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01/04/2013

Ta mort sera la mienne, de Fabrice Colin

et_ta_mort_sera_la_mienne.jpgUne chronique de Jacques.

Dans ce roman, qui sort de l’ordinaire, au lieu du sempiternel  triangle amoureux  de certains de nos romans bien franchouillards, nous découvrons un « triangle familial ». À première vue, celui-ci pourrait être d’une confondante banalité, puisqu’il est formé des deux parents et de leur enfant. Mais il se trouve que l’histoire induite par ce « triangle » est tout, sauf banale. En effet, l’enfant est un jeune homme qui devient un « tueur de masse » comme l’histoire nous en a donné quelques tragiques exemples pendant cette dernière décennie : James Eagan Holmes qui, armé et masqué, abat 12 personnes et en blesse 59 autres à Aurora, près de Denver, ou Adam Lanza récemment, exécutant de sang-froid 20 enfants et six professeurs dans une école primaire avant de se suicider.

Fabrice Colin tente, dans ce livre à  forte intensité dramatique, de répondre à la question que chacun s’est posée au moment où l’un de ces drames s’est produit : que se passe-t-il dans la tête des tueurs ? Pourquoi cet acharnement aveugle contre des innocents, parfois de tous jeunes enfants ? Car, contrairement aux assassinats perpétrés par Anders  Breivik en Norvège ou Mohamed Merah en France, il n’y a pas chez ceux-là de motivations idéologiques. Il s’agit plutôt d’un dysfonctionnement psychique qui peut renvoyer dans certains cas à la construction de la personnalité pendant l’enfance. Un domaine qui intéresse aussi bien les psys... que les romanciers.  

C’est cet angle-là que Fabrice Colin a choisi pour son roman, avec la description méthodique des ravages que peut produire chez de tout jeunes enfants leur immersion dans une secte. La secte se nomme ici Le Refuge, un nom d’une ironie terrible quand on sait le sort que celle-ci réserve aux enfants des disciples, qui deviennent des proies innocentes, meurtries, bientôt détruites.

Troy, le jeune tueur, a décidé de frapper un groupe d’étudiants réunis pour un séminaire d’écriture créative dans un motel de l’Utah, situé dans un endroit magnifique, mais totalement paumé et coupé de tout. Le carnage commence dès le premier chapitre et ne s’achèvera qu’au dernier. Pourquoi Troy a-t-il choisi ce groupe plutôt qu’un autre ? Sa motivation va émerger peu à peu, au fil du récit, en même temps que nous comprendrons ce qu’il a vécu depuis sa naissance et comment il en est arrivé à commettre cet acte insensé.

Dans une des chambres du motel, Karen, une des animatrices du séminaire, attend avec une étudiante du groupe que le tueur vienne les exécuter. Le tueur vient-il pour elle ? Dans le même temps, Donald, le chef de la police d’une petite ville voisine est averti du massacre et se rend sur les lieux avec ses hommes. Le trajet va être long, compliqué, ils doivent traverser un désert et Donald, un homme mûr, mal dans sa peau, se sent partiellement responsable du massacre puisque c’est lui qui a trouvé pour Karen le lieu de leur séminaire. Donald a-t-il un autre rapport avec Karen et avec Troy ? Là aussi, le passé va émerger peu à peu au fil du récit et donner du sens à l’histoire terrible qui se déroule sous nos yeux.

Karen, Troy, Donald, leurs récits croisés vont faire apparaitre peu à peu les détails de l’histoire et donner du corps au récit et aux personnages. Nous découvrons ce que Troy a vécu depuis sa naissance, les humiliations, la douleur physique, les violences sexuelles que les adeptes lui ont fait subir, tout comme aux autres enfants. Sa mère, pendant ce temps, était sur l’île avec lui, une adepte parmi d’autres, coupée volontairement de son enfant, ayant accepté cette séparation même en sachant ce qu’il subissait. Les émotions sont néfastes, disait-on à Troy, et on lui a répété cette phrase des millions de fois. Devenu adulte, comment va-t-il réagir en découvrant que la vie n’était pas ce qu’on lui avait appris ?

Nous comprenons peu à peu l’incompréhensible ; comment une femme, que beaucoup admirent, va se laisser piéger par les discours fumeux d’une secte et de sa charismatique femme gourou ; comment elle accepte de sacrifier son enfant au bon plaisir des responsables de la secte ; comment elle va réagir lorsque la secte sera démantelée, après avoir compris que des actes accomplis au nom de principes tordus d’amour universel aboutissaient dans la pratique à leur exact opposé.

L’écriture de Fabrice Colin est d’une réelle originalité. On pourrait la qualifier de « pointilliste » : des phrases très courtes, parfois hachées, qui vont droit à l’essentiel, d’une grande simplicité, mais qui s’articulent de  façon telle que leur lecture vous donne peu à peu accès à un univers foisonnant, d’une grande richesse.

À la fin du roman, quand le lecteur peut prendre du recul et mesurer l’ampleur du travail et les détails de l’œuvre, il s’aperçoit que ce livre n’est pas seulement un suspense d’une grande intensité, mais aussi une réflexion d’une grande intelligence sur l’influence subtile et pernicieuse que peuvent avoir les sectes sur certains esprits, comme sur l’influence de certaines formes « d’éducation », capables de détruire des individus et de les transformer dans le même temps en destructeurs.

 Jacques, lectures et chroniques

 

Ta mort sera la mienne
Fabrice Colin
Sonatine (28 mars 2013)
 350 pages ; 20 €