06/11/2016
Têtes de dragon, de David Defendi
Une chronique de Jacques.
Têtes de dragon fait partie de ces polars ou romans noirs dans lesquels l’auteur s’appuie pour bâtir son récit sur l’histoire, l’actualité, ainsi qu’une documentation solide. Ce livre de David Defendi (coauteur de Braquo avec Olivier Marchal) entre ici en résonnance avec une actualité récente qui a vu la mouvance djihadiste la plus radicale vandaliser, piller et parfois détruire les patrimoines culturels de Syrie, d’Irak et de Libye, et l’opinion publique mondiale (ou en tout cas débordant largement l’occident) être à juste titre choquée par ces pratiques barbares. Dans Têtes de dragon c’est de la Chine dont il est question, et de l’attitude des armées britanniques et françaises en octobre 1860, qui n’eurent rien à envier aux pires exactions djihadistes, même si elles restent largement méconnues de nos livres d’histoire ainsi que d’une large majorité de français.
David Defendi ancre en effet son récit (très contemporain) sur le sac du Palais d’Été de Pékin, palais qui fut l’un des sites les plus extraordinaires de l’histoire de l’humanité avant d’être détruit par le feu puis pillé par anglais et les français. Des centaines de milliers d’œuvres d’art d’une valeur culturelle et financière inestimables furent alors vendues et ainsi dispersées partout dans le monde.
L’objectif des Britanniques avec cette guerre était d’ouvrir par la force la Chine au commerce de l’opium : les Anglais étant les plus gros producteurs mondiaux d’opium grâce à leur colonie indienne, ils voulaient absolument l’écouler en Chine afin de rétablir avec ce pays une balance commerciale déficitaire. Une réussite totale pour eux, un désastre pour les Chinois.
Le trafic toujours actuel de ces antiquités chinoises, dont certaines valent plusieurs millions d’euros, est donc au cœur de cette histoire. Au passage, nous comprenons mieux pourquoi le prix de vente de certaines œuvres d’art (chinoises ou non) est sujet à des culbutes aussi impressionnantes que peu compréhensibles pour le commun des mortels, puisque le prix moyen des antiquités chinoises dans les salles de vente a été multiplié par treize en quatre ans. Les salles de vente comme Christie’s, Sotheby’s, Poly, sont en effet des lieux difficilement contrôlables qui acceptent des virements provenant de paradis fiscaux sans que l’on connaisse l’identité de l’acheteur. Un moyen sûr et imparable de blanchir de l’argent sale, et les mafias de tous les pays ne s’en privent pas.
Le narrateur est un jeune homme que l’auteur nous dépeint comme un être fruste, inculte, mais capable d’apprendre très vite. Christo se présente ainsi : « je suis un tricheur, un meurtrier, une pourriture. J’ai menti, bluffé, contourné les lois, trahi les femmes, mes amis et toutes les personnes qui ont croisé ma route ». Il va être contacté par un agent de la DGSI pour infiltrer un réseau de trafiquants d’antiquités chinoises. Ce qu’il est censé gagner dans l’affaire : sa libération, puisqu’il a été emprisonné après avoir égorgé un partenaire de poker. Vous le voyez, c’est pas vraiment un gentil !
Les objectifs réels de Finville, l’agent de la DGSI manipulateur et retors qui l’a fait sortir de prison, restent obscurs jusqu’à la fin du roman. Comprendre ses motivations et savoir si Christo va pouvoir ou non se sortir de ses griffes est un des enjeux du récit, un élément important du suspense savamment entretenu par l’auteur.
Certains lecteurs pourront sans doute regretter que le personnage de Christo soit traité trop superficiellement, qu’il n’ait pas de réelle profondeur, ce qui est sans doute la contrepartie négative du choix initial de l’auteur d’une écriture sèche et nerveuse, qui va droit à l’essentiel. Si vous êtes agacé par les auteurs trop bavards, ceux qui n’ont pas appris de Maupassant qu’un roman est vraiment réussi quand il n’y a plus rien à supprimer, ceux qui répugnent à élaguer le moindre mot leur prose, vous apprécierez son efficacité. Mais celle-ci a un prix : il est difficile de satisfaire les attentes parfois contradictoires de tous les lecteurs !
Cela dit, j’ai trouvé plaisant à lire ce livre court, intense et bien documenté et... très, très noir !
Têtes de dragon
David Defendi
Éditions Albin Michel (2016)
13:57 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : têtes de dragon, david defendi | Facebook | |