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03/04/2011

Mammouth Rodéo Trash, de Sylvie Cohen

mammouthrodeotrash.jpgUne chronique d'Eric Furter

Au cœur de la Réserve : Mammouth Rodéo Trash


Le titre lui-même est étrange : comme un trait d’esprit naguère énoncé sans plus de réflexion, le roman se réfère à la célèbre phrase d’un scientifique (quoique !) et homme politique peu inspiré qui déclarait un jour qu’il fallait « dégraisser le mammouth » : ici « l’élévation nationale » ; cillant à cette expression délibérément employée pour nous renvoyer à un monde parallèle, le lecteur se retrouve immergé dans l’« espace ludique, plaque tournante d’un environnement consacré au savoir où frétille dans une frénésie apoplectique une colonie de juniors ; ici le bruit dézingue autant qu’un décollage d’avion et le dépaysement est aussi exotique que si l’on débarquait chez les bonobos » (page7).

La violence quotidienne de « la Réserve » se donne à voir sous des jours nouveaux avec toujours plus d’effroi et de gratuité, créant un langage propre en dehors de nos conventions. Nous sommes plus proches ici d’« Orange mécanique » que du livre de Bégaudeau et du chromo de Laurent Cantet « Entre les murs ». La terreur se vit au jour le jour avec une violence qui sans cesse s’accroît sous la bénédiction « du shérif » (le proviseur), qui a pour consigne de ne surtout pas mettre du goudron et des plumes sur la couenne des malheureux « apprenants ». Dans le roman « Orange mécanique », Anthony Burgess crée une autre langue pour définir ce que les actes révèlent et l’effroi qu’ils suscitent. Sylvie Cohen a choisi ce parti pris là c’est-à-dire un champ lexical différent en travaillant la forme littéraire pour nous montrer que tout se situe ailleurs, hors champ et en dehors des confortables représentations d’un univers éducatif gentillet, loin, très loin du très « l’oréalisé » ministre de l’éducation national, Luc Châtel. Un étudiant qui se masturbe en pleine classe, les bons élèves accusés de collaboration avec l’ennemi et partant dûment châtiés, les
visites dans des lieux artistiques devenus impossibles car se transformant très vite en rixe avec les épiciers, policiers ou autres passants médusés.

Un monde trash avec un encadrement passif et impuissant, qui ne peut qu’appliquer la consigne ou se faire virer face à un ordre pusillanime : surtout ne pas jeter de l’huile sur le feu tel pourrait être le mot d’ordre, ni traumatiser ce petit monde adolescent. Ce qui crée un profond malaise dans un monde enseignant non protégé par sa hiérarchie, à bout de souffle et souvent « déplacé ».

Au terme de la première partie, le tissu théorique cède la place à un processus narratif implacable. Le conflit, permanent mais larvé, va prendre ses racines dans la rumeur, puis le Mal se déployer sous la forme la plus symbolique et universelle qui soit : la création du bouc émissaire. Tout le monde en prend pour son grade dans ce maelström d’ignominies sécrétées par la bêtise adolescente, la connivence « collaborationniste » des adultes, l’égoïste impénitent du monde enseignant. Le divin enfant crée par la société consumériste a produit un monstre d’une cruauté sans égal.

Sylvie Cohen nous dresse un tableau très noir d’un monde en voie de déliquescence qui ne sait pas trop à quoi se raccrocher et nous renvoie à nous-mêmes, apathiques spectateurs d’un naufrage annoncé. Seul un ange lucide et digne plane sur le roman et nous maintient hors de l’eau, dernier ballon d’oxygène avant l’asphyxie. Si la lutte avec l’ange a bien eu lieu, c’est l’homme qui a perdu son âme, maintenant errante, dans ce « dernier combat ».

Eric Furter

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