard, dont le voisinage me tétanise de fierté. Comme dirait Pagnol, « je bade » le maître. Mais comme tous les élèves assis sur le banc du fond, je récidiverai.  Si le petit crabe ne me mange pas… Mais attention ! Nous organisons la résistance. Sur le théâtre des opérations extérieures, nous avons déjà un fidèle de chacune des 3 religions monothéistes, et même une bouddhiste « petit véhicule », qui prient avec ardeur. S’il est des hindouistes, des shintoïstes, des animistes et même des récidivistes qui veulent se joindre au groupe, qu’ils se fassent connaître. On accepte tout le monde. J’espère qu’attendri par tant de ferveur, Dieu croira un tout petit peu en moi.