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19/03/2015

Les temps sauvages, de Ian Manook

temps_sauvages.png Une chronique de Jacques.

Les temps sauvages... dans ce deuxième volet de la trilogie en cours d’écriture de Ian Manook, l’auteur adresse un clin d’œil à Joseph Kessel, dont l’un des derniers romans, publié en 1975 chez Gallimard, porte le même titre. Mais alors que l’histoire de Kessel se passe en 1918 en Sibérie, l’intrigue très contemporaine imaginée par Ian Manook vagabonde entre la Mongolie, la Russie... et la France, plus précisément la ville du Havre.

Si Oulan Bator et les steppes mongoles ont à nouveau, pour notre plus grand plaisir, une place centrale dans le récit, nous découvrons également la ville de Krasnokamensk, où se trouve la plus grande mine d’uranium de Russie et où l’oligarque Mikhaïl Khodorkovski, condamné pour vol et fraude fiscale, a été détenu dans la célèbre colonie pénitentiaire G 14/10, réputée pour être la plus dure et la plus isolée du pays.

Les principaux personnages du premier roman sont toujours là, fidèles au poste, et en premier lieu le désormais célèbre flic d’Oulan Bator, Yeruldelgger, marqué par son éducation dans le mystérieux et légendaire Septième Monastère ainsi que par des drames dans sa vie personnelle, que nous découvrons peu à peu. Bien que cette vie tourmentée l’ait rendu dur et violent, il reste malgré tout généreux, imprévisible, toujours attaché aux traditions de son pays... Mais Yeruldelgger ne sera pas le seul enquêteur central du livre, puisque Ian Manook introduit un nouveau personnage, le flic français Zarzavadjian qui qui va, à partir de la ville du Havre, tirer un des fils de l’intrigue, ce qui va l’amener à croiser Yeruldelgger en Mongolie.

Au centre de cette intrigue dans laquelle la corruption au plus haut niveau des états est centrale et qui s’appuie sur un fond de trafics en tout genre (y compris d’enfants), nous allons retrouver le richissime, inquiétant et corrompu Erdenblat. L’ennemi juré et beau-père de Yeruldelgger, dont l’obsession est de tuer son gendre de ses propres mains, va monter une machination contre lui pour parvenir à ses fins. Machination dont un des versants comporte une accusation de meurtre contre Yeruldelgger, l’autre versant étant lié à la disparition de Gantulga, le jeune protégé du policier

C’est Oyun, la jeune collègue de Yerulgelgger qui ouvre la danse avec une étrange scène de crime sous le blizzard de la steppe mongole (le dzüüd) : le cadavre gelé d’un yack grogneur surmonte celui tout aussi gelé d’un cheval, qui surmonte lui-même celui de son cavalier. Un début aussi fantastiquement délirant que celui d’un roman de Fred Vargas et qui impose au lecteur d’échafauder les hypothèses les plus baroques pour trouver une explication crédible. Comme dans les romans de Vargas, nous finirons par avoir une explication rationnelle à ce mystère, mais ce point de départ nous permet d’emblée de mieux appréhender le mode de fonctionnement de Ian Manook quant à l’écriture : débrider son imagination, en partant du principe que la réalité est parfois aussi folle que nos pires délires, tout en parsemant son histoire d’un luxe de détails précis, d’anecdotes vraies, de descriptions fouillées de personnages et de lieux qui nous permettent d’y croire.

L’enquête que mène Oyun va-t-elle être l’un des éléments des multiples fils que Yeruldelgger va tirer pour sauver sa peau et retrouver Gantulga ? Ce qui est sûr, c’est qu’Oyun va se retrouver elle-même en grand danger, même si elle vit une histoire d’amour brûlante qui va peut-être se révéler pour elle plus dangereuse que prévu.

Pour construire son intrigue, l’auteur joue avec habileté sur plusieurs tableaux en construisant un polar, qui est aussi un roman de suspense, d’action et d’aventure qui ne néglige pas la dimension psychologique des personnages. Qui trop embrasse, mal étreint, dit le dicton : on pourrait craindre que le pari ne soit difficile à tenir, et que l’auteur ne coure le risque de lasser le lecteur par une trop grande superficialité liée au choix même de l’exercice qu’il s’est imposé. En réalité, il n’en est rien. Car pour donner de la chair à son histoire, Ian Manook a compris qu’il devait avant tout créer des personnages puissants, originaux, dont les contradictions comme la force ont leur source dans leur biographie habilement distillée, et cela même pour de nombreux personnages secondaires. C’est le cas pour Gourian, le séduisant militaire qu’Oyun a rencontré sur la scène de crime, dont elle va être amoureuse et qui va se révéler très différent de ce qu’il semblait être. Mais aussi pour Zarzavadjian, le flic français ou pour l’étrange flic russe Akounine, personnage secondaire qui va aider Yeruldelgger quand son enquête.  

L’autre élément fort qui fait l’originalité du livre, c’est le contraste entre les traditions millénaires des nomades des grandes steppes mongoles, et la modernité rutilante qui commence à apparaitre dans certains coins de la ville encore crasseuse d’Oulan Bator. Le murissant Yeruldelgger aime la steppe et sa culture ancestrale, pendant que la jeune Oyun préfère la ville... question de génération ou de culture ? Le lecteur appréciera.

Avec ses chapitres courts, qui ne dépassent pas quatre pages, et son écriture scénaristique qui semble avoir puisé son inspiration dans les meilleures séries télévisées américaines, ce deuxième opus de Ian Manook est aussi vif, enlevé et dense que le premier.

Une belle réussite, d’un remarquable nouvel auteur français !

 Jacques, lectures et chroniques

Les temps sauvages
Ian Manook
Éditions Albin-Michel (28 janvier 2015)
528 pages

 

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