10/05/2011
Savages, de Don Winslow (chronique2)
Une chronique de Christine
Avez-vous déjà remarqué à quel point il est difficile de maintenir un équilibre ? Vous voulez monter sur une chaise pour attraper le livre qui est tout en haut-là-haut-là-haut.
Que va-t-il se passer d’après vous ?
Autre exemple : vous pensez vivre un bonheur sans nuage, puis au détour d’un dialogue arrive « Tu es merveilleux, adorable, parfait » (rayez les adjectifs inutiles si besoin, ou ajouter ceux que vous avez déjà entendus) et vous voyez arriver gros comme l’Empire State Building le « mais... » qui va racrapoter toutes vos illusions.
Ou encore : vous êtes en train de poser dééééééélicatement la deeeeeernière carte en haut de votre château de cartes.
Hum.
Que va faire votre voisin ?
« Stabilité » est un mot qui devrait être réservé aux ouvrages de science-fiction.
Parce que, quoi que vous fassiez, il y aura toujours un sauvage pour venir ratiboiser votre bel ouvrage, et/ou jouer les exterminateurs de bonheur.
Ma petite entreprise connaît pas la crise… *
Laguna Beach, Californie. Faisons connaissance avec Ophélia. Dite « O ». Un genre de Lolita de banlieue riche. Avec une mère parfaite caricature de Californienne belle, blonde, oisive, qui navigue entre coachs et gourous divers. Avec « numéro 6 » son énième beau-père. O est une fille délurée, loin d’être sotte, qui se joue des clichés. Elle est aussi à l’aise pour faire du shopping scandaleusement ruineux que pour se la jouer fille en révolte. Et puis O est plutôt heureuse de vivre car elle a ses deux amis : Ben et Chon.
O, Ben, et Chon, un trio à la « Jules et Jim », un trio uni à la vie à la mort.
Chon, ex militaire formé à l’école de la prestigieuse unité des Navy Seals. C’est un dur, un vrai, il en a vu de belles. Et surtout de beaucoup moins belles. C’est un homme qui n’a peur de rien et qui n’a aucun état d’âme. Quand il faut faire le sale boulot, il le fait.
Au tour de Ben, à présent. Fils de psychanalystes, étudiant surdoué et deux fois major (en botanique et marketing), Ben est cool. Et il a la fibre sociale et humanitaire. Il part régulièrement un peu partout dans le monde dépenser des tas de billets verts pour aider son prochain.
Détail à signaler et non des moindres pour l’histoire qui nous intéresse : Chon a ramené d’une de ses missions en Truckistan des graines de cannabis. Ben, après moult croisements, a obtenu des variétés sur mesure pour les clients. Vous voulez être zen ? créatif ? speed ? amoureux ? Pas de souci, Ben saura vous procurer le mélange ad’ hoc.
Chon et Ben sont associés dans une petite entreprise de production et vente de marijuana « haut de gamme ».
Une entreprise presque familiale et qui va, ma foi, plutôt bien, merci.
Jusqu’au jour où le Cartel de Baja décide que ça commence à bien faire.
Ce Cartel mexicain de la drogue veut tout contrôler, de la production à la vente, et c’en est fini de la concurrence déloyale des petits gringos.
Soit Ben et Chon vendent désormais leur marchandise en exclusivité au Cartel,
Soit….
Suffit de voir la vidéo qui explique tout : le risque d’y perdre la tête est à prendre au pied de la lettre car non, ce n’est pas une image.
Ben et Chon se disent qu’ils peuvent faire face et entrent en résistance.
Très mauvaise idée.
O est alors prise en otage et ne sera rendue qu’au bout de trois ans de loyauté indéfectible. Ben et Chon sont priés de faire profil bas, sinon…
Cette fois, c’en est fini des habitudes de « gentils gentlemen dealers cools » : il va VRAIMENT falloir aller jouer dans la cour des sauvages.
C’est comment qu’on freine, je voudrais descendre de là…*
Résumé peu résumé, et analyse qui s’annonce épique à faire.
Entrer dans ce livre est un peu comme embarquer à bord d’un train fantôme. Une fois sur les rails, vous êtes obligés d’aller jusqu’au bout. Vous ne savez pas ce qui vous attend, et vous découvrez à chaque détour une nouvelle surprise.
Des chapitres parfois très courts. Un mot, une phrase. Et parfois non.
Un style ébouriffant : c’est vivant, ça fuse de partout, Don Winslow se joue de toutes les règles pour faire ce qu’il veut. Il ne s’encombre pas de précautions oratoires, il n’en a rien à faire du politiquement correct. C’est drôle, choquant, grinçant, surprenant, tour à tour ou tout à la fois.
Le lecteur puriste sera très déstabilisé, mais pour les autres… quelle jubilation !
Vous allez ressentir un véritable intérêt pour tous les personnages, bien plus complexes qu’on ne pourrait le croire. Il y a du bon chez les pires canailles, et les héros ne sont pas « blancs comme neige ».
Ce qui est normal, me direz-vous, puisqu’ils vendent de la drogue.
Entre guerres de clans, enlèvements, représailles, chacun rivalise d’astuce ou de férocité, chacun puise dans les armes qui sont à sa portée.
L’intrigue ne vous laisse pas un instant de répit, et avant d’aboutir au dénouement, il y aura eu au passage quelques coups de griffes pour déglinguer les belles apparences de "l’American way of life ", si pleine de contradictions.
Vendre de la drogue, oui, mais après tout c’est un business comme un autre.
Faire de l’humanitaire, oui, mais avec de l’agent sale.
Des méchants qui ont parfois un cœur tendre de mère…
Trois amis profitant d’un système et qui n’ont pas encore compris que ce système est un château de cartes prêtes à tomber à tout moment.
Je n’en dis pas plus.
Est-il besoin de préciser que j’ai adoré ce livre ?
Christine, (Blog : Bibliofractale )
Vous trouverez une autre critique de ce roman, par notre chroniqueur Bruno, à cette adresse.
Savages
Don WINSLOW
Éditions du Masque
325 pages ; 22 euros
08:50 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook | |