12/10/2012
L'herbe des nuits, de Patrick Modiano
Une chronique d’Astrid
Un carnet noir, une femme, des balles perdues
Un homme retrouve un carnet noir. Un carnet noir relié au passé, au temps des bancs publics, au temps d’avant la cicatrice de la Tour Montparnasse, au temps de la Brigade Mondaine quand les inspecteurs étaient de longues silhouettes sorties d’une pensée de Beckett. Un carnet noir avec des notes et des noms. Le souvenir d’une femme, en planque sous les portes cochères qui reçoit du courrier en poste restante. Une femme, secrète, dont le reflet se floute dans la glace sans tain du souvenir. L’homme et la femme marchent, évitent les lumières crues, boivent du Cointreau au zinc de brasseries vides. Peu de mots viennent au secours de leurs longues marches. Ils avancent en transparence, en effleurements, côte à côte. Autour d’eux, des personnages de film noir, des types avec des noms de truands, des hôtels miteux, des concierges derrière leurs miradors. Entre eux, un secret, celui de quelques balles perdues. Des balles perdues tirées un soir au 46 bis Quai Henri IV. Un soir comme un autre, la femme part. Sans laisser de traces. Sur le carnet noir retrouvé par l’homme, reste les noms.
Faut-il encore lire Patrick Modiano ? A cette question, que certains peuvent encore se poser, je réponds oui
Oui, Patrick Modiano est un romancier, ou mieux un écrivain. Oui, L’herbe des nuits est une insomnie littéraire dont on ne veut pas guérir. Dans l’infinie subtilité de sa langue, inlassablement, le romancier nous dit que notre vagabondage dans le souvenir ne fait que commencer et que ce temps passé est notre troisième œil. Troublés, saisis d’un plaisir hypnotique, nous renouons avec les thèmes chers à l’auteur, avec l’inconfort des banquettes de moleskine, avec l’odeur de solitude des brasseries parisiennes, avec toutes ces lampes de chevet qui ne s’éteignent plus. Au fil du sablier Modianesque, la blessure de l’amour revient nous hanter en dépit de nos pâles subterfuges pour la faire taire. Promeneur solitaire d’un temps révélant toute chose, Patrick Modiano effleure avec chasteté le tressaillement de nos corps. La chair de la nostalgie.
Astrid MANFREDI, le 10/10/2012
Informations pratiques :
Roman : L'herbe des nuits
Auteur : Patrick Modiano
Editeur : Gallimard
Nombre de pages : 177
Prix France : 16,90 euros
Note de l’éditeur :
« Qu’est-ce que tu dirais si j’avais tué quelqu’un ? » J’ai cru qu’elle plaisantait ou qu’elle m’avait posé cette question à cause des romans policiers qu’elle avait l’habitude de lire. C’était d’ailleurs sa seule lecture. Peut-être dans l’un de ces romans une femme posait la même question à son fiancé.
« Ce que je dirais ? Rien. »
14:38 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |