05/01/2012
Entretien avec Sandrine Berthier
Un entretien de Paco avec Sandrine Berthier
"Ecrire c’est s’offrir la possibilité de ne plus être jamais seul. Où que l’on soit nos personnages nous suivent." Sandrine Berthier
Au mois de novembre 2011, je vous ai présenté un roman intitulé "L'assassin du canal", de Sandrine Berthier, aux éditions Ravet-Anceau. Pour ma part, un coup de cœur... Sandrine a accepté d'échanger quelques mots avec moi, pour le blog, respectivement pour vous, et je la remercie chaleureusement. Ce bel échange permet de connaître un peu plus Sandrine Berthier alors... Bonne lecture...
Paco: peux-tu te présenter en quelques mots ? Je sais, bien entendu, que tu viens d’écrire un roman que j’ai énormément apprécié, « L’assassin du canal ». Mais sinon, qui est Sandrine Berthier ?
Sandrine Berthier : bonjour, je suis enchantée de répondre à ton questionnaire, enchantée et flattée. Je vais essayer d’avoir des réponses sinon intelligentes, du moins pertinentes. « L’homme en rouge » est enfin reparti, on va pouvoir souffler un peu.
Je suis du Nord de la France, née à Dunkerque, au pied de Jean Bart notre héros et notre père à tous. Mon père travaillait à Sollac, il était sidérurgiste, ma mère dans une entreprise de matériel paramédical. J’ai un petit frère qui désormais fait 21cm de plus que moi. Et une sœur beaucoup plus jeune que moi.
Mon père était de Cappelle-la-Grande, ma mère de Coudekerque-Branche, de l’autre côté du canal. Déjà ! Et moi, Cappelloise, j’ai rencontré un Coudekerquois, on ne se refait pas ! Je suis mariée et j’ai deux filles adorables. Mais, pour des raisons professionnelles et bassement matérielles, il a fallut que je déménage. J’habite près de Chartres. C’est une région qui par son côté plat évoque un peu la Flandre, l’odeur de sel en moins.
Je suis très proche de mes racines ; ma famille habite toujours Dunkerque ; je reviens souvent dans le Nord ; j’écris sur le Nord ; ma généalogie est un réservoir sans fond de noms de familles dans lequel je puise pour nommer mes personnages.
Dans ma famille (une pensée spéciale pour mon père et mon grand-père), la lecture a toujours eu une grande importance. A l’âge d’entrer au CP, mon grand-père m’avait dit, sur le ton de celui qui partage le secret d’un trésor, que j’allais enfin apprendre à LIRE ! Que j’allais pouvoir découvrir des mondes merveilleux et que grâce à cela j’allais apprendre plein de choses mais aussi que plus jamais je ne serai seule. Il avait raison. J’ai découvert des choses extraordinaires grâce à la lecture. C’est pour cela aussi que depuis lors j’écris. Toutes sortes de choses. J’ai toujours quelque chose en route. Bien sûr, jamais rien de terminé, de « présentable ». Comme beaucoup, j’écrivais d’abord pour moi.
Je suis quelqu’un d’actif, parfois trop. En plus de mon travail, de ma famille, de mes enfants, de l’écriture, je suis présidente de l’association de Parents d’élèves de ma ville. Et nous avons beaucoup d’actions à mener chaque année. Du coup je suis un peu fatiguée en ce moment. Mais tellement heureuse d’avoir mené ce projet d’écriture à bien.
Paco : comment es-tu entrée dans le monde de l’écriture ? Une passion ?
Sandrine Berthier : j’adore écrire. Au cours de mes études, j’ai tout fait pour abandonner les maths ! J’ai fait un Bac B (coefficient en maths équivalent avec les autres matières donc rattrapable) et une licence de Lettres Modernes. Il y a deux ans, j’ai découvert que Coudekerque organisait un salon du livre sur le thème du polar, avec un concours de nouvelles. J’adore les polars. Alors j’ai décidé de participer, sans savoir que derrière le concours se cachaient les éditions Ravet-Anceau et Polars en Nord. Je suis une lectrice de cette collection depuis plusieurs années. Le premier prix était d’être publié dans un recueil de nouvelles. J’ai eu la chance de gagner ce concours, j’en suis très fière ! A cette occasion, j’ai rencontré d’autres auteurs Ravet : Christophe Lecoules, J. Wouters (que j’ai revue lors de manifestations) et Maxime Gillio, qui va devenir mon patron en janvier (il reprend la direction de la collection).
