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06/04/2016

Aurora, de Vincent Peillon

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Une chronique de Jacques

Si quelques écrivains talentueux, de Chateaubriand à Lamartine en passant par Hugo et Bernanos, ont été tentés par la politique, peu d’hommes politiques se sont lancés dans l’écriture romanesque. Ceux qui l’ont fait se sont sans doute bien amusés (ce qui n’est pas négligeable), mais que ce soit Edgar Faure, Valery Giscard d’Estaing ou Jean-Louis Debré, ils ne marqueront pas l’histoire littéraire de notre pays.

J’étais donc curieux de savoir comment Vincent Peillon allait s’en sortir avec son Aurora, que les éditions Stock viennent de publier. Il s’en sort plutôt pas mal, à mon avis. Pour rester dans le domaine de l’école qui a été le sien, je pourrais dire avec la concision qui sied si bien aux bulletins scolaires : « Prometteur, a du potentiel, mais peut mieux faire ».

Dans cet ambitieux thriller, l’auteur mêle allègrement les convoitises des multinationales, l’OTAN et les conflits entre les services secrets de différents pays. La géopolitique y est constamment présente avec, en arrière-plan, une question brûlante : qui pourra exploiter les formidables richesses de « l’Eldorado du XXIe siècle » en pétrole, gaz et terres rares, le Groenland ? Hans Ritter, vieux nazi revanchard et nostalgique du troisième Reich, a pour parvenir à ses fins politiques (occultes, comme il se doit) créé le puissant consortium Aurora dont l’un des objectifs est de maitriser l’exploitation de ces richesses. Aurora, comme l’explique un de ses dirigeants, « a passé des accords avec les Russes, le Danois et les Groenlandais, mais aussi les Chinois. Elle a associé d’autres compagnies allemandes. Sur le dos des Américains et de leurs valets, de moins en moins nombreux ». Et, faut-il ajouter, avec l’appui occulte de certains faucons nord-américains et d’un petit groupe de responsables de l’OTAN. Au cœur de cette histoire d’espionnage, Vincent Peillon imagine un groupe plus ou moins autonome d’agents du Mossad, qui agissent selon leur propre conception de la défense d’Israël en n’hésitant pas à exécuter tous ceux qui se sont compromis avec Hans Ritter et son projet Aurora. Roland Kuntz, personnage principal, est le chef opérationnel de ce réseau dont Karlo, un vieux général israélien, est le fondateur et l’âme.

L’opposition entre ces forces antagonistes va susciter une tension forte, constante, et justifier tous les coups fourrés, les assassinats, les trahisons, les amitiés oubliées, les amours impossibles.

Il règne sur ce récit une ambiance crépusculaire très particulière liée à la personnalité de Kuntz, homme mûr désabusé, fatigué de la vie, qui semble atteint de dépression chronique et ne croit plus en grand-chose en dehors d’une sorte de mission sacrée qu’il s’est fixée dans sa jeunesse et à laquelle il se tient coûte que coûte : défendre Israël à n’importe quel prix. Au regard de cet objectif, Kuntz considère qu’aucune vie humaine ne vaut, même celle d’un ami... dans les services secrets, les bons sentiments n’existent pas, la fin justifie toujours les moyens et les œufs cassés par Kuntz pour faire une bonne omelette sont nombreux, très nombreux.

Les qualités d’écriture sont indéniables et la description des rapports de force entre états, services secrets et multinationales est aussi crédible que bien documentée. De plus l’histoire est suffisamment complexe pour stimuler l’intérêt du lecteur. Tous les ingrédients sont là pour rendre le livre palpitant, et pourtant je suis resté en retrait, sur le bord de la route, sans parvenir à être réellement passionné. Pourquoi ?

Première raison : les personnages sont nombreux, et Vincent Peillon suit chacun d’eux (ou en tout cas beaucoup d’entre eux) en une alternance cyclique qui laisse peu de temps pour les connaitre vraiment et comprendre leurs motivations.

Mais la raison principale est autre : au lieu de varier le mode de narration en fonction des épisodes et des personnages mis en scène, Vincent Peillon reste pour chacun d’eux dans une description clinique qui donne à son écriture une tonalité glacée :

« Elle pose les deux petites tasses de café sur la table et vient se placer derrière lui, sa tête au-dessus de son épaule. Elle regarde aussi le jardin. Il sent son souffle, et la tension du désir qui monte en lui et l’envahit avec une puissance qui le surprend lui-même. C’est ridicule. Il ne veut pas y céder. Elle appuie son menton sur son épaule sans rien dire, son visage est presque collé au sien. Ses cheveux caressent sa joue.

Elle ne l’aide pas beaucoup.

Elle met sa main sur son autre épaule, et c’est donc elle qui, à sa façon, le prend dans ses bras. Il ne bouge plus. Il a envie d’hurler. Une folle douleur s’est réveillée en lui. (...) Il ne sait plus s’il est au comble du désespoir ou au comble du bonheur. »

Certes, le procédé s’accorde bien au sujet traité, car l’histoire est en effet glaçante, mais son systématisme ôte au lecteur toute possibilité d’empathie avec les personnages. Et pour ma part, j’ai besoin de cette empathie pour accrocher à l’histoire.

Mais il est vrai que ma lecture est pleinement subjective et assumée comme telle. Chaque lecteur réagit à sa façon, et d’autres sans doute n’en seront pas gênés. Il est même probable que de nombreux lecteurs pourront se passionner pour cette histoire qui plonge ses racines historiques dans le troisième Reich, l’extermination des juifs d’Europe et la création de l’État d’Israël, et qui s’épanouit aujourd’hui, à l’ère du libéralisme débridé et de l’emprise toujours croissante des multinationales sur la politique des états et la vie quotidienne des simples citoyens que nous sommes.

C’est tout le mal que je souhaite à Vincent Peillon, dont le livre mérite d’être lu.

 

Aurora, de Vincent Peillon
Éditions Stock (avril 2016)
281 pages