16/05/2011
Entretien avec Johan Theorin
L’entretien de notre chroniqueuse Albertine avec Johan Theorin porte sur ses trois romans publiés à ce jour. Nous le publions en français (ci-dessous), ainsi que dans sa version anglaise. Je tiens à remercier tous ceux qui ont participé à mettre en place cet entretien. Tout d’abord Albertine, qui a préparé le questionnaire, ensuite Basak qui a traduit le questionnaire en anglais, enfin Ishtar qui a traduit les réponses de Johan Theorin en français.
Enfin, merci à Johan Theorin d’avoir accepté de répondre à nos questions avec autant de gentillesse et de disponibilité.
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Albertine. En l’espace de trois romans : l’heure trouble, l’écho des morts, et le sang des pierres, vous vous êtes installé dans le lot restreint des meilleurs auteurs de polars scandinaves et même européens ; qu’est ce que cela change pour vous, en quel sens ? (en dehors des droits d’auteurs évidemment)
Johan. Pendant des années, j’ai écrit des histoires qui étaient lues par une centaine de personnes. A présent, je suis heureux de découvrir mes livres dans les vitrines ici, en Suède, et dans celles d’autres pays. Par ailleurs, je me suis mis à voyager un peu et je rencontre des gens qui les ont lus. Ceci mis à part, peu de choses ont changé. Je suis toujours tranquillement assis dans une petite pièce et, la plupart du temps, j’écris des histoires et ça me plaît beaucoup. Ces derniers temps, on a tendance à transformer les auteurs populaires en célébrités mais si moi, en tant que personne, je devais rester invisible tandis que seuls mes romans auraient quelque notoriété, cela me conviendrait assez.
Albertine. L’île d’Öland, des lieux chargés d’histoire (un phare, une carrière abandonnée…) ; un vieil homme qui décrypte la vie, découvre ou devine des vérités ; des moments où les éléments naturels (feu, neige, brouillard) jouent un rôle dans le dénouement de vos histoires ; l’étrange qui côtoie le rationnel : pourquoi avez-vous choisi ces éléments comme fondateurs de vos trois romans ?
Johan. Je ne pense pas avoir eu le choix. J’ai simplement écrit ce que j’avais dans la tête. Nous avons tous nos obsessions et je soupçonne que j’étais obsédé par les lieux et les gens de mon enfance à Öland et par les histoires étranges que j’entendais alors. Je suis également obsédé par toutes sortes de mystères, passé et présent confondus, de même que par le lien mystique qui unit le paysage aux gens qui y vivent. De la même manière, la douleur joue un certain rôle dans les romans, sans doute parce que mes parents sont tombés malades et sont morts pendant que je leur écrivais. Toutes ces obsessions, toutes ces expériences ont leur part dans mes romans.
Albertine. Le silence (ou le non-dit) a une place importante dans vos romans, notamment avec Gerloff qui, dans l’heure trouble, est capable, devant sa fille Julia, de taire ses hypothèses sur l’assassinat de son enfant durant de longs moments ; mais c’est vrai aussi de Joachim dans l’écho des morts, qui ne dit rien à ses enfants sur la mort de leur mère, silence gardé jusqu’au bout, y compris au moment où il leur révèle sa tombe. Que dire de cela ?
Johan. Oh ! les Scandinaves ont la réputation d’être taciturnes, vous savez ! Mais, sérieusement, je pense que Gerlof garde le silence sur ses théories parce qu’il ne les a pas encore tout à fait résolues dans sa tête. Dans les romans, c’est une sorte de détective mais, malheureusement, il est vieux, il pense avec lenteur et il n’est pas toujours au mieux de sa forme.
Joachim a d’autres raisons de garder le silence : il ne peut supporter de révéler les faits tragiques à ses enfants. C’est une expérience que j’ai vécue personnellement : il y a quelques années, j’ai eu le même problème lorsque il s’est agi de révéler à ma fille la mort de sa grand-mère. Tant que vous taisez une tragédie, vous pouvez prétendre que tout va pour le mieux. Cependant, tôt ou tard, toujours, la vérité émerge.
Albertine. Dans les trois romans, vos personnages reviennent dans l’île d’Öland ; pouvez vous commenter cette idée de « retour » dans l’île ?
Johan. Les gens qui retournent sur une île charrient toujours avec eux un puissant sentiment de nostalgie. Il leur tarde de retrouver une certaine époque et un certain lieu qui n’existent probablement plus. En outre, il ont sur le paysage un regard plus aiguisé que celui des gens qui y vivent en permanence. Pour ma part, je retourne souvent à Öland, puisque je n’y vis pas toute l’année, et je découvre toujours une île différente de celle qui est gravée dans ma mémoire.
Albertine. Pourquoi cette importance du journal intime (tenu par des femmes dans les deux derniers romans), dans votre univers romanesque ?
Johan. Un journal intime est une manière de ressusciter le passé. Ma grand-mère maternelle a tenu un journal pendant des années quand elle vivait à Öland. Je l’ai lu à plusieurs reprises en écrivant ces romans. Quand vous lisez le journal de quelqu’un d’autre, même après sa mort, c’est toujours avec un petit sentiment de culpabilité, parce que des petits secrets y sont toujours révélés (et même aussi des gros). Je tiens moi-même un journal intime et même s’il ne recèle pas de lourdes confessions, je ne voudrais pas que quelqu’un d’autre le lise, jamais !
Albertine. Gerlof, central dans « l’heure trouble », votre premier roman, apparaît comme un personnage secondaire dans les deux autres, avec une relation à l’histoire centrale ténue, et pourtant très forte, aussi bien dans le Sang des pierres que dans l’Echo des morts ; est il important qu’il s’agisse d’un très vieil homme, à bout de force, entre vie et mort ?
Johan. Oui. Comme c’est un très vieil homme dans tous les romans, il est le lien entre les us et coutumes anciens de l’île (la pêche, la pauvreté, les superstitions) et les nouveaux (le tourisme, les riches visiteurs, le crime moderne). Gerlof se souvient de ce qu’il en était et, comme toutes les vieilles gens, il peut, dès lors, les mettre en perspective avec ce qu’ils sont devenus. Quand j’avais seize ou dix-sept ans, j’ai travaillé au domicile de personnes âgées et j’étais fasciné par elles et par les histoires qu’elles avaient à raconter.
Albertine. En dépit de la violence qui parcourt vos romans (violence de la nature, violence des hommes), vous leur donnez une fin apaisée, comme devrait l’être notre mort : pouvez vous commenter ?
Johan. Selon moi, la violence est hideuse, elle ne résout rien. C’est pourquoi j’essaie toujours de terminer une histoire de manière apaisée, où les survivants vont vers une sorte de réconciliation. Ils méritent un peu de repos, à la fin, parce qu’ils viennent parfois de traverser un enfer émotionnel et physique.
Voici également deux chroniques publiées par Un Polar sur le dernier roman, tout à fait remarquable, de Johan Theorin Le sang des pierres :
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