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15/06/2012

Bienvenue à Oakland, de Eric Miles Williamson

bienvenue_a_oakland.jpgUne chronique de Catherine/Velda.

 Au Festival Étonnants voyageurs, Eric Miles Williamson présentait deux de ses romans, Noir béton et Bienvenue à Oakland. Je regarde, je feuillette et il me dit : "Prenez celui-là, il est à la première personne." Qu'est-ce que vous voulez faire dans un cas comme ça? Obéir, tout simplement. En fait, ce livre figurait depuis longtemps dans la liste des "livres qu'il faut absolument lire mais qui on ne sait pas pourquoi, passent leur temps à se défiler". Je suis sûre que vous savez ce que je veux dire. Et finalement, je ne suis pas mécontente d'avoir attendu. Car Bienvenue à Oakland, ça se mérite... C'est l'histoire d'une vie, celle de T-Bone Murphy, qu'on découvre au début du livre enfermé dans une sorte de cabanon où il se cache pour échapper à ceux qui le croient coupable d'un meurtre. T-Bone parle, il déroule sa vie à Oakland, cette ville industrielle là-bas, juste en face de San Francisco, mais bien loin de nos rêves de Californie. On y voit, de loin, le Golden Gate Bridge, c'est vrai. De loin.

 Pour T-Bone Murphy, l'horizon, c'est d'abord la caravane paternelle dans laquelle lui et ses trois frères habitent depuis que leur mère les a quittés pour s'envoyer en l'air avec une bande de Hell's Angels, laissant à Pop - qui n'est pas le père biologique de T-Bone - le soin de s'occuper des trois lardons, et emportant avec elle sous forme de pension alimentaire le peu d'argent qu'il avait réussi à gagner. Il y aura les petits boulots, dont un particulièrement donne à l'auteur l'occasion de nous offrir quelques pages littéralement épiques ! Plus tard, ce sera la décharge municipale : il n'a pas trouvé d'autre boulot que celui d'éboueur. Mais entre les deux, et du début jusqu'à la fin, il y aura la bière, le whisky bas de gamme, mais surtout la musique. Je n'ai pas le souvenir d'avoir lu récemment de si belles pages sur la musique. T-Bone joue de la trompette, celle qui appartenait à son grand-père, puis à son père, il joue avec des musiciens de jazz black, il joue dans des mariages, dans des bistrots improbables. Du jazz, du blues, des notes qui pleurent, qui roulent et s'envolent jusqu'au ciel.

J'ai acheté ce livre, je suis allée m'asseoir à une terrasse, je l'ai ouvert. Vous qui êtes habitués comme moi aux romans dont l'intrigue est tellement prenante qu'on peut y passer la nuit, là, ce sont les mots, les phrases, le style qui m'ont bloquée net, là, pendant une heure, sourde aux conversations environnantes, au bruit de la circulation. En une heure, WIlliamson m'avait emportée là-bas, à Oakland, dans les terrains vagues, au milieu des odeurs de bitume, de goudron, d'huile chaude et des fumées industrielles. Comme Larry Fondation, dont on vous a parlé il y a peu de temps, Williamson parle d'une Amérique paumée, misérable, violente, sale. Mais alors que Fondation travaille à l'hyper-sobriété, enlevant de son texte tout ce qui n'est pas essentiel, Williamson déverse sa colère, sa frustration, son désir en un flot littéralement irrésistible. Parfaitement maîtrisé néanmoins, beaucoup plus lyrique que du Bukowski à qui certains l'ont comparé. Pas question d'éructations, malgré la dureté du texte et la rudesse du vocabulaire. La prose de Williamson, c'est de la musique, la vibration de la basse, la percussion de la caisse claire, les cascades de notes de la trompette, le grondement des notes basses du piano. Au passage, un grand bravo au traducteur Alexandre Thiltges, qui a dû à la fois pleurer des larmes de sang pendant et éprouver une fière ivresse après!
Voilà, préparez-vous à un livre à cent mille lieues du politiquement correct, à des tranches de vie plutôt éprouvantes, à une progression narrative où l'auteur dévoile lentement une vie où la douleur le dispute au désir. Si vous êtes une femme, préparez-vous aussi à une vision du sexe dit faible qui ne fait pas vraiment plaisir, mais qui est après tout relativement répandue dans la littérature américaine "néo-bukowskienne". Je verrais bien une petite conversation Williamson / Despentes !

Et puis même écrit à la première personne, après tout, c'est un roman, non ?

Catherine/Velda (le blog du polar)

Bienvenue à Oakland
Eric Miles Williamson, traduction : Alexandre Thiltges
Points Romans noirs (mai 2012)
332 pages
7,30 €