J’avais fait lire cette nouvelle à mon mari mais aussi à deux de mes collègues de travail. Ils m’ont encouragée à retravailler. Mon roman était à l’origine une nouvelle, la suite de la nouvelle publiée. C’est parti d’une boutade entre collègues mais je n’en dirai pas plus pour ne pas trop en dévoiler.
Paco : peux-tu nous expliquer comment se noue le contact avec une Maison d’Edition ? Toute une aventure ?
Sandrine Berthier : pour moi, les choses se sont passées autrement. Suite à ce concours de nouvelles, j’ai rencontré Gilles Guillon au salon du livre de Coudekerque en 2009. Je lui ai dit que j’avais écrit une autre nouvelle, il m’a dit de transformer ça en roman. Ce que j’ai fait, et je lui ai envoyé par courrier. Après les choses se sont faites à distance, puisque j’habite Chartres.
Paco : combien de temps consacres-tu à l’écriture ?
Sandrine Berthier : pas assez de temps, je le regrette ; je ne peux travailler que le soir après 21h00 ou quelques fois le mercredi, voire un peu le week-end. Entre le boulot, la vie de famille et mon asso, il faut que je gère un emploi du temps de ministre ! Parfois je me laisse déborder et je reste veiller tard, alors le lendemain les réveils sont difficiles !
Paco : « L’assassin du canal » est sorti cette année aux éditions Ravet-Anceau. Tu t’es dit un matin en te réveillant que tu allais écrire un roman ? Comment un tel projet prend-il vie ?
Sandrine Berthier : j’ai beaucoup réfléchi quand j’ai participé au concours de nouvelles. Je ne savais quel sujet traiter : meurtre, vol… Jamais pourtant je ne me suis dit que l’aventure allait se poursuivre par un roman. Je n’en demandais pas tant. Jamais non plus je n’aurais imaginé que mon héros allait reprendre du service. D’ailleurs, dans la nouvelle, il n’a pas encore de prénom. On l’appelle Decanter simplement. Nicolas est venu pour le roman parce que je voulais jouer sur le côté humain et parce que ce personnage s’était construit dans ma tête et qu’il a accepté qu’on parle un peu de lui. Parfois les personnages prennent des décisions que vous êtes obligé(e) de suivre. Mais Nicolas est pudique, il ne se dévoile pas entièrement. En Off, il a fait preuve de beaucoup de courage, c’était un super héros quand il était flic dans la capitale mais il n’aime pas en parler, les honneurs et tout ça ce n’est pas pour lui. Il veut juste faire son travail.
J’avais le choix d’écrire une autre histoire ou de transformer la deuxième nouvelle en roman. C’est ce que j’ai fait mais cela a été un défi. C’était la première fois que j’allais au bout d’un projet. Allait-on aimer mon travail ? Mon mari l’avait lu, mais il a forcément un a priori positif. Il me fallait un avis plus extérieur. Alors, j’ai demandé à deux collègues de travail de me relire. Ils ont accepté gentiment. Vous les retrouvez dans les collègues de travail de Lucien Duval : Patrick e t Brigitte (son mari est vraiment Dominique). D’autres de mes collègues ont un clin d’œil aussi : Catherine et Nelly par exemple. Peut-être est une marque de jeunesse dans l’écriture mais à l’approche de la quarantaine se faire qualifier de jeunesse n’est pas désagréable ! Aujourd’hui je suis invitée dans quelques salons et dédicaces. Je ne peux être disponible tout le temps car je suis loin de la région Nord. Je le regrette. Mais dès que je peux je me rends disponible, c’est très intéressant de rencontrer le public. J’adore échanger avec les personnes qui ont lu le livre ou vont le lire. On fait des rencontres très intéressantes.
Paco : l’idée était d’écrire un polar à tout prix ?
