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17/06/2011

Entretien avec Bernard Pasobrola

Après la lecture et la critique de son livre Mortelle hôtesse, Cassiopée a souhaité avoir un entretien avec Bernard Pasobrola, qui a accepté de se prêter au jeu des questions/réponses avec beaucoup de disopnibilité.

 

Cassiopée.  Sur les douze mois de l’année, lequel choisiriez vous pour vous représenter et pourquoi ?

Bernard Pasobrola. Là, vous me coincez ! À vrai dire, je n’en ai aucune idée...

C.  Vous avez changé de maison d’édition pour Mortelle hôtesse, est-ce parce qu’il y a des scènes dans des trains que votre choix s’est porté sur les éditions « La vie du rail » ?

B.P. L’histoire éditoriale de ce livre est assez longue et tortueuse. Mon troisième roman, « L’Hypothèse de Katz » paru chez Denoël en 2001, n’était pas un polar à proprement parler. C’était, certes, un roman noir. Ou un vaudeville noir, pourrait-on dire. Il y avait un climat angoissant, une intrigue en crescendo, du suspense, de l’humour noir. Cela mis à part, on n’y trouvait pas les ingrédients usuels du genre : pas de crimes sanglants, pas de flics, rien de judiciaire, etc. Dans mon esprit, il pouvait être lu aussi bien comme un récit onirique que comme un roman réaliste. Il se trouve que pas mal de ceux qui se sont intéressés à ce roman étaient des lecteurs de polar. Certains d’entre eux m’ont avoué que le dénouement les avait un peu laissés sur leur faim. Ils auraient aimé qu’une suite élucide le mystère qui persistait. Leur demande m’a paru très sympathique et, deux ans plus tard, j’ai remis en scène certains personnages de « L’Hypothèse » mais, cette fois, dans un cadre résolument « polar ». J’ai proposé le manuscrit à Denoël fin 2003. Mon éditeur de l’époque, Philippe Garnier, m’a envoyé un message disant que mon texte était trop touffu et compact. Il ajoutait qu’il avait apprécié le scénario qu’il jugeait bien maîtrisé et certaines scènes qu’il qualifiait de drôles et brillantes, mais qu’il ne retrouvait pas l’harmonie et la lisibilité du précédent manuscrit. Il faut préciser que Denoël publiait relativement peu de polars d’auteurs français à cette époque et je n’ai pas l’impression que ça ait changé. Le fait est qu’ils ne m’ont pas incité à leur proposer une autre version. Je me disais naïvement qu’après Denoël, je trouverais sans mal un éditeur plus modeste spécialisé dans le noir. Je me trompais totalement. Cela dessert énormément d’être « lâché » par un éditeur important. J’ai traîné ce manuscrit comme un fardeau durant des années. Ce texte a été écrit en trois mois, au cours de l’été 2003, en pleine canicule. Je ne parle que du premier jet qui était tout de même assez volumineux. J’étais tellement prisonnier de cette première version qu’il m’a été difficile de l’améliorer. Une éditrice proche de la maison Stock m’avait fait quelques suggestions qui l’aurait rendu acceptable à ses yeux. Mais j’étais incapable de suivre ses conseils. Ce roman m’a plongé dans toutes sortes de situations invraisemblables. Acceptation puis remise en question au dernier moment après six mois d’échanges avec une éditrice de Flammarion, longues hésitations et vives discussions au sein du comité de lecture se soldant par un refus chez Sonatine entre autres. Et j’en passe. Il m’est arrivé de recevoir un coup de fil enthousiaste d’un éditeur qui en était à la moitié du roman. Un ou deux jours plus tard, il m’engueulait au téléphone car il avait détesté la fin ! J’ai même reçu un contrat par mail d’un éditeur de polars qui, ensuite, ne m’a plus jamais répondu ! Je ne crois pas être le seul auteur qui ait connu ce genre de galère. Beaucoup d’entre nous passent par là. On a l’impression de payer très cher les quelques heures de plaisir passées à écrire. Ce long processus a été assez déroutant et j’étais presque résigné à renoncer à la fiction. J’avais eu de la chance jusque-là car mes romans avaient tous été acceptés par la poste, sans aucune introduction et sans demande de modifications. J’ai mis du temps, mais j’ai tout de même fini par me résoudre à restructurer ce roman. J’ai effectué quelques tailles massives. « Vingt fois sur le métier... Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. » Sages recommandations. Finalement, le roman une fois remodelé, j’ai supposé qu’il avait gagné en « lisibilité ». Je l’ai proposé à Rail Noir. Je connaissais cette collection pour avoir lu les premiers Thilliez. Mon texte comportait pas mal de scènes qui se déroulaient dans un train, ce qui le rendait compatible avec la collection. Une collection que les gens aiment bien, je m’en rends compte d’après les réactions à sa renaissance. Il est vrai qu’en plus, nous avons tous un rapport très affectif au train.

