30/10/2015
Le Duel, d’Arnaldur Indridason (chronique 2)
Pour celles et ceux qui aiment et les hommes et les femmes donc...
L'équation à une inconnue …
Avec Le duel, Arnaldur Indridason s'offre des vacances ... et une petite coquetterie d'écrivain.
Depuis quelques épisodes déjà on sentait la veine Erlendur s'épuiser et l'auteur se mettre sagement en congé de son commissaire fétiche, soucieux de ne point trop tirer sur une corde bien usée.
Mais comment résister à ce titre (qui date de 2011) qui fait écho au récent film d'Edward Zwick sur le duel qui opposa Fisher et Spassky en 1972 à ... Reykjavik ?
Et puis il y avait ces rumeurs mystérieuses sur le 'genre' indéterminé de Marion Briem, personnage que l'on croisait souvent aux côtés d'Erlendur.
Alors voilà, c'est parti pour l'Islande. En 1972.
Indridason ne se contente pas de faire écho au film vu récemment ou de planter cet épisode historique en simple décor. Depuis le brillant Homme du lac, on sait l'auteur friand de cette période et des liens étroits que tissèrent certains de ses compatriotes avec le bloc de l'est. En ce mois de juillet 72, il prend plaisir à nous décrire ces événements au retentissement mondial, vus de l'intérieur, par les 'locaux' de l'étape. Cela vient utilement compléter le film américain.
« [...] Les médias occidentaux gonflaient l’importance du duel qu’ils tenaient absolument à considérer comme une lutte entre l’Est et l’Ouest, opposant les pays libres et démocratiques aux dictatures. Et les grands journaux titraient sans ambiguïté : LA GUERRE FROIDE SE JOUE à REYKJAVIK. »
L'intrigue policière sera ancrée dans toute cette agitation politico-médiatique que vient créer sur la petite île, toute une flopée de gardes du corps, journalistes, ambassadeurs, coachs, espions, traitres et manipulateurs, ... cette année-là il y a beaucoup trop de pions à Reykjavik pour un seul et simple échiquier.
Alors quand un jeune garçon un peu simplet est poignardé à mort dans un petit cinéma ...
Marion Briem entre en scène.
« [...] – Tu crois vraiment qu’il y avait des étrangers à cette séance ? demanda Albert.
– Ce serait idiot d’exclure cette hypothèse étant donné la situation qui règne dans Reykjavik avec ce duel d’échecs, répondit Marion d’un ton las. On se croirait presque à la fin du monde.
– Et maintenant tu as trouvé ce paquet de cigarettes russes.
[...] – Et ils ont cru qu’il avait enregistré leur conversation sur cassette, n’est-ce pas ?
– Ça, je crois que ça ne fait aucun doute.
– Mais pourquoi ne pas se contenter de lui prendre ses cassettes et son appareil ? Il fallait vraiment qu’ils le tuent ?
– Ils voulaient être sûrs.
– Sûrs de quoi ? Le gamin ne parlait pas le russe. Il n’a pas compris un mot de leur conversation.
– Qui dit qu’ils discutaient en langue russe ?
– Tu viens de dire qu’ils étaient russes, non ? Pour toi, les assassins sont membres du KGB, je me trompe ? »
Alors ce ou cette Marion Briem, il ou elle entre en scène ?
Oui, les rumeurs étaient fondées, Indridason nous refait le coup de Bettý !
Bon sang de bonsoir, voilà des années que l'on était persuadé, sans même se poser la question, que Marion Briem, mentor de l'ami Erlendur, était une femme, une vraie femme dans la force de l'âge ! Et ben non !
C'est peut-être une femme ou peut-être un homme ! Seul son créateur le sait !
Et d'entrée de jeu, Indridason annonce l'absence de couleur :
« [...] Ça t’est déjà arrivé d’être incapable de dire si tu as affaire à un homme ou une femme ? »
Brillant exercice de style ou coquetterie d'écrivain, l'auteur renouvelle la prouesse de Bettý : pas un accord ne viendra trahir la vraie personnalité de Marion (saluons au passage la prouesse d'Eric Boury, traducteur attitré et émérite d'Indridason, je suis persuadé que la langue française est beaucoup plus difficile à manipuler que l'islandais !).
Et puis ce prénom, quoi : enfin, Marion ... Ben chez nous c'est pour les filles, mais en Islande c'est pour personne, c'est même pas islandais, c'est d'origine danoise ! On sait pas c'est pour qui là-bas.
« [...] Moi, c’est Marion.
– Marion ? Quel drôle de nom. C’est un prénom de fille ou de garçon ?
– C’est celui que m’a donné ma mère. Elle avait des origines ici, au Danemark. »
Bon sang de bonsoir, on s'est bien fait avoir depuis des années et là nous voici à traquer fiévreusement l'accord malencontreux mais non ... Pffff.... va-t-il falloir qu'on relise tous les Erlendur pour découvrir un féminin sournois ou un masculin flagrant ?
Du coup, on attache assez peu d'importance à l'intrigue policière qui de toute façon n'en a guère : on sent qu'Indridason s'est bien amusé et à nous raconter un épisode historique mondialement connu de sa petite île mondialement ignorée et à nous faire prendre des peut-être garçons pour des soit-disant filles (y'a même un épisode hot, tout comme dans Bettý, mais qui, chapeau l'artiste, ne nous en apprend pas plus sur les attributs de Marion).
On aime beaucoup Indridason (l'un de nos auteurs préférés) et même, on veut bien faire une petite excursion avec lui pour s'amuser, mais avouons tout de même que 1972 n'est pas un grand cru millésimé. Erlendur aura beau finalement apparaître quand même (encore une coquetterie amusante !), c'est pas ça.
Un épisode qui est donc à réserver aux fans de la série (on en est bien sûr) qui connaissent tout de la saga Erlendurienne et qui pourront se distraire et s'amuser avec ce tome-ci.
Peut-être parce que les échecs sont un sport cérébral et mathématique, ce Duel est bien une équation à un(e) inconnu(e) !
Une fois démonté le décor historico-politique, c'est tout le sel de ce virtuose exercice littéraire (un peu à la manière de La disparition de Queneau), mais aussi le seul épice de ce polar un peu convenu.
Un(e?) Bettý version 2 : Indridason nous a malheureusement habitué à beaucoup mieux.
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR
Une autre chronique sur ce livre, celle de Jacques.
14:51 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le duel, indridason | Facebook | |
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