Sandrine Berthier : le roman a repris le personnage de la première nouvelle donc c’était forcément un polar mais j’essaie de garder un côté un peu humoristique. Il faut savoir garder de l’humour.
Paco : comment t’es-tu documentée pour les détails sur les procédures policières ? Coachée par le lieutenant Decanter ??
Sandrine Berthier : je lis beaucoup, de tout mais aussi et surtout des polars. Après j’oublie ce que j’ai lu, parfois il m’arrive d’emprunter le même livre deux fois ! Mais je m’en rends compte très vite. En fait, ce n’est pas pour « piquer » des idées c’est pour s’imprégner d’une ambiance, d’un langage. Je regarde aussi beaucoup d’émissions de télé, de séries… Cela parfait une culture. En fait, j’engrange des infos et au moment où j’écris ces infos reviennent automatiquement. Parfois, pour certains sujets précis je fais des recherches plus approfondies : web, livres, questions à un « expert » (je me suis renseignée auprès de mon beau-père pour le Tiercé). Je connais bien la géographie de Coudekerque et des environs mais quand je veux des détails ou pour vérifier mes souvenirs, j’a trois solutions : je vérifie quand je reviens dans le Nord, j’envoie mon père ou mon frère, ou je travaille par Google maps.
Paco: tes sources d’inspirations pour ce roman ? Des faits réels au départ ? Quel est l’élément qui t’a donné l’idée de choisir comme trame de fond toutes ces morts violentes près du canal ?
Sandrine Berthier : je n’ai pas travaillé à partir de faits réels, les morts de la Deûle c’est arrivé bien après ! Je ne voulais pas que ce soit trop gore, il fallait une façon de tuer « propre ». Les pousser dans l’eau était la façon la plus simple de tuer. Je voulais rester pragmatique. En fait, j’ai cherché ce qu’il y avait d’emblématique sur Coudekerque (géographie, architecture…). Et sur Coudekerque, il y a beaucoup de canaux. Alors j’ai réalisé un « ch’ti tour du crime », Coudekerque by night, ses canaux, ses cadavres ! Mes collègues à Chartres ne savent pas vraiment ce qu’est un canal et à quoi il sert. Ici, on a l’Eure, le Loir… Alors je leur explique : les watergangs, les péniches…
Paco: l’histoire se déroule dans ta région, à Coudekerque-Branche. Tu voulais absolument créer une intrigue dans ton patelin ?
Sandrine Berthier: chez Ravet, les auteurs ont tous leur secteur de prédilection. Comme Coudekerque était le sujet de la première nouvelle et que personne n’avait investi ce secteur géographique… Mais si Decanter travaille à Coudekerque, il habite Cappelle ! Il fait partie du club d’échecs Cappellois avec Jules Delaeter. Il est allé à l’école Pasteur, comme moi.
Paco: j’attache une importance capitale aux personnages d’un roman. Comment sont « nés » les protagonistes de « L’assassin du canal » ?
Sandrine Berthier : je trouve important que les « petites gens » soient autant au centre de l’histoire que les « héros ». Chaque personnage a une histoire. Decanter était le héros de la première nouvelle, il porte le nom de mon grand-père et le prénom de mon filleul. C’est un héros « sans peur et sans reproche » mais avec un peu de brioche. Les frites, sans doute ! Decanter est affecté au commissariat de Coudekerque (agrandi pour l’occasion). Il est sous les ordres du commissaire Oudaert, ex-flic de choc, pantouflard depuis une affaire qui a mal tourné. Decanter est secondé par Sylvain, jeune recrue dynamique et motivée. Le légiste, Jules Delaeter, est un Cappellois, comme Nicolas Decanter. Tous deux font partie du club d’échecs. Jules cultive l’humour potache pour lutter contre toutes les images horribles auquel il est confronté. Ami de longue date de Decanter, il l’a soutenu quand il a vécu des évènements difficiles lors d’une enquête sur une secte (quand il était en poste à Paris). Decanter est un héros mais « sans flingue surdimensionné ». Il a des défauts et des faiblesses. Il est comme tout le monde, il est humain, il a ses failles. Le personnage du flic ripoux, alcoolique et désabusé ça va bien 5 minutes. Ce n’est pas la réalité. Il y en a, c’est normal, comme dans chaque catégorie de la population. Mais ce n’est pas la règle. Les flics sont avant tout des hommes (et je n’ai pas de flic dans ma famille).