C. Vous parlez de thérapie génique dans votre ouvrage, jusqu’où pensez-vous que la science peut-elle aller dans ce domaine, faut-il mettre des limites ?

Je répondrai à cette question assez brièvement, bien qu’elle soit cruciale. Très schématiquement, je dirais que je n’éprouve aucune fascination pour un processus de connaissance très opérant sur le réel, mais dont l’esprit est à l’opposé du savoir, de la sapience disaient les anciens. Je crois que l’univers de la science, quel que soit son domaine, est celui de l’expansion illimitée de la rationalité. Or rien ne survit à la démesure. Il ne suffit pas d’ânonner l’aphorisme rabelaisien « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » car la science a sa logique propre, surtout si la connaissance est déconnectée de l’action collective. La science a, par exemple, la capacité d’installer des capteurs un peu partout et de prédire dans quel délai les espèces vivantes disparaîtront. Mais ce mode de connaissance est impropre à empêcher le processus de destruction. À quoi sert une rationalité qui n’opère que dans un sens, celui du positivisme aveugle ? J’ajoute simplement que le vrai problème ne vient pas de la science en tant que telle, de la connaissance pure (si tant est qu’elle existe), mais de son inféodation à une conception transcendantale de la technique. Je n’argumenterai pas davantage car cela nous entraînerait trop loin.

C. Quand êtes-vous venu à l’écriture et pour quelle(s) raison(s) ? Avez-vous des auteurs de prédilection dont vous vous sentez plus proche ?

