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27/07/2011

Entretien avec Laurent Guillaume

Laurent Guillaume, l'auteur de doux comme la mort,  a accepté de répondre aux questions de notre chroniqueuse Cassiopée.

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Cassiopée.    Vous êtes officier de police, comment et quand êtes-vous venu à l’écriture ? Quel a été le déclic ? Pourquoi et à quel rythme écrivez-vous ? À qui faites-vous lire vos livres avant de les proposer à l’éditeur ?

 Laurent Guillaume. Depuis aussi longtemps que je me souvienne, j’ai ce besoin chevillé au corps de raconter des histoires, de créer des univers. Adolescent, je voulais être scénariste, écrire pour le cinéma et la bande dessinée, mais j’ai rapidement réalisé qu’il me fallait d’abord et avant toute chose prendre de l’épaisseur, vivre des expériences inédites. La police est rapidement devenue une évidence, une occasion de passer derrière le rideau que la société jette pudiquement sur son arrière-cour.  C’est probablement la raison pour laquelle, à la sortie de l’école de police, j’ai choisi de travailler la nuit dans les banlieues parisiennes. Je suis issu d’un milieu relativement protégé et rien ne me préparait à ce monde interlope et misérable qui me fascinait. Je sentais qu’il y avait là une matière romanesque de premier choix. Longtemps, j’ai hésité à franchir le cap de l’écriture jusqu’à ce qu’une expérience professionnelle traumatisante balaye mes dernières hésitations. Mais écrire n’est pas un acte facile, il ne suffit pas d’avoir la substance et il ne faut pas se laisser submerger par son envie de raconter. Pour moi, l’écriture est un acte passionné qu’il faut mettre en œuvre en dehors de la passion, dans la sérénité. J’ai commencé à écrire il y a 10 ans avec des fortunes diverses mais il aura fallu que ma vie chaotique par le passé finisse par se stabiliser pour qu’enfin je produise un texte acceptable.

J’écris 6 mois par an à raison de deux heures par jour, le nombre de signes varie en fonction de ma disposition, il n’y pas de règle absolue mais j’ai plutôt tendance à aller vite. C’est même ce qui me caractérise : je ne suis pas un besogneux, je n’aime pas revenir sur mes textes. La correction est pour moi une véritable torture. Ce premier jet passe immédiatement à la sanction de ma femme. Son avis compte beaucoup pour moi. Quand j’ai enfin « accouché » de mon texte, j’ai besoin, avant de le soumettre à mon éditeur, de le faire lire par des pros qui, s’ils sont des amis véritables n’en font pas moins preuve d’un jugement sans concession. Ainsi « Doux comme la mort » est passé entre les mains de deux écrivains talentueux dont je me flatte de posséder l’amitié : Nicolas Grondin – mon correcteur et mentor – et Patrick de Friberg, auteur chevronné de romans d’espionnage. Leurs avis sont déterminants et toujours pertinents.

 C.    Y a-t-il des auteurs que vous privilégiez dans vos lectures ? Les lire vous aide-t-il à écrire ?

 L.G. Je pense qu’un auteur c’est avant tout un lecteur. Ce que j’écris est probablement le produit des livres que j’ai lus, les bons comme les mauvais. J’imagine que c’est le cas pour tout écrivain. Enfant, j’ai dévoré Jack London, James Oliver Curwood, Tolkien, etc. Je suis venu au polar sur le tard par l’entremise de trois auteurs américains, James Ellroy (Lune sanglante), Herbert Lieberman (Necropolis) et Michael Connelly (les égouts de Los Angeles). Ce fut une révélation, un choc incroyable. J’imagine que d’une certaine manière et toute proportion gardée, ces trois-là sont un peu en filigrane dans chacune des pages que j’écris. Plus tard, je me suis intéressé à d’autres auteurs, des Français tels que Fajardie et Manchette. Récemment, je suis revenu aux sources en lisant les pères fondateurs du roman noir anglo-saxon : Hammet, Chandler, Himes, Burnett, Thompson et l’immense Goodis que je vénère. En fait, j’ai fait mes gammes sur le tard. Ils sont pour moi une évidente source d’inspiration.

 C.     Dans votre roman, les hommes politiques ne sont pas toujours très « nets » ; pensez-vous qu’en politique « il n’y a pas de fumée sans feu » ?

 L.G.  Sans tomber dans le cliché, je pense que la quête du pouvoir abîme tous ceux qui s’engagent sur ses sentiers tortueux. La politique est profondément corruptrice, car son exercice puise son substrat dans tout ce qui est toxique à notre société : le fric, la dissimulation, le mensonge. Pour obtenir le pouvoir, il faut passer par tellement d’épreuves qu’il devient une sorte de Graal faisant oublier à ceux qui le quémande sa raison  d’être originelle: le bien public. Cependant il existe encore des hommes politiques habités par un véritable sens démocratique, une conviction politique et humaniste. Paradoxalement, pour ce qui concerne le personnage de Vittoz dans « Doux comme la mort » je me suis inspiré d’un homme politique vivant dont j’estime qu’il possède ces qualités humaines. Cela peut paraître surprenant à la lecture de mon roman, mais j’ai trouvé intéressant de m’inspirer d’un modèle vivant, de pousser la caricature, de forcer le trait jusqu’à obtenir l’image parfaite d’une pourriture. J’aime à croire que même les pires crapules peuvent faire preuve d’une certaine pureté à un moment donné et dans certaines circonstances. L’inverse doit être vrai aussi. Ce n’est, au résultat, qu’une question de proportion.

