Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/10/2015

Zulu, de Caryl Férey (chronique 2)

 zulu2.jpgUne chronique de Bruno (BMR).

 Pour celles et ceux qui aiment se faire secouer.

L'histoire des enfants perdus de Cape Town.

 
Curieusement, lorsque l'on parcourt de mémoire nos étagères du polar franchouillard, on peut citer quelques rares grands noms [1] [2] mais on oublie presque toujours Caryl Férey. Peut-être est-ce dû à cet étrange(r) patronyme plein de 'y' et à la coloration très ethnique des polars de ce globe-trotter (Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Argentine, ...).
Pour nous rattraper on s'était promis, depuis le film de Jérôme Salle en 2013, de (re-)lire ce Zulu qu'on avait un peu oublié depuis sa sortie en 2008.
À l'occasion de ces retrouvailles, le verdict est sans surprise : le bouquin gagne en épaisseur comme en densité et garde très confortablement l'avantage. Le cinéma peut toujours courir après la 3D, l'écriture a plus d'une dimension en réserve !
Le récit prend son temps pour distiller les infos au fil des pages, pour fouiller plusieurs personnages secondaires, là où le film se concentrait rapidement sur le duo B&W des deux flics des deux stars hollywoodiennes.
On garde quand même en mémoire de beaux décors de cinéma (les plages de Muizenberg ou de Noordhoek, les dunes de Sossusvlei dans le désert namibien) qui fournissaient l'occasion de fortes images, toujours imprimées sur nos rétines. Mais elles datent déjà de deux ans et l'écriture de Caryl Férey est suffisamment forte pour plaquer ses propres paysages sur l'album photos du cinéaste, à la manière d'un palimpseste.

« [...] La baie de Noordhoek était dangereuse et peu fréquentée : les rouleaux et les requins qui croisaient au large interdisaient toute baignade, et plusieurs crimes ayant été commis sur la plage, un panneau avertissait les promeneurs de ne pas trop s’éloigner du parking… »

Contrairement au début laborieux de Mapuche (bouquin qui évoquait les enfants perdus de la dictature en Argentine : ici on s'intéresse plutôt aux enfants perdus des townships), les premières pages de Zulu nous accrochent immédiatement, sans doute parce que l'auteur se concentre sur ses différents personnages et son trio de flics et qu'il évite le guide du routard à Cape Town.
Des personnages qui, justement, partagent avec leur ville au cœur de l'apartheid, une histoire puissante et tourmentée, celle d'un pays dur, sec, violent, qui s'est construit (et se construit encore) dans la douleur, un pays où les blancs se sont fait la guerre (celle des Boers) et où les noirs se sont entretués (le bouquin fait notamment référence à la rivalité - un doux euphémisme - entre l'Inkatha du zoulou Buthelezi et l'ANC du xhosa Mandela).
Au fil de nos lectures, on sait bien désormais que l'Afrique du Sud est un pays qui ne se décrypte pas en noir et blanc, ni entre gentils et méchants, et que la principale couleur de la Nation Arc-en-Ciel est bien le rouge. Le rouge sang.

« [...] Des centaines de milliers de logements étaient toujours plongés dans la misère mais c’était le prix à payer pour le « miracle sud-africain » — l’avènement pacifique de la démocratie dans un pays au bord du chaos…
[...] Contrairement à ce qu’avait annoncé le président, le crime n’était pas « sous contrôle ». Il suffisait d’allumer la télévision ou d’ouvrir le journal pour constater l’ampleur du fléau.
[...] Comment la première démocratie d’Afrique pouvait être le pays le plus dangereux au monde ?
[...] La réalité se heurtait aux chiffres : dix-huit mille meurtres par an, vingt-six mille agressions graves, soixante mille viols officiels (probablement dix fois plus), cinq millions d’armes à feu pour quarante-cinq millions d’habitants, les chiffres du pays étaient effrayants.
La police était impuissante et même victime de cet état de fait. »

D'ailleurs Caryl Férey ne faillit pas à sa réputation et nous assène quelques scènes insoutenables (tout comme dans Mapuche d'ailleurs) : au ciné, fastoche, il suffit de fermer les yeux quelques secondes mais au fil des pages ce bon ferey.jpgvieux truc ne marche pas et il n'est point d'échappatoire !

« [...] Neuman ferma les yeux quand le tsotsi lui coupa l’autre main. Fletcher eut un cri affreux avant de s’évanouir.
— Du poulet rôti ! éructa Tout-en-nerfs, la machette brandie. Joey souriait, extatique. Le tsotsi ramassa les mains coupées et les jeta sur la grille du barbecue. Neuman rouvrit les yeux mais c’était pire : le flot de sang qui giclait des moignons, son ami à terre, évanoui, les braises attisées par le vent, l’odeur de viande, le grésillement des mains sur la grille incandescente. » 

Mais qu'on ne se méprenne pas sur le message de Férey : en dépit du passé tourmenté de ce pays, l'ultra violence dont il imbibe son bouquin et qui dessèche les cœurs de ses personnages est clairement annoncée comme celle de notre société mondialisée et ne doit que peu de chose aux gènes sud-africains et au folklore local.

« [...] Écartées pour cause d’effets secondaires indésirables, des milliers de molécules dormaient sur les étagères des laboratoires : certaines avaient pu être recyclées par des organisations peu scrupuleuses…
[...] Le 11 Septembre avait engendré une période de violation des normes internationales, en particuliers aux USA : on continuait l’expérimentation a priori interdite d’armes chimiques.
[...] Le légiste avait fini les analyses complémentaires de l’autopsie de Nicole Wiese.
— J’ai trouvé le nom de la plante ingérée quelques jours avant le meurtre, dit-il bientôt : de l’iboga, une plante d’Afrique occidentale utilisée lors des cérémonies chamaniques. Par contre, le nom de la substance inhalée avec le tik nous est inconnu.
— Comment ça, inconnu ?
— Il y a bien une molécule chimique, fit le biologiste, mais sa composition ne figure nulle part.
— Une saloperie quelconque qu’on aura rajoutée pour couper la dope ? avança Neuman.
— C’est possible, répondit Tembo. Ou bien il s’agit d’une nouvelle combinaison de produits, qui formeraient une nouvelle drogue.
[...] Les meurtres ravivaient un passé trouble, volontairement occulté au nom de la réconciliation nationale. La chute du Mur, l’inéluctabilité de la mondialisation et la personnalité hors norme de Mandela avaient eu raison de l’apartheid et des guerres intestines.
[...] En saluant ses ennemis politiques, le président Mandela avait mis fin aux massacres mais le monde, au fond, n’avait fait que se déplacer : l’apartheid aujourd’hui n’était plus politique mais social. »

Plus équilibré que l'histoire argentine de Mapuche, plus dense et plus fouillé, Zulu est sans doute l'un des meilleurs ethno-polars sur l'Afrique du Sud et vient parfaitement actualiser les tableaux de Malla Nunn.
 

Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR

 

Une  autre chronique  sur Zulu 

Les commentaires sont fermés.