Les victimes sont également importantes : Lucien Duval d’abord. C’est la première victime. Un personnage tellement lisse qu’être assassiné ce n’était pas pour lui. Ce n’était pas un ange, c’était juste quelqu’un de bien, sa mort sera vengée. Vovelle le SDF était lui aussi un personnage positif, tout comme le maître de Barney. Le SDF était un homme qui n’avait rien demandé à personne et essayait de s’en sortir seul. Le troisième, Duport, n’est pas de la même eau : ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on est innocent ! C’est une pépite celui-là. Le médecin est aussi un homme radieux. Mais il n’y a pas que des humains qui soient victimes il y a aussi un canard et un chien.
Côté personnages secondaires, l’abbé Caron était le prêtre de Cappelle. Mélanie est ma filleule. Mais elle est comme sa marraine, elle n’aime pas trop le monde des chiffres. C’est plutôt un hommage à sa maman, ma marraine.
J’aime les personnages secondaires, je raconte un peu leur vie. Je n’enjolive pas les choses. La région Nord est souvent, à tort, décrite comme une région défavorisée avec un taux important de « petites gens ». Des personnes qui n’ont pas d’argent, subissent le chômage et n’ont pas fait d’études longues. Je suis du Nord, d’une famille d’ouvriers, j’ai un travail, je vis correctement et j’ai une licence de Lettres. Il ne faut pas laisser libre court à tous ces préjugés. Mes « petites gens » n’ont pas d’argent mais ce sont des gens bien, ils font ce qu’ils peuvent. Je ne les juge pas.
Paco : aurons-nous la chance de retrouver l’équipe du lieutenant Decanter ? As-tu des projets ?
Sandrine Berthier : oui, mais pas tout de suite. Je suis sur un autre projet, un autre polar mais pas avec les mêmes personnages. Decanter reviendra bientôt, on en saura alors plus sur l’affaire qui l’avait déstabilisé à Paris. Et on découvrira la belle ville de Cappelle-la-Grande !
Paco : tu animes un blog : http://sandrineberthier.canalblog.com Que pouvons-nous découvrir sur cette plateforme ?
Sandrine Berthier : j’y mets des photos des salons, des séances de dédicaces. J’ai également des albums sur les lieux emblématiques du livre ; de temps en temps, je donne quelques détails supplémentaires sur les personnages. Vous pouvez y voir les lieux des meurtres. Il y a également une rubrique sur la région Nord et une rubrique « Recettes de chez nous ». Vous pouvez y laisser des messages, des questions, j’y répondrai volontiers.
Paco : aurais-tu un conseil pour celles ou ceux qui voudrait se lancer dans l’écriture ?
Sandrine Berthier : persévérer, se faire confiance. Notre plus grand obstacle c’est nous-mêmes. Et soigner l’orthographe. Parole d’ex prof et ex-maîtresse d’école. C’est important. On peut toujours faire des fautes d’inattention mais autant faire les choses bien. Ecrire c’est s’offrir la possibilité de ne plus être jamais seul. Où que l’on soit nos personnages nous suivent. Avant le point final d’une histoire, chaque scène est rejouée 100 fois dans ma tête. D’où l’intérêt d’avoir des personnages positifs de temps en temps.
Paco : Sandrine, je te remercie d’avance pour le temps que tu as consacré pour répondre à ces questions. J’espère que nous aurons la chance de découvrir une nouvelle enquête menée par notre lieutenant Decanter !
Sandrine Berthier : merci de cette interview ! Je suis flattée que tu aies apprécié mon roman et d’être dans la même rubrique que Franck Thilliez !
Un grand merci à Sandrine Berthier d’avoir pris le temps de répondre aux questions pour les visiteuses et visiteurs du blog !
16:31 Publié dans 07. Les plus récents entretiens avec des auteurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
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