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31/07/2011

Les âmes sans nom, de Xavier-Marie Bonnot

 lesamessansnom.jpgUne chronique d'Albertine.

Quel est l’intérêt de chroniquer un roman ? Donner envie de le lire bien sûr ; et peut-être se dire et dire à d’autres que cet auteur vaut d’être lu, que l’on peut traquer ses livres écrits et à venir.

Xavier-Marie Bonnot ? Il a su, dans « Les âmes sans nom », raconter une histoire policière avec allant, en distillant au fil de l’enquête juste ce qu’il faut de la grande Histoire pour voir se dessiner progressivement  le puzzle des actes politiques et des motivations des acteurs, qui conduisent à des crimes rituels.

Son enquêteur le commandant de Palma dit le Baron, est juste ce qu’il faut marginal, mauvais coucheur mais bon amant. L’enquêtrice qui l’accompagne juste ce qu’il faut jolie, intelligente et autonome – mais pas trop, et très amoureuse du Baron qui lui, est un peu distant, juste ce qu’il faut.

L’enquête part de Marseille (mais pourquoi parler de Marsilho, comme si tous les marseillais désignaient ainsi leur ville ?), magnifiquement présente dans ses lumières et ses lieux emblématiques ou ses paysages urbains en « dédale des toits de tuiles et de tropéziennes perchées ». Le parler marseillais est finement rendu : soudain, la lecture muette se suspend et le lecteur se surprend à prononcer à mi-voix les expressions du cru pour en savourer l’accent.

 Puis  l’enquête, comme l’histoire elle-même, fait des va-et-vient entre Marseille et l’Irlande, sa guerre fratricide dont l’auteur nous fait parfaitement bien sentir la violence, la nécessité  et l’absurdité. Il sait nous faire comprendre comment se sont associés dans l’IRA fascistes, marxistes et celtes, étrange mariage de la carpe et du lapin, dans une même opposition aux anglais. Il nous rappelle l’indifférence glacée de Margaret Tatcher face à cette grève de la faim qui a tué une dizaine de jeunes résistants irlandais, parmi lesquels Bobby Sands qui disait « notre revanche sera les éclats de rire de nos enfants » avant de mourir.

 Cette enquête porte sur des meurtres rituels néo-druidiques commis en 2004 à Marseille et à côté de Montpellier  (yeux crevés, lent étouffement par une boule de gui dans la bouche. Mais le cœur du drame se trouve en Irlande, et débute vingt ans avant, par une trahison et un meurtre déguisé en suicide à Marseille.

 Les va-et-vient entre Marseille et l’Irlande sont aussi des va-et-vient entre deux âges de la vie : une partie des personnages ayant vécu les évènements de 1984 sont également acteurs de  ceux de 2004.  Il y a l’âge des jeunots  des années quatre-vingt, aussi bien en Irlande qu’à Marseille, qui des deux cotés (flics ou terroristes) croyaient à leur avenir, leur métier, à leur projet de vie, à leurs amours aussi, et plongeaient dans l’action sans trop d’états d’âmes. Il y a l’âge des gens mûrs (encore flics et anciens terroristes) qui ont vécu, se heurtent à des contradictions dont ils ne peuvent se dépêtrer et doutent parfois de ce qu’ils ont fait de leur vie. Le parallèle entre deux relations d’amour,  celle simple et lumineuse des jeunes amants terroristes franco-irlandais et celle du couple d’enquêteurs marseillais, complexe et indécise même si la passion l’habite, est emblématique de ces âges de la vie.

 Le lien entre ces territoires, ces histoires et ces âges, sera celui d’une justice maltraitée. La justice, parlons-en. Elle est centrale dans ce roman qui est le récit de la faillite de l’institution judiciaire. Nous avions l’habitude, au fil des polars, de rencontrer des commissaires en délicatesse avec leur hiérarchie ; là, il s’agit de conflits d’intérêts entre justice et police, l’auxiliaire de justice qu’est le policier devant renoncer à exhumer une vérité qui pourrait fâcher l’Etat ; la superbe et complexe enquête de nos héros enquêteurs n’aura pas de conclusion judiciaire  et « toute l’absurdité de leur vie leur sautait au visage comme une bombe à retardement qu’ils n’avaient pu désamorcer à temps ». Il faudra que justice soit faite ailleurs, hors l’institution, dans cet autre pays qui a été ravagé par l’injustice et la guerre.

 P.S. Dans un avertissement, l’auteur précise qu’il ne stigmatise pas les aspirations identitaires des mouvements nationalistes/régionalistes ; point n’était besoin de nous le dire : sa plume est bien trempée, ses explications lumineuses, et le roman donne au lecteur une compréhension claire d’évènements complexes, et d’alliances improbables dans le mouvement de résistance irlandais. Qu’il en soit remercié.

Et nous allons nous procurer sans trop tarder ses deux autres romans publiés chez le même éditeur : « la première empreinte » et « la bête du marais ». Affaire à suivre !

 

Albertine

Salvagnac,  juillet 2011