Je suis un écrivain tardif, bien que j’aie été un lecteur précoce. Mon enfance a été assez recluse et la seule évasion permise était la lecture. Mon père aimait les livres et possédait une bibliothèque bien fournie. J’ai donc dévoré très jeune, vers l’âge de dix douze ans, des romans d’ « adultes ». J’ai lu à cette époque, je m’en souviens bien, « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley. Loin de ressentir de l’horreur, j’ai trouvé cette anticipation délicieuse et d’un érotisme fascinant. Ah ! Lenina ! sa combinaison moulante vert pomme et... sa ceinture de préservatifs. Essayez de vous rendre compte de ce que c’était que d’avoir une mère vivipare, essayez de vous imaginer ce que signifiait « vivre dans sa famille. » Non ces gens du futur n’y parvenaient plus, à imaginer ce qu’est une famille ! Je découvrais donc de vraies perles dans la bibliothèque de mon père. Des livres de poche fabuleux pleins d’histoires terribles. « L’Étranger »... un homme jugé pour un bol de café au lait et une cigarette. Pour avoir dragué une fille, pris un bain de mer, et vu un film comique. Et cela après l’enterrement de sa mère, à un moment paré du tragique officiel. On le juge pour la culpabilité qu’il dit ne pas éprouver. C’était eux mes héros, Meursault, Samsa... La découverte de Gregor Samsa dans « La Métamorphose » de Kafka, quel choc ! L’hygiène passe par le tri des substances, l’ordre exige la séparation des espèces. Le cafard fait partie des choses noires, rampantes, impures, honteuses, obscènes... Et si tout à coup il prend la place du rejeton mâle ? S’il se met à incarner le sens final, le couronnement de toute une vie ? Ce serait la tuerie, inévitablement. La classification reprendrait ses droits. Chez Kafka, l’humour est impitoyable. Ce texte est d’un réalisme si cruel qu’il a probablement bouleversé ma vision de l’humanité. En fait, je ne m’étais pas imaginé d’avenir littéraire. J’ai passé le bac à Grenoble, j’ai commencé médecine, puis j’ai fait de vagues études d’économie, avant de travailler finalement dans un groupe d’édition. C’est seulement à l’âge de trent-huit ans que l’envie d’écrire s’est manifestée, alors que je vivais dans une maison plantée dans la garrigue, au bord d’un fleuve, dans un endroit assez isolé au sud du Portugal. Quel a été le déclic ? Je ne sais pas vraiment. Je me souviens qu’à ce moment-là, je renouais avec la littérature, avec les romans que j’avais abandonnés depuis pas mal d’années au profit des essais. J’ai relu « J’étais cigare » d’Arthur Cravan qu’avait réédité Éric Losfeld. Le texte sur Gide est une vraie merveille, je ne comprenais pas les gens que ce texte laissait froid, qu’il n’amusait pas. De même qu’« Un privé à Babylone », de Brautigan. Quel sens de la dérision, quelle exquise parodie du polar ! Je découvrais aussi Fante. Et Bukowski, je n’avais rien lu d’aussi féroce depuis Céline. J’ai écrit mon premier roman dans une espèce de transe. Mais ce manuscrit a été un échec et j’ai dû patienter quelques années avant de trouver un éditeur.

