07/04/2011
En fuite, de Philip Margolin
Une chronique de Jacques
Ce nouveau roman de la collection « Spécial suspense » des éditions Albin-Michel appartient au genre polar (ou thriller) judiciaire, domaine où les américains excellent et dont Philip Margolin est un des fleurons. C’est un genre littéraire où se côtoient John Grisham, dont le roman la loi du plus faible est un modèle du genre, Scott Turow ou Steve Martini avec son célèbre personnage d’avocat, Paul Madriani. Cette collection « Spécial suspense » compte des auteurs aussi différents que Sylvie Granotier, Patricia MacDonald ou Peter Robinson, dont le seul point commun consiste en un savoir faire évident pour susciter chez le lecteur le désir incoercible de tourner la page afin de pouvoir découvrir le fin mot de l’histoire. Philip Margolin se débrouille pas mal dans ce domaine.
Ex-avocat à la Cour suprême de l’Oregon, il est bien placé pour nous montrer les dessous du système judiciaire américain, son fonctionnement et les retournements de situation invraisemblables qu’il permet parfois. Nous retrouvons dans ce roman le personnage d’Amanda Jaffe, avocate bien entendu brillante (tant qu’à faire, autant ne pas lésiner sur les qualités de l’héroïne), qui va démêler une histoire complexe dans laquelle le lecteur va croiser un dictateur africain totalement allumé (portrait craché d’Idi Amin Dada), un milliardaire américain sans scrupule et un ancien gourou injustement accusé du meurtre d’un jeune et prometteur sénateur (le fils du milliardaire), sénateur qui avait la curieuse idée d’être, par ailleurs, le mari de la maîtresse du gourou en question (j’espère que vous suivez).
Deux points forts dans ce roman : ses personnages secondaires, parfois originaux et fortement campés et une intrigue bien ficelée qui permet un rebondissement final aussi inattendu que bienvenu.
Je parlais de l’originalité des personnages secondaires car pour ce qui est de l’héroïne de notre histoire, c’est une tout autre histoire ! Amanda Jaffe, digne fille de son père Franck, lui-même ténor du barreau, a en effet un seul défaut : celui de n’avoir que des qualités. Philip Margolin n’apprécie pas le personnage de l’enquêteur (ou de l’avocat pour ce roman) déjanté, obligé pour tenir le coup de mettre des antidépresseurs dans sa bouteille de whisky quotidienne. C’est son droit, mais là il fait très fort, et il y a de quoi être lassé de la perfection extrême représentée par le personnage d’Amanda. On peut même se demander si pour le coup Margolin ne fait pas preuve, ce faisant, d’originalité : aucun auteur contemporain n’ose plus créer des personnages aussi lisses qu’avantageux. Car notre Amanda a tout pour plaire à sa future belle famille : belle plante, championne de natation qui ambitionne d’être sélectionnée dans l’équipe US pour les jeux olympiques, dotée d’une intelligence à faire passer Einstein pour un malheureux demeuré, son caractère bien trempé lui permet de se tirer de toutes les situations difficiles, aussi bien dans le prétoire que face à d’impitoyables tueurs.
Côté cœur, elle vit une histoire d’amour très sage (elle est aussi d’une fidélité exemplaire) avec un jeune et talentueux procureur, bien de sa personne et bien propre sur lui et doté des mêmes incroyables qualités que sa compagne, natation mise à part. Ajoutez à cela qu’Amanda est remarquablement intuitive, sympathique et d’une conscience professionnelle à toute épreuve. Cerise sur le gâteau : elle s’entend très bien avec son avocat de papa qui est aussi son modèle dans le travail. Même pas l’ombre d’un conflit œdipien mal réglé à se mettre sous la dent : c’est assez terrifiant pour le lecteur.
Heureusement, il y a les personnages secondaires qui, eux, sont loin d’être parfaits. À commencer par Charlie Marsh, petit escroc séduisant, ayant tâté de la prison avant de connaitre la célébrité et la richesse en devenant le gourou Gabriel Sun et en écrivant un best-seller international « La Lumière en vous ». Accusé de meurtre, Marsh a dû quitter les États-Unis pour se réfugier dans un pays africain, chez le sanguinaire dictateur Jean-Claude Baptiste, se trouvant ainsi à l’abri d’une procédure d’extradition. Ayant eu la bonne idée (pour l’intrigue du livre) de devenir l’amant de Bernadette, la femme du président, il doit quitter précipitamment son pays d’adoption et revenir aux USA afin de ne pas être découpé en menus morceaux — et plus si affinités — comme la malheureuse Bernadette.
La première partie du roman se déroule donc au « Batanga », pays africain presque imaginaire. Philip Margolin se lâche totalement en nous décrivant les rapports entre Marsh et Baptiste, le fonctionnement au quotidien et les crimes hallucinants de celui-ci. Il parvient à créer dès le début du roman une attente autour de la personne de Marsh qui, menacé par les hommes du président, doit quitter le pays pour sauver sa vie.
Margolin n’est pas un styliste, il utilise pour créer le suspense un langage simple, efficace, sans fioriture, et ça fonctionne plutôt bien. Le personnage de Marsh comporte suffisamment d’ambiguïtés pour être intéressant, et alors qu’il est présenté comme séducteur, lâche, amoureux de l’argent, manipulateur, l’auteur parvient malgré tout à le rendre attachant et même sympathique. Bel exploit !
La deuxième partie du livre se déroule donc aux Etats-Unis. Marsh étant revenu, il va être accusé du meurtre du sénateur Arnold Pope Junior, qui s’est passé douze ans plus tôt, et Amanda sera chargée de sa défense. Le roman bascule dans une intrigue habilement menée, où Charlie doit défendre sa vie contre un homme de main de Baptiste ainsi qu’un ancien codétenu, tout en assurant sa défense et en étant poursuivi par un mystérieux tueur. Il s’agira pour Amanda de l’innocenter, ou en tout cas de faire en sorte qu’il soit lavé des accusations qui pèsent contre lui.
Cette quête sera menée de main de maître, et Philip Margolin a réussi à trouver des rebondissements aussi variés que crédibles à cette histoire de vengeance, d’argent et d’amour. Les scènes de prétoire, souvent centrales dans ce type de thrillers, sont réduites au minimum. Largement suffisantes pour mettre en valeur les immenses qualités d’Amanda Jaffe (dont plus personne ne doute) elles ne submergent pas le bon déroulement d’un scénario qui est suffisamment complexe pour prendre le lecteur dans ses filets.
Au final, « En fuite » est un roman d’une lecture agréable, bien ficelé, astucieux, sans doute pas inoubliable (*) mais qui m’a fait passer un bon moment.
(*) Mis à part le personnage d’Amanda, dont aucun individu normalement constitué ne pourra jamais oublier les extraordinaires qualités.
En fuite
Philip Margolin
Broché : 366 pages
Editeur : Albin Michel (6 avril 2011)
Collection : Spécial suspense
07:04 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (2) | Facebook | |
Commentaires
Voilà qui va peut-être me réconcilier avec Margolin ? Autant j'avais aimé ses premiers livres, autant les derniers me donnaient à penser qu'il suivait la même pente (très) descendante que sa consœur P. Cornwell.
Je l'ajoute à ma liste "retards de lecture à combler cet été" :-)
Écrit par : bibliofractale | 10/04/2011
Christine, tu as vu que j'émets quand même quelques réserves, mais c'est vrai que Margolin est un bon artisan, il sait raconter une histoire.
Écrit par : Jacques | 10/04/2011
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