Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/03/2012

Au lieu-dit Noir-Étang, de Thomas H. Cook

 au_lieu_dit.jpgUne chronique de Christine

 Regardez en arrière.
Non, pas derrière vous.
Mais en arrière, loin dans le temps.
Repensez à votre adolescence, lorsque vous imaginiez votre avenir.
Lorsque vous pensiez que tout était possible et qu’il suffisait de le vouloir.
Qu’en est-il aujourd’hui ?

Durant les années qui ont suivi, j’ai considéré que l’affaire de Chatham School était (…/…) une chose qui avait fleuri brièvement, exhalé un parfum exquis puis, en un instant déchirant, tout réduit en cendres. *

 Henry Griswald, notaire vieillissant, repense à son adolescence à Chatham. Une petite ville de province, sur une presqu’île du Massachusetts, où tout le monde se connaît, où la vie semble tracée d’avance. Pourtant, un drame s’y est produit, il y a longtemps. Et lui, il en a été témoin.

Il se revoit, un après-midi d’août 1926, en compagnie de son père Arthur, à l’arrêt de bus, attendant un nouveau professeur. Car Arthur Griswald est le directeur de la Chatham School, un pensionnat bourgeois, à la réputation sans faille, pour garçons.

Descend du bus Elizabeth Channing. Elle arrive d’Afrique où elle a longtemps vécu avec son père. Pour Henry, adolescent qui rêve de fuir Chatham, qui aspire à une autre vie que celle de son père parce qu’il la juge étriquée et sans surprise, Elizabeth est fascinante. Elle est jeune, elle est belle, elle est fantasque, elle a vu d’autres pays. Elle est comme une bouffée d’air frais et d’exotisme. Ce nouveau professeur d’arts plastiques aux méthodes peu conventionnelles a tout pour faire rêver Henry. Et pas que lui.

Elizabeth s’installe et prend ses marques dans un cottage situé près de Noir-Étang. Arthur lui manifeste un intérêt paternel et protecteur. Les élèves l’adorent. Les femmes l’envient. Et Leland Reed, professeur également, lui sert de chauffeur matin et soir entre l’école et le cottage.

Des liens de plus en plus forts se tissent entre Leland et Elizabeth.  Des liens passionnels. Dramatiquement passionnels.

Car Leland est marié.

Cet amour impossible enflamme l’imagination d’Henry.  Mais quel évènement tragique a-t-il pu se produire pour qu’un jour la vie des habitants de Chatham soit irréversiblement bouleversée et pour qu’Elizabeth se retrouve sur le banc des accusés ?

Elle l’avait peint tel que nous sommes tous, limités, aussi tourmentés les uns que les autres par des amours conflictuelles, essayant, du mieux que nous le pouvons, de trouver notre place entre la passion et l’ennui, l’extase et le désespoir, la vie à laquelle nous ne pouvons que rêver et celle qui nous est insupportable… *

Fidèle à ses habitudes, Thomas H. Cook nous offre en roman avec de nombreux flashbacks, où le regard du présent éclaire les évènements passés. Avec des phrases précises et ciselés, des accents dignes de Jane Austen ou Emily Brontë, il décrit merveilleusement les espoirs, doutes, interrogations, maladresses, du jeune Henry, et comment tout ceci a façonné l’homme qu’il est devenu.

La tension monte au fur et à mesure de la narration, quand l’ombre du drame passé devient plus ample, quand les tourments des personnages deviennent si violents qu’il devient impossible de les contrôler.

En fin connaisseur de l’âme humaine, il montre comment les liens entre deux individus deviennent l’affaire de toute une communauté qui observe, épie, juge, et condamne. À tort, à raison ? L’objectivité n’est pas de ce monde… Tout se joue sur les apparences, sur la manière dont chacun va s’approprier ce qu’il a vu ou cru voir, en fonction de ce qu’il a voulu voir. Là est toute la différence.

Cela pouvait être une banale histoire d’amour, au dénouement tragique, un fait divers classique. Mais Cook écrit tellement bien qu’il en fait une histoire puissante, furieusement romantique, loin du sens mièvre de ce terme.

C’est un livre intense, sombre, empli de passions et de renoncements, d’espoirs et de rêves brisés. Et ce n’est pas l’ultime révélation qui apportera un peu de lumière ou de douceur, bien au contraire.

Nostalgique, cruel, amer, incroyablement juste et subtil, un roman qui devrait toucher chaque lecteur, à moins qu’il ne soit affligé d’un cœur de pierre et d’une absence totale d’humanité.

À lire absolument.

* Phrases extraites du livre.

Christine, (Blog : Bibliofractale )

 

Au lieu-dit Noir-Étang…
Thomas H. COOK
Seuil (Policiers)
354 pages ; 19,50 euros

  Présentation de l'éditeur

Août 1926. Chatham, Nouvelle-Angleterre, à quelques encablures du cap Cod : son église, son port de pêche et son école de garçons, fondée par Arthur Griswald, qui la dirige avec droiture et vertu. L'arrivée de la belle Mlle Channing, venue d'Afrique pour enseigner les arts plastiques à Chatham School, paraît anodine en soi, mais un an plus tard, dans cette petite ville paisible, il y aura eu plusieurs morts. Henry, le fils adolescent de M Griswald, est vite fasciné par celle qui va lui enseigner le dessin et lui faire découvrir qu'il faut " vivre ses passions jusqu'au bout ". Du coup, l'idéal de vie digne et conventionnelle que prône son père lui semble être un carcan. Henry assiste, complice muet et narrateur peu fiable, à la naissance d'un amour tragique entre Mlle Channing et M Reed, le professeur de lettres qui vit au bord du Noir-Etang avec sa femme et sa fille. Il voit en eux " deux figures romantiques, des versions modernes de Catherine et de Heathcliff ". Mais l'adultère est mal vu à l'époque, et après le drame qui entraine la chute de Chatham School, le lecteur ne peut que se demander, tout comme le procureur : " Que s'est-il réellement passé au Noir-Etang ce jour-là ? "