C. Le genre policier s’est-il facilement imposé à vous ? Ou auriez vous pu écrire dans un autre style ?

Mes premiers romans n’étaient pas des polars. Ni même vraiment des romans noirs. À vrai dire, je ne lisais pratiquement pas de polars à l’époque. Je lisais Proust, Musil, Kafka, Kundera... J’ai lu toute « La Recherche » d’un coup. Des écrivains comme Proust ou Pessoa ont une écriture océanique dans laquelle il faut se laisser immerger. Ce sont des neptuniens. Ils me fascinent, mais j’ai aussi besoin d’une écriture plus rythmique. Levi Strauss disait que le roman est né de l’exténuation du mythe et que le héros du roman, c’est le roman lui-même. L’écriture que j’appelle « océanique » dérive en droite ligne du mythe, de la tradition odysséenne. Cervantes est considéré comme le grand inventeur de la littérature moderne. Je vois pour ma part une filiation directe entre le héros de Cervantes et le personnage mythologique que l’anthropologie a baptisé « trickster ». Ce terme est difficilement traduisible sans trahir le personnage. On pourrait dire : joueur de tours. Ce personnage fait partie de cycles très anciens. Pierre Clastres lui avait consacré un article qui s’intitulait, si ma mémoire est bonne, « De quoi rient les Indiens ? » Il s’agissait des Indiens Chulupi qui vivent au Paraguay. On a recueilli des mythes de trickster sur tous les continents. C’est un personnage insolite qui ne respecte aucun tabou et s’enferre dans des situations diaboliques, complètement dingues. Sa folie est l’envers du mythe, comme Don Quichotte est l’envers du roman médiéval dont Cervantes a perverti les codes. Pour en revenir à votre question, je ne crois pas qu’il y ait une écriture spécifique au polar. Certains romans policiers sont écrits dans un style assez planant et n’évoquent que de loin ce que j’appelle l’écriture rythmique, bien qu’ils soient d’authentiques polars. Il faut donc se méfier des classifications. Mais, grosso modo, je pense que le roman noir plonge ses racines dans la tradition littéraire issue du cycle du trickster, de l’anti-héros, du personnage maladroit ou maudit, en décalage ou en opposition avec son époque, mais qui en révèle des aspects profonds. On retrouve ce caractère à travers toute l’histoire littéraire depuis le roman comique et le roman picaresque jusqu’à nos jours. Don Quichotte est un trickster, mais aussi le Bardamu de Céline, le Chinaski de Bukowsky, le privé de Brautigan, le Bandini de Fante, et bien d’autres. Ce sont eux qui m’ont inspiré le personnage d’Humbert Katz. Il me semble que je parle de ça déjà dans mon premier roman. En fait, je ne vois pas de vraie frontière entre le roman noir et ce que certains appellent bizarrement la « littérature blanche ». Il y a des romans noirs bourrés de pathos et dont l’ancrage social est faible. Le pathos, c’est l’anti-littérature. D’autres romans dits de littérature générale sont d’excellents roman noirs. Ils en possèdent la structure narrative et l’ancrage. Je pense par exemple à « La valse aux adieux » de Kundera. C’est à mes yeux l’exemple d’un vaudeville noir parfaitement réussi. Kundera est probablement l’auteur contemporain dont l’œuvre m’a le plus marqué. Il a démystifié le lyrisme et surtout le kitsch. Le kitsch, c’est « la station de correspondance entre l’être et l’oubli ». Avant qu’un événement important ne s’efface des mémoires, il se fige dans une image. Le kitsch vide l’évènement de sa substance et n’en conserve qu’un squelette, une caricature burlesque ou un cliché. La folle accélération de l’histoire dans les sociétés dites de l’information transforme tout assez rapidement en kitsch. Sarkozy ou Berlusconi sont des personnages parfaitement emblématiques de notre époque car ils n’existent que dans la dimension du kitsch. Sarkozy en Camargue lors de sa campagne de 2007, posant sur un cheval face à un troupeau de journalistes perchés sur la remorque d’un tracteur, en voilà une illustration parfaite. Ce qui m’intéresse donc dans le regard que pose la littérature noire sur la société, c’est la mise en relief de l’aspect éminemment ridicule du pouvoir et de beaucoup de choses considérées comme respectables. Je crois que c’est cela qui m’a donné, assez tardivement il est vrai, le goût du polar. Je crois avoir expliqué pourquoi je n’y cherche pas l’adrénaline, le sang, le tragique, mais plutôt ce qui dynamite le réel, la vision froide et lucide, l’humour subversif et dévastateur. Je me sens assez proche d’un certain type de polar qui pourrait réunir des auteurs aussi divers que Charyn, Himes, Montalban, Westlake, Mendoza, Palahniuk, Hiaasen, et quelques autres. Voilà pour l’essentiel. J’espère avoir à peu près répondu à votre question...

C. Votre livre est imprimé sur du papier bouffant en lien avec la gestion durable des forêts, cela est-il important pour vous ? Pourquoi ?

Oui, bien sûr, mais en fait je préfère le papier recyclé à celui provenant de forêts gérées. J’ai été témoin de l’envahissement du Portugal et du nord-est de l’Espagne par les plantations d'eucalyptus et j’ai trouvé ce spectacle désolant.

C.  A quel rythme écrivez-vous ? Avez-vous un nouveau livre en « chantier », retrouvera-t-on certains personnages ?

Il est probable que je poursuivrai la saga des Katz dans un autre polar, car j’ai trouvé cette expérience extrêmement plaisante. J’ai bien sûr d’autres textes en chantier et un inédit dans mon tiroir, mais ce n’est pas un polar, c’est plutôt un texte d’anticipation qui est, en plus, assez autobiographique. Mes trois précédents romans sont libres de droit. Dans l’immédiat, j’aimerais bien qu’ils soient republiés.

 

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