 C.  Le Messager, votre héros, est un homme dur, froid, distant et pourtant terriblement attachant, on sent en lui, une volonté d’agir face à l’injustice même au risque de sa vie. Croyez-vous en un monde juste ?

 L.G.  Le Messager s’est forgé une carapace pour passer à travers les épreuves que la vie a placées sur son chemin. Mais, il y a une fêlure dans son armure. Sans tomber dans la psychanalyse de comptoir, passé la quarantaine, je me suis rendu compte que les blessures anciennes finissent  toujours par remonter à la surface, surtout lorsqu’on croit les avoir enfouies profondément. Les plus douloureuses ne sont pas forcément celles qu’on imagine. La vie du Messager est faite de maitrise de soi, de discipline et de contrôle, mais un événement va faire éclater cette harmonie mécanique et resurgir les blessures du passé. Tout être humain a ses limites. Dans « Doux comme la mort » les personnages principaux sont confrontés aux leurs. Pour répondre à votre question, je ne crois pas que le monde puisse être juste. C’est une notion impossible à définir, car elle n’est pas universelle. Ce qui est juste pour moi ne le sera pas forcément pour un Touareg ou pour un Inuit. Je pense qu’on est en permanence confronté à des choix et que parfois il faut savoir faire celui qui nous coûte car c’est vraisemblablement celui d’un bien relatif. C’est ce que décide de faire le Messager. 

  C.     L’action de votre livre se déroule en France, mais aussi au Mali. Il est dit, dans la quatrième de couverture, que vous vivez au Mali. Avez-vous choisi d’y vivre, pourquoi ? Est-ce que le fait de vivre en Afrique a changé votre regard sur les Européens ?

 L.G.  J’ai toujours voulu m’expatrier. La quarantaine passée, je n’ai pas ressenti le besoin de m’acheter une voiture de sport rouge mais j’ai réalisé qu’il ne me restait plus tellement de temps pour accomplir mes aspirations. J’avais cette crainte d’entrer dans une sorte d’hébétude pour les années qui me restaient en rangeant mes espoirs et mes rêves dans un placard poussiéreux. Ma femme me soutenant comme toujours, on a franchi le cap à deux et j’ai postulé pour un poste de conseiller technique du directeur de la police du Mali.

 Après 4 ans dans ce pays, l’expérience extraordinaire touche à sa fin, mais je pense qu’un jour ou l’autre je repartirai pour l’Afrique ou tout autre continent sur lequel l’aventure est encore possible. Cela peut paraître paradoxal pour un policier, mais lorsque je reviens en France, j’ai du mal à entrer dans le carcan de nos sociétés technocratiques et juridiques dans lesquelles chaque geste est codifié. Ce que l’on dit, mange, respire est réglementé, contrôlé. J’ai parfois le sentiment d’étouffer. Cette sensation n’existe pas en Afrique même si tout n’est pas rose, tant s'en faut.

En ce qui concerne mon regard sur les Européens, je ne pense pas qu’il ait changé. En tant que policier j’étais aux premières loges pour en connaître les travers. En revanche, mon regard sur les Africains lui a profondément évolué. Je pense avoir maintenant une vision plus juste de ce continent car moins ethnocentriste, plus éloignée des clichés rabâchés dans les médias occidentaux. Le fait de vivre au Mali aura été pour moi, je l’espère, le vecteur d’une plus grande ouverture d’esprit.  

    C.  Si j’étais cinéaste et que je vous propose une adaptation de votre livre au cinéma, quelles seraient vos exigences  pour réussir au mieux ce projet?

 L.G.  Conserver l’esprit du roman et l’épaisseur dont j’espère avoir doté les personnages. Pour le reste, je ne suis pas réalisateur et je me garderais bien de m’immiscer dans le travail d’un autre.

   C.   « Une journée sans lire est une journée ratée. » Qu’en pensez-vous ? Et une journée sans écrire ?

 L.G. Je ne pense pas qu’une journée sans lire soit une journée ratée même s’il est rare à titre personnel que j’en connaisse. Je pense qu’une journée sans émotion est une journée ratée. La lecture c’est la liberté, l’évasion. Elle ne doit pas devenir une obligation. En ce qui concerne l’écriture, je risque d’en choquer certains en disant que, parfois, c’est pour moi une véritable corvée. L’écriture est le contraire de la lecture, c’est une discipline qui apporte son lot de satisfactions et de joies mais c’est aussi le doute, la lassitude, la déception lorsque le lecteur n’est pas au rendez-vous. Il n’en demeure pas moins que la balance est positive, car sinon je n’en serais pas plongé dans l’écriture de mon cinquième roman.

  C. Justement, acceptez-vous de nous en dire quelques mots ?

 L.G.  Il s’agit d’un hommage aux romans plus particulièrement à David Goodis. L’intrigue débute dans les années 50 aux États-Unis, lorsqu’un repris de justice sort de prison et rentre dans son quartier du Bronx pour enquêter sur la disparition de son frère, un inspecteur de police réputé incorruptible. Le titre provisoire est « Dur à cuire ».

  C. Avez-vous d’autres éléments à apporter aux lecteurs de cet entretien ?

 L.G. Je reçois régulièrement des invitations à me rendre dans des salons du polar, des librairies pour échanger avec les lecteurs. Jusqu’à maintenant, il ne m’était pas possible d’honorer ces propositions mais avec mon retour en France dans quelques mois, j’espère avoir un peu plus de temps à consacrer à ceux qui aiment mes romans.