12/09/2014
Le sixième homme, de Monica Kristensen
Une chronique de Bruno (BMR )
Pour celles et ceux qui aiment les longues, très longues nuits d’hiver.
Un polar à Longyearbyen !
Évidemment je m’en serais voulu de passer à côté(1) de ce polar qui sera certainement le plus nordique de la littérature ! Si par inadvertance (sait-on jamais !) vous ne situez pas tout à fait Longyearbyen, sachez que nous voilà partis pour le Spitzberg (ou le Svalbard en VO norvégienne), un archipel(2) tout là-haut en pleine Mer de Barents, bien au-delà du cercle polaire arctique [clic], quelques îles perdues près du pôle et qui comptent les villes les plus septentrionales de la planète. Depuis les années vingt, ce territoire qui n'appartient à personne ou à tout le monde (un peu comme l'Antarctique) a été placé sous l'administration de la Norvège qui met un point d'honneur à le protéger scrupuleusement et à respecter les préceptes écologiques les plus stricts. Même les ours blancs y sont protégés alors qu'il représentent le principal danger de ces îles où l'on ne sort jamais sans le fusil en bandoulière (on a quand même le droit de tirer pour se défendre ! mais je vous laisse imaginer ensuite l'enquête des flics écolos, d'autant que les ours sont rarement armés, eux). La civilisation la plus proche (si l'on peut parler de civilisation) est Tromsø, tout en haut en haut de la Norvège et c'est de là que l'avion décolle pour Longyearbyen. Longyearbyen n'est qu'un hameau où se croisent deux ou trois rues et à peine 2.000 habitants.
« [...] Le jardin d'enfants se situait en centre ville de Longyearbyen. Ceux qui vivaient ici disaient cela sans aucune ironie, seuls les touristes trouvaient amusant que l'on emploie les termes de grande place et centre ville pour parler de la grosse poignée de bureaux, magasins, cafés et restaurants regroupés là. »
À quelques encâblures, une autre ‘ville’ : c'est Barentsburg, une colonie minière d'origine soviétique. Les Russes sont les seuls à avoir fait valoir leur droit d'exploiter les ressources naturelles du territoire (le charbon) comme le prévoit le traité international du Svalbard. Barentsburg, aujourd'hui à demi abandonnée, fut longtemps une vitrine soviétique(3) mais compte moins de 500 habitants désormais. Quelques belles images de Longyearbyen(4) ici : [1] [2]
Bon voilà pour la leçon de géo, venons-en enfin à ce polar, norvégien donc, de Monica Kristensen qui a vécu longtemps tout là-bas là-haut comme ... glaciologue, bien sûr ! Grâce à cette expérience l'auteure sait faire la part belle à tout ce décor exotique, aux us et coutumes de ces colons perdus au bout du monde, à la vie et au métier des mineurs (de charbon) ou des pêcheurs (de crevettes). Le sixième homme justement, c'est le fantôme dont la légende locale dit qu'il accompagne parfois les équipes de mineurs (composées habituellement de cinq hommes) au fond des galeries.
« […] Un peu plus loin devant lui dans la galerie, Knut pouvait voir le casque blanc dodeliner d’un côté, puis de l’autre, et la distance n’augmentait pas. Knut fut soudain tiré de sa léthargie. Le casque blanc… Les deux mineurs qui l’avaient accompagné portaient des casques jaunes. Mais qui était donc la personne qui marchait devant lui ? »
Une belle nuit d'hiver (-30°, 24h de nuit, je ne recommence pas la leçon de géo), une fillette disparait de la garderie, en plein ‘centre’ du petit village de Longyearbyen. Les parents, le personnel du jardin d'enfants, les autorités, les deux flics du coin, tout le monde s'inquiète, s'affole et s'active. Qu'est-il advenu de la petite Ella, dans ce village perdu sur cette île perdue où l'on craint bien plus le fantôme légendaire de la mine qu'un improbable ravisseur d'enfants ?
« […] Il devait y avoir une explication parfaitement logique à cette disparition, il ne voyait pas comment il pouvait en être autrement. Il n’y avait pas d’enlèvement d’enfants au Svalbard. [...] Je n’arrive pas à y croire. Que s’est-il passé ? Le Svalbard était une petite communauté paisible. Le tapage domestique, le trafic d’alcool et, dans une moindre mesure, la criminalité environnementale, voilà les pires délits auxquels nous étions confrontés jusqu’ici. Et subitement, il y a tout ça qui nous tombe dessus. »
Mais on n’est pas dans une métropole stressante et trépidante comme le serait Los Angeles et l’enquête policière ne trônera pas au palmarès des thrillers de l’année. Évidemment il n’y a pas de serial-killer au Svalbard (il mourrait d’ennui dans les trois jours) et la disparition de la petite Ella ressemble malheureusement à tous les drames de ce genre. Monica Kristensen préfère prendre son temps pour revenir sur les événements des derniers jours, sur les enchaînements tragiques qui conduiront au drame et elle en profite pour nous faire découvrir la vie de cette petite communauté. C’est tout l’intérêt de ce bouquin, presqu’un documentaire, juste suffisamment romancé et ‘polarisé’(5) pour joindre le plaisir de la découverte à celui de la lecture.
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(1) - il y a déjà quelques années je suis allé passer une semaine tout là-haut (en été !), engoncé au fond du kayak dans une combinaison en caoutchouc glacé, pagayer entre les icebergs et les phoques, sacrés souvenirs, toujours très ‘frais’ dans ma mémoire !
(2) - pour être géographiquement exact, le Spitzberg est l'île principale du Svalbard
(3) - étant donné la latitude on n'ose pas dire une vitrine soviétique ... à l'ouest !
(4) - la ville ('-by' en norvégien est l'équivalent de -ville ou -city) tire son nom de Mr. Longyear, un américain qui créa tout là-bas là-haut les premières exploitations minières au début du siècle dernier
(5) - de polar, puisque le polaire va de soi !
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR
15:35 Publié dans 03. polars nordiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le sixième homme, monica kristensen | Facebook | |