14/01/2011
Les Anonymes, de R.J. Ellory (critique 1)
Après Seul le silence et Vendetta, le britannique R.J. Ellory fait très fort avec son dernier roman Les Anonymes. Ce livre, en effet, va bien au-delà du thriller d’apparence classique qu’il me semblait être après la lecture de la quatrième de couverture. En liant avec une habileté remarquable la description précise d’un aspect trouble de la politique des Etats-Unis à une enquête policière construite et conduite avec un art consommé, il se situe dans la lignée des certains grands auteurs de polars américains, de James Ellroy à George Pelecanos en passant par Dennis Lehane.
Dès les premières pages, le lecteur est appelé à démêler le fil d’un écheveau policier plutôt banal : deux policiers, Miller et Roth (petit clin d’œil littéraire de l’auteur ?) sont chargés de retrouver un tueur en série, le « tueur au ruban », qui exécute des femmes selon le même mode opératoire, coups violents et strangulation. Du classique donc, le lecteur friand de polars que je suis a déjà lu ce genre de choses et j’aurais pu commencer à somnoler paisiblement en attendant le dénouement final... mais ce n’est qu’un faux semblant, car l’écriture précise, dense, efficace, ainsi qu’un scénario superbement élaboré m’a tout de suite plongé au cœur du roman. Fasciné et conquis, je ne l’ai plus quitté.
Un léger changement dans le mode opératoire du tueur concernant la dernière victime, laisse penser à l’inspecteur Miller qu’il pourrait y avoir un autre tueur, imitateur du premier. De plus, l’identité de cette femme, Catherine Sheridan, n’est pas ce qu’elle semblait être ; le lecteur comprend vite que cette nouvelle piste pourrait se révéler fructueuse, mais comment ? C’est alors que l’auteur donne au lecteur des indices non connus des enquêteurs, en faisant intervenir tout au long du livre un narrateur mystérieux qui nous plonge dans les méandres de la politique américaine au Nicaragua depuis les années 1980. Les informations données par ce personnage sur la création des « Contras » par la C.I.A. sont toutes vérifiables et officielles, même si elles ont peu connues chez nous. C’est le cas pour les centaines d’assassinats de responsables politiques sandinistes par les mêmes Contras, assassinats inspirés et financés par les gouvernements américains successifs depuis Reagan. Plus de 90 % de l’intrigue du roman est fondée sur des rapports du Sénat américain ou des enquêtes de la cour internationale de justice, le 10% restant, dû à l’imagination de l’auteur, étant rendu totalement crédible par le remarquable travail d’information et de synthèse qu’il a effectué. Lier de façon convaincante une intrigue policière à ces événements historiques vieux de plus de trente ans était un tour de force :i R.J. Ellory l’a réussi.
Au fil des pages, en alternance avec l’enquête menée par Roth et Miller, l’homme mystérieux nous raconte son passé. On sait qu’il a connu et aimé la dernière victime, Catherine Sheridan. Est-il le tueur en série ? Et si oui, pourquoi ces meurtres ? Le décalage est permanent entre ce que savent les deux enquêteurs, ce qu’ils comprennent de la situation, et ce que devine et pressent le lecteur grâces aux révélations de l’homme mystérieux. Grâce à celles-ci, le lecteur est mis sur une piste politique et croit détenir la clé de l’énigme bien avant les deux inspecteurs. C’est alors que tout se complique : l’auteur déploie son récit à la fois dans la grande Histoire et dans un destin individuel, celui de l’homme qui se fait appeler John Robey , manipulateur et manipulé par des forces qui le dépassent. Il nous parle et nous raconte sa vie, une véritable confession. Comment a-t-il été recruté par la C.I.A. ? Quels sont ses liens avec Catherine Sheridan ? Quelles manipulations mentales a-t-il subies avant de les faire à son tout subir à d’autres ? Qu’a-t-il fait de sa vie, de ses convictions d’adolescent ?
L’univers que nous fait découvrir l’auteur est étonnant, émouvant et terrible. Tous les personnages sont dépeints avec force et crédibilité, en premier lieu l’inspecteur Miller, célibataire meurtri par la vie, qui ne vit que pour son métier mais n’est pas insensible au charme d’une jolie coroner ; son collègue Roth, époux et père modèle qui pousse Miller à fonder une famille, seul moyen selon lui de vivre une vie équilibrée. Les personnages secondaires sont fortement campés, jamais caricaturaux et ils imprègnent eux aussi la mémoire du lecteur, signe évident de la qualité d’écriture de l’auteur.
Si vous aimez les grands thrillers, Les Anonymes est un roman que vous devez lire : le suspense est au rendez-vous à chacune des pages. Mais si vous aimez les romans qui s’inscrivent dans l’Histoire ou bien les polars à la construction rigoureuse et subtile, vous l’apprécierez aussi : il est tout cela à la fois, et c’est un véritable exploit romanesque qu’a réussi R.J. Ellory dans ce livre, qui fera date.
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Présentation de l'éditeur
- Broché: 688 pages
- Editeur : Sonatine (7 octobre 2010)
- Prix : 20,90 €
14:55 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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