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13/05/2011

Demain est une autre vie, de Thierry Serfaty (chronique2)

demainestuneautrevie.jpgUne chronique de Jacques

Je suis loin d’avoir lu tous les thrillers de France, de Navarre et d’ailleurs. Il m’est donc impossible de vous dire quelque chose comme : Demain est une autre vie est le meilleur thriller sorti depuis dix ans, tous pays confondus. Je me contenterai donc, plus modestement, de préciser que c’est le roman à suspense le plus palpitant et le plus habilement fait que j’aie jamais lu (*).

Tout est mis en œuvre pour que le lecteur soit tenu en haleine de la première à la dernière page. Le narrateur, le chirurgien Jamie Byrne, vient d’avoir un accident de circulation automobile dramatique. Il est en train de mourir, il en est persuadé : « Dans une fraction de secondes, je serai déchiqueté moi aussi. A l’image de ma vie conjugale. Le poteau dévaste tout et, quand ma voiture va s’immobiliser, il aura déjà défoncé ma cage thoracique et mon crâne, je ne serai qu’un type de trente-huit ans, heureux dans son travail, désenchanté en amour – et en lambeaux ».

Jamie a visiblement tout pour être heureux : un métier qu’il adore et pratique avec talent, une vie confortable, sans problème matériel, il vit dans une ville qu’il aime (New-York), il a un ami de longue date sur qui il peut compter, le psy Tobey, aussi séducteur qu’il est laid ; une seule ombre au tableau dans cette vie de rêve : son mariage raté avec Inès, qui ne l’aime plus et ne veut pas avoir d’enfants avec lui qui ne rêve pourtant que de fonder une famille.

Il se sait en train de mourir et se réveille pourtant dans son lit, intact, sans aucune blessure. Intact physiquement… mais beaucoup de choses ont changé. Sa femme n’est plus Inès mais une autre femme : Meredith, merveilleusement amoureuse de lui. De plus, deux enfants adorables sont maintenant dans sa maison. Ses enfants. Il ne les connaît pas plus qu’il ne connaît Meredith, mais eux savent visiblement qu’il est leur père. Dire que Jamie Byrne est désorienté est un euphémisme, vous le seriez aussi si une telle aventure vous arrivait, non ?

Le lecteur est pris à la gorge dès le début du roman sans avoir le temps de souffler, puisque quatre pages suffisent à Jamie Byrne, assis dans sa cuisine et tournant le dos à Meredith, pour faire la connaissance de sa nouvelle épouse inconnue :

« - Qu’est-ce qui t’arrive, mon cœur ? Tu es tombé du lit ? D’habitude, je suis la première debout…

Je me redressai sur ma chaise, stupéfait. Un petit nom affectueux, de la sollicitude… Depuis quand ma femme ne m’avait-elle pas parlé ainsi ? Je n’étais pas certain qu’elle l’ait fait après notre première nuit. Elle se détacha de mon cou et s’éloigna avec grâce vers notre meilleure amie du matin : la machine à café. Elle me donnait le dos et je contemplai la silhouette parfaite en silence, abasourdi.

Lorsqu’elle se retourna, je découvris un visage radieux. Ses longs cheveux châtains étaient retenus par une queue-de-cheval et dégageaient les contours harmonieux de son visage sans fard. Je devinai dans la transparence du tissu, une poitrine ronde, haute et ferme, ainsi qu’une taille marquée. Mon regard glissa sur ses courbes, je restai pétrifié. »

Ces quatre pages suffisent pour être pleinement avec lui, l’accompagner dans son problème, tenter de comprendre ce qui lui arrive. Bien sûr, comment ne pas penser au Jason Bourne de « la mémoire dans la peau » et à sa quête d’identité ? Ici pourtant, cela va beaucoup plus loin, car c’est la réalité elle-même qui est déformée. Et le lecteur de Serfaty n’est pas au bout de ses surprises, car si les problèmes de mémoire semblent être au cœur de ce roman, on glisse très vite sur les rapports entre réalité et illusion. Ce n’est plus Ludlum que nous évoque alors le roman de Serfaty, mais Philip K. Dick, le maître de la réflexion romanesque sur la « réalité de la réalité » : la perception de cette réalité qui nous semble ordinaire quand elle est toute autre que ce que l’on croit. Cette problématique illusion/réalité est saisie ici à bras-le-corps par l’auteur et il en tire une histoire qui suscite une angoisse permanente, dans ce roman qu’il est impossible de lâcher. Car si en moins de cinquante pages, nous avons l’illusion (justement) de comprendre ce qui s’est passé et suivons notre chirurgien préféré dans ce qui semble être un assassinat ordinaire, celui de son épouse Inès dont il est soupçonné du meurtre par le FBI, les rebondissements se succèdent ensuite sans cesse, avant que nous ne réalisions que l’auteur nous a roulés dans la farine d’une façon très maligne.

Thierry Serfaty utilise-t-il pour son histoire les ressorts du fantastique, comme la première partie le suggère ? Ou bien y a-t-il… autre chose ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dévoiler ! La seule chose que vous avez besoin de savoir, c’est qu’il dame le pion aux maîtres américains du thriller et que Demain est une autre vie est LE livre à lire si vous aimez le suspense !

(*) Bien sûr, si vous avez l’esprit mal tourné, vous pouvez toujours suggérer que je n’ai lu qu’un seul thriller dans ma longue vie : celui-ci.

Une autre critique, celle d'Ishtar,  de demain est une autre vie

L'entretien de Un Polar  avec Thierry Serfaty