16/08/2016
Évangile pour un Gueux, d’Alexis Ragougneau
Une chronique d’Éric.
Il serait tout de même fâcheux que la cathédrale de Notre-Dame de Paris ne puisse pas célébrer comme il se doit les fêtes de Noël en raison de l’invasion d’une bande de S.D.F en son sein. Branle-bas de combat du côté des autorités ecclésiastiques qui ne voient pas cela d’un très bon œil (les sans-abris ne sont pas en odeur de sainteté dans une partie du clergé !) ; de même « cette entrave à l’ordre public » suscite le déploiement de forces de l’ordre à la logistique précise telles que la B.R.I afin que les assaillants puissent être neutralisés rapidement et que La Cathédrale retrouve sa joie évangélique pour la fête la plus importante de l’année.
Pourtant certaines voix au sein de l’Église s’élèvent pour que les S.D.F soient considérés avec respect et considération en mémoire du message de Jésus centré sur l’attention aux plus pauvres. Le père François Kern (figure centrale du précédent roman d’Alexis Ragougneau, la Madone de Notre Dame) servira d’intercesseur dans le cadre de la négociation en raison de sa proximité avec le peuple de la rue. N’est-ce pas un des devoirs de l’église de se tenir auprès des plus pauvres et de se soustraire aux lois humaines souvent trop égoïstes afin de réenchanter l’ordinaire et faire de ce lieu un espace d’hospitalité et de refuge ?
Une nouvelle fois, le cadre de Notre Dame de Paris apparaît aux yeux de l’auteur comme le centre de son univers romanesque et le microcosme adéquat pour observer les enjeux sociaux de notre époque : ici la mise à l’écart des plus démunis, l’incompréhension liée aux différences sémantiques et linguistiques, le fossé grandissant au fil du désintérêt croissant des uns par rapport aux autres. Pas de lien social possible, mais une défiance acérée avec le temps. Alexis Ragougneau nous parle d’un endroit qu’il connaît bien pour y avoir travaillé, pour avoir su observer ce peuple touristique déferlant vers les marchands du temple et en marge quelques chercheurs de Dieu assoiffés de sacré. Ce qui le fascine et le glace tout à la fois c’est cette humanité qui se croise sans se voir ni se comprendre comme si ce lieu bâtit pour la communion et d’où émanent des puissances spirituelles était impuissant à susciter un peu de lien, de chaleur et de compréhension.
Évidemment vous l’aurez compris, la cathédrale sera évacuée très rapidement de ces importuns et l’enquête va plus précisément se focaliser sur la mort de Mouss — le leader charismatique du mouvement — retrouvé noyé quelques mois plus tard avec des stigmates de la crucifixion sur le corps. Le père François Kern a quelques longueurs d’avance sur les enquêteurs. Sa présence aux côtés des S.D.F durant la nuit de l’occupation et surtout son amitié avec Stavros, peintre d’icône, érudit au langage chatoyant, ses longues discussions théologiques sur l’évangile ont crée un climat de confiance ; car les éléments de l’enquête viennent pour la plupart de ces yeux égarés dans la nuit de l’Île de la Cité dont on ne ce méfie pas.
À nouveau la lutte entre « l’ombre et la lumière » se joue sur le terrain miné des tenants de l’authentique charité et de ceux qui se jouent d’elle afin d’établir des enjeux iniques là même où se terre le désarroi.
Mais la force du romancier réside aussi dans sa capacité à nous restituer avec beaucoup de finesse toute une humanité chargée de donner un sens à cette enquête, elle-même souffrant de blessures psychologiques qui son autant de frein à sa résolution : Claire Kaufmann, la substitut lancée dans une recherche éperdue d’affection et de vérité autant sur elle-même que pour l’élucidation d’une énigme qui rejoint d’autres interrogations plus existentielles ; Gombrowicz, policier scrupuleux qui n’est pas insensible au charme de Claire et à ses cheveux déployés, même s’ils sont le signe d’une nouvelle liberté qu’il ne maîtrise pas.
En dernier lieu, la mission des témoins du drame reste que l’évangile du gueux soit annoncé afin que l’inversion des valeurs puisse prendre acte sur cette terre pleine de larmes, d’ombres noires et de désarroi pour qu’une faible espérance demeure.
Un roman passionnant !
Éric Furter
Évangile pour un Gueux
Alexis Ragougneau
Editions Viviane Hamy
2016
Biographie de l’auteur
Né en 1973, Alexis Ragougneau publie son premier roman policier, La Madone de Notre-Dame, en 2014 aux éd. Viviane Hamy. Il a emporté l’enthousiasme des lecteurs, des libraires et des journalistes, en France comme à l’étranger, notamment en Allemagne, où il est resté plusieurs semaines dans les meilleures ventes.
06:54 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : évangile pour un gueux, alexis ragougnaux | Facebook | |
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