26/05/2011
Désert barbare, de Maud Tabachnik
Une chronique de Jacques
Dès les premières pages, j’ai été sensible à l’écriture de l’auteur, que je ne connaissais que de réputation. Le roman commence par une description aussi précise que fouillée d’un terrain vague et de son environnement immédiat. En trois phrases, tout le talent de l’écrivain saute aux yeux :
« Le terrain vague qui précédait les bâtiments industriels était jonché de parpaings, de ferrailles rouillées, d’objets de rebut à l’utilité mal définie. Un vieux tracteur arrivé d’on ne sait où était appuyé sur une barrière défoncée qui donnait sur la rue ; une herbe drue soulevait les plaques de béton de ce qui avait été autrefois un parking.
Les squats les plus proches étaient à une centaine de mètres et les rues adjacentes affichaient une ligne quasi continue de boutiques fermées par des planches ou laissées à l’abandon, donnant au quartier une image de fin du monde. »
Avec ces quelques mots, le décor est planté et nous devinons que ce suspense, avec son écriture à l’acide sulfurique, n’aura rien de mièvre. Et en effet, Maud Tabachnik nous emporte très vite dans un tourbillon de violence, de sang et de larmes à faire passer Maxime Chattam pour un écrivain de la bibliothèque rose. Sauf qu’il n’y a chez elle aucune violence racoleuse ou gratuite mais une description précise et documentée d’une certaine réalité de la société américaine, qui pourrait laisser croire que l’auteur vit outre-Atlantique, alors qu’elle est bel et bien française.
L’histoire se déroule dans un lieu hors norme, le désert de Sonora, en Arizona. Un désert grand comme la moitié de la France, dont les conditions climatiques sont particulièrement éprouvantes puisque la température peut monter dans la journée à 47 °C, un désert habité à la fois par de sympathiques bestioles (tarentules, crotales, scolopendres géants et venimeux) et par une faune de truands de tous ordres qui trouvent là l’endroit idéal pour se planquer des autorités.
Dans un lieu pareil, tout peut arriver. Et tout arrive en effet, y compris la rencontre fortuite autant qu’improbable entre la narratrice, Sandra Khan, journaliste au San Francisco Cronicle, et son ami de longue date, le flic dandy de Boston Sam Goodman.
La première est à la recherche de Cindy, la fille disparue d’un couple de milliardaires, qui s’est enfuie avec Fox, gourou d’une secte. Un type sévèrement allumé, admirateur de Charles Manson et, comme lui, tueur en série.
Sam Goodman, de son côté, veut mettre la main sur le Haïtien Mercantier, un trafiquant d’enfants, de femmes, d’armes et de drogues diverses ayant des appuis dans la hiérarchie policière, qui semble s’être réfugié dans le Sonora. Les routes de Fox, Cindy et Brad vont se croiser dans ce désert à peine vivable, tout comme celles de Sandra et Sam, et il va s’ensuivre une cascade d’événements qui maintiendront constamment une tension dramatique forte, savamment entretenue par l’auteur.
Car Maud Tabachnik maitrise parfaitement toutes les ficelles de l’écriture et en joue avec une grande habileté. Les descriptions des lieux et des personnages sont précises, réalistes, ce qui donne de la crédibilité à son histoire, qui n’est pas dépourvue d’un humour discret, de bon aloi. En même temps, elle n’hésite pas à créer une situation de rencontre invraisemblable entre les deux héros, comme pour dire au lecteur : « ne soyez pas dupe, tout cela n’est qu’un roman, je fais ce que je veux même si ça vous semble tiré par les cheveux, l’objectif final est de vous faire passer un bon moment, rien de plus ». Et elle y parvient, la diablesse, avec une virtuosité incontestable, en alternant les points de vue des différents personnages en un découpage très cinématographique, comme si elle pensait à une possible adaptation en image de son récit, toujours très visuel. De plus, la narratrice, Sandra, nous raconte en direct ce qu’elle voit en utilisant le présent, alors que le point de vue privilégié de Sam est décrit au passé, ce qui évite une certaine monotonie dans la lecture et donne à la narration de Sandra une très grande force. Bien sûr, nous devinons que Sandra et Sam finiront par se retrouver quelque part dans le désert, et c’est même un des éléments qui constitue le suspense du livre. Comment, dans quelle condition : le lecteur est dans l’attente, le suspense est là, toujours présent.
Les relations de Sandra avec son amie Nina, le chiot battu par une brute dans un bistrot et qu’elle va adopter, les sentiments de compassion qu’elle éprouve pour Brad, un employé de banque dont toute la famille a été assassinée par la bande de Fox, les horreurs du désert qu’elle nous décrit, tout cela concourt à faire de Sandra Khan un personnage sympathique, d’une grande humanité, ce qui permet au lecteur d’être embarqué avec elle dans cette histoire et de la suivre avec intérêt. La fin du roman, inattendue, bascule franchement du côté du noir, et en fait un livre qui chevauche sans complexe sur plusieurs genres.
C’est en tout cas un très bon suspense, que je recommande chaudement aux amateurs de sensations fortes et d’écriture musclée. Je suis heureux d’avoir découvert Maud Tabachnik avec ce Désert barbare, c’est maintenant un auteur que je vais suivre de près.
A l'occasion de la sortie de ce roman, nous avons eu un entretien avec Maud Tabachnik, que vous pouvez lire ici.
Désert barbare
Maud Tabachnik
Albin-Michel
19,80 €
14:06 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |