02/11/2011
L’homme qui partit en fumée, de Maj Sjöwall et Per Wahlöö
Une chronique de Pierre
Ce roman date de 1966, et est le deuxième d’une série de dix, mettant en scène l’inspecteur Martin Beck. Il n’a pas encore apparemment de problème particulier. Il est marié, deux enfants, son mariage semble relativement heureux, il ne boit pas outre mesure mais fume fréquemment Bref, il n’est pas encore le héros tourmenté, à l’aube du divorce, même si on peut s’étonner de sa facilité à zapper les vacances en famille !!
Le début du roman est explosif. Tout de suite, nous sommes dans le vif du sujet, le quotidien d’une équipe d’enquêteur dans un pays paisible et tranquille, dans lequel un ami peut en frapper un autre à mort sans remords. L’enquête est rondement menée, puis le récit marque une courte pause, avec cet espoir de vacances qui s’évanouit, et Martin repart, non par obéissance à ses chefs, mais parce qu’au fond, son métier est sa passion. Inspiré de l’affaire Wallenberg, ce diplomate suédois « volatilisé » en URSS, en fait incarcéré et mort dans les prisons de la Loubianka à Moscou, L’homme qui partit en fumée revisite les clichés de la littérature d’espionnage pour les éloigner de James Bond et les rapprocher de nous. Alf Matsson, un type pas drôle, buveur, coureur de jupons, sûr de lui, hautain et prétentieux (portrait de journaliste à la mode très réaliste) et donc reporter d’un journal suédois à gros tirage, disparaît à Budapest, derrière le Rideau de Fer. Nous sommes en 1966. Le gouvernement de Stockholm, en pleine guerre froide, veut rester discret d’autant que le journal de Matsson menace les services secrets suédois d’un scandale si l’exclusivité de la disparition du journaliste venait à lui échapper. Avec L’homme qui partit en fumée, Maj Sjöwall et Per Wahlöö font preuve de nuance et d’audace (avec le recul). Au moment où l’on craint en Europe le méchant soldat soviétique à la peau d’ours sur la tête, le couteau entre les dents, Maj et Per tentent le pari de peindre une capitale du bloc de l’Est humanisée et accueillante, alanguie sous le soleil de l’été. Tout au long des chapitres, on pense à s’allonger sur les pelouses au bord du Danube, à prendre un bateau pour gagner un petit restaurant et commander un velouté de champignons et un poisson du lac Balaton arrosé d’un aimable vin blanc, le tout accompagné d’un petit orchestre jouant Liszt. Non, disons-le à présent avec force, la vie à Budapest n’était pas le goulag sibérien au royaume des pays petits frères. Un constat qui à l’heure de la grande faillite de la finance occidentale peut faire naître quelques regrets. Ça nous apprendra à jeter l’eau du bain avec le bébé.
Le travail du policier nous est montré, lent, minutieux, d’autant plus difficile de Beck n’enquête pas officiellement. Il n’a que peu d’éléments, et ce peu d’éléments semble ne le mener nulle part. Il a cependant la chance de rencontrer son homologue hongrois, avec lequel il partage des points communs : lui aussi est marié, lui aussi mène une vie ordinaire et tranquille, lui aussi est intègre et efficace. Tous les deux vont aller au-delà des apparences (et au-delà des clichés) et montrer qui était réellement le vaillant journaliste disparu. De là à dire qu’un pays aussi tranquille que la Suède cache sans doute bien des choses sous sa tranquillité et sa prospérité, il y a un pas que les romanciers nous invitent à franchir.
Pierre Mazet http://www.pierre-mazet.com/
Présentation de l'éditeur
Le reporter suédois Alf Matsson a disparu en Hongrie. Le magazine qui l'emploie a bien l'intention d'exploiter le scoop, mais le ministère des affaires étrangères, qui ne veut pas d'histoires avec le bloc de l'est, ne l'entend pas de cette oreille. Pour le retrouver sans faire de vagues, Martin Beck est envoyé d'urgence en Hongrie. Malgré toute sa ténacité, son enquête bute très vite sur des obstacles infranchissables, chacune de ses avancées rendant le mystère de plus en plus épais... Maj Sjôwall et Per Wahlôô, ont écrit, entre 1965 et 1975, une série de dix romans mettant en scène l'enquêteur Martin Beck et son équipe. Cette œuvre, influencée par Ed Mcbain, et qui a marqué de son empreinte la littérature policière occidentale, est republiée dans des traductions entièrement revues à partir de l'original suédois.
11:00 Publié dans 03. polars nordiques | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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