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06/05/2011

Analyse théologico-policière sur Caïn

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Analyse théologico-policière sur Caïn
(Genèse 4 : verset 1à 11 et autres textes dans ce même livre)

Un article d'Eric Furter


Le néophyte lisant pour la première fois la Genèse sera sans doute étonné par la récurrence du thème du conflit des frères tout au long du livre (Caïn-Abel, Jacob et Esaü, Joseph et ses frères). Les auteurs juifs n’ont pas éludé l’enjeu des passions humaines et les solutions que les hommes y apportent radicalement : il s’agit par exemple de porter atteinte à la vie de Joseph pour éluder l’ombre portée par ce petit surdoué trop choyer par le père, Jacob.

Mais d’entrée de jeu, le premier Testament fait état d’une profonde rivalité entre ceux qui s’attachaient au nomadisme, tel que le pratiquaient Israël et ceux qui avaient choisi de se sédentariser : la haine première de Caïn, l’agriculteur en Genèse 4 se porte avant tout sur ce cadet nomade, Abel, le berger, troublant, inquiétant, apportant avec lui l’appel du désert et de l’autre ; en tuant son frère, Caïn tente de résoudre un dilemme : ce trouble incarné par un étranger trop proche qui va chercher un peu plus loin une raison de vivre qui se situe pour lui encore « dans le Jardin d’Eden », non loin de la création originelle ; à l’incompréhension s’ajoute la jalousie ! « suis-je le gardien de mon frère », suis je le gardien de ce frère-là qui m’est totalement étranger et lointain ?
Pour Caïn le piège se referme là : ayant répandu le sang de son frère, il va devoir épouser la condition de sa victime en devenant « étranger et voyageur sur la terre », toujours en fuite et à jamais étranger à lui-même et aux autres ; « tous les éléments de la première tragédie humaine sont ainsi mis en place progressivement dans la suite logique du paradis perdu », loin de l’éden primitif et de son innocence : une flaque de sang concrétisait le choix d’un homme de laisser libre cours à ses pulsions meurtrières parce qu’il avait perdu le sens initial d’une réalité à laquelle il ne pouvait adhérer.

« Quiconque me trouvera me tuera » : c’est en effet exactement la crainte du meurtrier, liée à cette errance, Caïn n’a plus de lieu, ni humain, ni géographique parce que le meurtre détruit le lieu. Exilé à l’Est d’Eden, loin du paradis perdu, banni dans le lieu de l’errance (c’est le véritable sens du terme Nod, « le lieu de nulle part » ou « pays des sans-patrie »), il est condamné à l’insécurité du vagabondage et aux incertitudes de l’homme désorienté.

Il va devoir construire de sa main son « paradis artificiel » qui ne comblera pas son désir de sécurité, ni sa volonté de renouer le fil d’une communion perdue. Ainsi construira-t-il une ville qu’il baptisera du nom de son premier fils, Hénoc, conséquence directe du meurtre et de ce délire sécuritaire qui l’accompagne.

Il dressera des remparts mais la peur sera toujours présente, aliénante, paralysante. Là, il s’arrête, érige et bâtit et toute la décomposition de son lien avec son créateur et avec son entourage s’inscrit dans cette opposition entre l’agitation urbaine et l’autrefois paradisiaque. La mort est dans la cité de l’homme au cœur des villes déshumanisées : n’est-ce pas aussi ce constat désabusé que dressent les créateurs et principalement les auteurs de polars : c’est dans "cette lignée du meurtrier" initial que se situe les enfants sacrifiés de "Moloch" de Thierry Jonquet, la cavale désabusée et criminelle de la fille aux milles noms dans "mortelle randonnée" de Marc Behm et les crimes de Burke si bien préparés pour éliminer ses concurrents dans "le Couperet" de Donald Westlake. Au terme du constat, une immense flaque de sang qui se répand parce que nous avons perdu la face et que nous sommes en quête du rêve initial et d’une « révélation des origines ».

Eric Furter

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