26/05/2011
La Désirante, de Malika Mokkedem
Une chronique d'Albertine
« Avant toi j’étais déserte. Notre rencontre m’a rendue désirante ».
Chant d’amour, le roman de Malika Mikkoden « la Désirante » ? Oui, et long monologue adressé à l’être aimé disparu en mer, et que la narratrice recherche.
Polar, « la Désirante » ? également, puisqu’il y a cette quête, qui passe par l’observation d’indices, les témoignages recueillis, la quête d’une vérité, bref toute la panoplie policière. Polar et chant d’amour, voilà un cocktail rare, que Malika Mikkoden parvient à réussir. Le roman mêle étroitement les élans lyriques de l’amour et les considérations triviales du récit policier, du récit tout court.
Shamsa la narratrice appareille sur le voilier « vent de sable » dès l’ouverture du récit, car l’enquête sur la disparition de son bien aimé la conduira d’une rive à l’autre de la méditerranée. Plusieurs histoires se mettent très vite en place tandis que s’effectue la traversée ; celle de Shamsa, fille du désert sauvée d’une tempête de sable par les sœurs blanches qui l’ont recueillie à peine née aux confins du Sahara ; celle de Lou son bien-aimé, disparu, brillant jeune chercheur amoureux du désert qu’il a durement affronté, de la navigation en mer et de Shamsa. Le récit de leur rencontre mêle leurs deux histoires, leur amour partagé pour deux immensités, le désert et la mer. Et le roman trouve son souffle dans l’amour puissant qui les relie l’un à l’autre, encore plus fort que désert et mer qui les ont rapproché dès leur première rencontre, amour désespéré traversé de mille questions sur le sort réservé au disparu : « Mais du mal de toi, ni la terre ni la mer ne sauraient me guérir ».
Pourquoi a-t-on retrouvé le voilier « vent des sables » dérivant sans son skeeper au large des côtes tunisiennes ? La question du polar est posée dès les premières lignes : huit mois après la découverte du voilier abandonné, aucune nouvelle, et la police de plusieurs pays est en panne de piste. Quant à Shamsa, elle ne peut rien envisager d’autre que de « retourner la mer » pour le retrouver : Lou lui a appris la navigation, elle saura faire bon usage de ce savoir.
Le récit est économe et efficace : il mêle passé et présent, chant d’amour et intrigue policière, ne laissant pas faiblir l’intérêt du lecteur. Le thème de la disparition énigmatique agit comme paradigme du récit romanesque : « Sans aucune certitude à ton sujet, Lou, tes parents et moi sommes devenus comme ces romanciers encore écartelés par différentes versions d’une même fiction ; Ils les déclinent l’une après l’autre jusqu’à ce qu’advienne cette voix dont ils reconnaissent aussitôt l’adéquation. (…) laquelle de nos interprétations se verra enfin frappée du sceau de la vérité ? ».
Malika Mikkoden a su trouver comment faire avancer le récit sans rompre avec la divagation amoureuse qui tient Shamsa. Les premiers indices donnant sens à sa recherche, seront fournis pas la police italienne avec laquelle s’établit une collaboration effective ; Shamsa saura, de l’autre côté de la méditerranée, détecter le sens des comportements des hommes qui auraient pu avoir à faire avec Lou, leur parler, les faire parler, et faire avancer l’enquête. Le polar est donc là, et bien là.
Et à son histoire s’en mêlent d’autres : celle de la famille, dont Shamsa a été privée et qu’elle découvre dans un rapport renouvelé aux parents de son bien aimé disparu. Le malentendu donne à la relation parentale sa force terrible dont il est parfois si difficile de se défaire ; et les mots d’amour qu’on peut adresser à la génération qui nous précède peuvent bouleverser une relation qu’on croyait sans avenir.
Mais surtout, histoire récente de l’Algérie terrorisée par les intégristes, les trafiquants et les militaires ; histoire actuelle des immigrés parqués à Lampedusa qui nous renvoie l’ignominie du sort fait à des hommes par d’autres hommes, à des sociétés par d’autres sociétés repues et frileuses. Histoire de la narratrice qui avait eu de la chance, elle, au regard de ces maljeureux échoués à Lampedusa, et en ressentait colère et amertume : « Je m’y rendais en vacances. Eux, ils s’étaient échoués là, pleins de détresse et de lassitude ».
Nous sommes dans un beau mariage de littérature blanche et de littérature noire, et vous, lecteurs de polars, vous pouvez lire ce livre qui ne dit pas son genre ! La noirceur du monde existe, elle est le mal qui nous ronge non seulement de façon personnelle mais aussi sociale, et elle se loge au cœur de l’histoire.
Mais diront les puristes du polar, tout de même, est ce que les héros de l’histoire, Shamsa et Lou, ne sont pas un peu trop jeunes, un peu trop beaux, un peu trop riches, intelligents et sympathiques ? un peu « too much ? Jugez-en par vous-même, lisez la Désirante.
Albertine, 24 mai 2011
La désirante
Malika Mokkedem
Editions Grasset
240 pages
17 €
Présentation de l'éditeur
Le roman s’ouvre sur une disparition. Celle de Léo, dont le bateau vide a été retrouvé à la dérive au milieu de la Méditerranée.
Sa compagne, Shamsa, ne veut pas croire à un accident. Elle part, donc, à bord de Vent de sable, sur les traces de Léo. C’est la première fois qu’elle prend la mer seule.
De ville en ville, sur mer et sur terre, Shamsa se lance à corps perdu dans cette enquête au long cours. Elle qui fut abandonnée dans le désert à sa naissance, elle qui a fui une Algérie devenue sanguinaire, la voici hantée par son passé de malheurs.
Mais pour affronter ce nouveau coup du sort, elle est portée par l’énergie du désespoir. Et surtout, par le courage que donne un amour absolu.
« J’irai retourner la mer », se promet-elle…
Biographie de l'auteur
Malika Mokeddem est née dans le désert algérien et vit à Montpellier. Elle a déjà publié Le siècle des sauterelles (1992), et, chez Grasset, L’Interdite (1993), Des Rêves et des assassins (1995), Les Hommes qui marchent (1997), La nuit de la lézarde (1998), La Transe des insoumis (2003), Mes Hommes (2005), et Je dois tout à ton oubli (2008).
14:18 Publié dans 06. Il y a une vie hors du polar ! | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |