15/03/2012
Casanova et la femme sans visage, de Olivier Barde-Cabuçon
Une chronique d'Albertine
Polar et roman historique, le récit d’Olivier Barde-Cabuçon se déroule en 1757, sous le règne de Louis XV. Nous sommes dans une époque d’absolutisme, travaillée par la philosophie des lumières, dans l’entre-deux du cercle du pouvoir, et de la société civile, incarnés respectivement côté cour par la marquise de Pompadour et de Sartine, côté jardin, par Volnay, jeune « commissaire aux morts étranges », ainsi que la jeune et belle aristocrate italienne Chiara, le surprenant comte de St Germain et le moine sans nom. Tous ces personnages nous feront évoluer dans une atmosphère d’intrigues de cour qui va rendre l’intrigue policière particulièrement subtile. Diverses coteries (le parti dévot, la franc-maçonnerie et la confrérie du serpent) s’affrontent, faisant de la résistance politique au pouvoir d’un souverain dépravé, ignorant tout de son peuple, et s’opposant entre elles sans merci. Bref, nous sommes dans un contexte très finement décrit, qui nous initie aux prémisses de l’ère révolutionnaire. La violence est partout, dans la rue où mieux vaut se déplacer avec son épée ou sa dague, dans les rapports mondains comme dans les rapports sociaux.
Les personnages sont particulièrement insolites, fine fleur de la pensée critique de l’époque et experts en maints domaines. Ainsi Volnay, dont la tristesse et la rigidité n’ont d’égale que l’honnêteté et la perspicacité, sera capable de conduire une enquête, maints duels, et de tomber amoureux de Chiara d’Ancilla dès leur première rencontre. Il faut dire que le jeune italienne a tout pour plaire : elle est également en mesure de discuter philosophie, de s’intéresser aux sciences naissantes et anciennes, et de faire monter la pression entre les deux hommes qu’elle a séduits, Volnay et Casanova. Voilà notre homme, Casanova, éblouissant personnage, homme d’expérience, libertaire et hédoniste, qui apparaît toujours au moment inopportun et se sort de toutes les situations embarrassantes dans un grand rire : « Qui n’avait entendu parler de Giacomo Girolano Casanova, le vénitien, tour à tour banquier, escroc, diplomate, officier, spadassin, espion ou magicien et, bien entendu, toujours ? Casanova, c’était un mythe qui marchait précédé de sa réputation ». Les deux hommes (Volnay et Casanova) tournent autour de l’énigme de la morte sans visage, et de la belle de leur cœur, Chiara ; laquelle tourne autour d’eux pour le compte de la marquise de Pompadour tout comme tournent autour d’eux de nombreuses « mouches » qui espionnent les protagonistes pour s’emparer de leur supposé secret, une lettre compromettante pour le roi.
De fait la mort de la malheureuse « femme sans visage », dont l’origine n’a rien à voir avec des secrets de cour mais bien plus avec la malveillance de quelque « assistant »indélicat, n’est pas ce qui motive ce tournoiement de personnages obscurs et malveillants, grâce auxquels le récit d’Olivier Barde-Cabuçon saute de péripétie en péripétie, toutes plus surprenantes les unes que les autres. Sa mort hideuse n’intéresse que Volnay, qui saura séparer le bon grain de l’ivraie.
La révélation du secret n’est pas sans surprendre, tout comme l’ultime missive de Casanova à Volnay, son rival en amour, à qui il aura tout de même sauvé multe fois la vie, sans en avoir en retour la moindre reconnaissance. Casanova, fin connaisseur de l’âme humaine nous aura donné bien des leçons de « savoir vivre » dans ces aventures, et lui-même aura à méditer sur le sens d’une vie strictement hédoniste. Quant au jeune Volnay, qui révèle dans les dernières pages du roman le sens de sa relation avec le moine sans nom, il aura également beaucoup à méditer sur les leçons de Casanova. S’il sort indemne de son duel avec lui, il aura à comprendre que l’hédonisme peut être aussi un amour généreux de la vie.
Ce récit est servi par une grande maîtrise de la langue et une véritable jubilation dans l’enchaînement des situations rocambolesques. L’auteur dessine des personnages inoubliables (et nous n’avons pas parlé du comte de St Germain qui à lui seul est un mystère vivant), dans un contexte politique pré-révolutionnaire vieux de deux siècles et demi, et qui est analysé par les protagonistes avec une modernité de pensée convaincante même s’il s’agit d’un anachronisme : « Tuer un tyran est une chose, si c’est pour le remplacer par un autre… ». Quant à l’enquête policière, elle n’est pas escamotée par la grande histoire, et quelque grain de sable, de folie, de prière, va venir établir la preuve du crime.
Que l’auteur le sache : nous l’attendons sur d’autres romans.
Albertine, le 12 mars 2012
Casanova et la femme sans visage
Olivier Barde-Cabuçon
Broché: 320 pages
Editeur : Actes Sud Editions (1 février 2012)
Collection : Actes noirs
22,50 €
Présentation de l'éditeur
Après avoir sauvé Louis XV de la mort lors de l’attentat de Damiens, et malgré son peu de goût pour la monarchie, le jeune Volnay obtient du roi la charge de “commissaire aux morts étranges” dans la police parisienne. Aidé d’un moine aussi savant qu’hérétique et d’une pie qui parle, Volnay apparaît comme le précurseur de la police scientifique, appelé à élucider les meurtres les plus horribles ou les plus inexpliqués de son époque. Epris de justice, c’est aussi un homme au passé chargé de mystère, en révolte contre la société et son monarque qu’il hait profondément. Lorsque, en 1759, le cadavre d’une femme sans visage est retrouvé dans Paris, Volnay doit conduire une enquête sur le fil du rasoir avant que le meurtrier ne frappe de nouveau. Surveillé de près par Sartine, le redoutable chef de la police qui voit d’un mauvais œil ce policier hors normes, Volnay, aidé à cette occasion par le libertin Casanova en personne et une jeune aristocrate italienne tournée vers les sciences et le progrès, remonte la piste d’un crime qui pourrait impliquer la Pompadour et Louis XV lui-même. Mais entre des alliés incertains et des adversaires redoutables, à qui le commissaire aux morts étranges peut-il se fier ? Des intrigues de la Cour de Versailles à la mystérieuse maison du Parc-aux-Cerfs, Casanova et la femme sans visage restitue avec une stupéfiante justesse, dans l’atmosphère si particulière de l’époque, les étonnants personnages que sont Louis XV, la marquise de Pompadour, Casanova et la figure énigmatique du comte de Saint-Germain, et inaugure une série policière des plus prometteuses.
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Commentaires
Bonsoir,
Merci pour votre beau commentaire et cette analyse très pertinente de mon roman, de ses personnages et de ce XVIIIème siècle entre ombres et lumières.
Je me suis permis de mettre un lien vers votre blog sur mon site officiel (http://olivierbardecabucon.oldiblog.com/).
La prochaine aventure du commissaire aux morts étranges et de son "moine sans nom" (n'oublions pas leur pie qui parle !) paraîtra en février 2013.
A très bientôt.
Bien amicalement.
Olivier Barde-Cabuçon
Écrit par : Olivier Barde-Cabuçon | 15/03/2012
Oui, il s'agit là d'un très bon roman policier à connotations historiques.
Toutefois certaines petites erreurs historiques ou de lieux sont navrantes. Au printemps 1759 on ne peut regretter la perte du Canada puisque la Bataille décisive eut lieu le 13 septembre 1759 et la reddition finale en avril 1760. Également le dépucelage de Louis XV n'a pu être ¨commandé¨ par le Régent lors des 14 ans du roi, puisque ce dernier est né en 1710 et le Régent décède en 1723. Enfin, lors de la rencontre de Volnay et de Louis XV, ce dernier le reçoit dans son cabinet de travail. Dans cette scène, l'auteur indique que le roi regarde par la fenêtre et aperçoit une jeune fille dans un parc. Or, les deux cabinets de travail de Louis XV donnaient sur la Cour de Marbre et de là, sur la Cour des Ambassadeurs. Nul parc n'est visible de ces fenêtres. Alors, où regarde t-il ?
Malgré ces petits égarements, je conseille sincèrement ce roman a tout lecteur qui aime ue polar historique, bien ficelé avec des personnages attachants et une époque bien illustrée. Un véritable plaisir!
Vivement le prochain !!!
Salutations cordiales
Michel Plante
Écrit par : Michel Plante | 03/04/2012
il ne s'agit pas d'un commentaire mais d'une information :
Olivier Barde-Cabuçon, prix Sang d'Encre 2012 (au Festival du polar de Vienne)
A tout seigneur, tout honneur, le Grand Prix Sang d'Encre a cette année été remporté par un auteur de la nouvelle vague du polar, Olivier Barde-Cabuçon pour son ouvrage « Casanova et la femme sans visage » paru chez Acte Sud.
Il s'agit d'un polar historique qui se déroule au temps de Louis XV et met en scène le jeune Volnay qui obtient du roi la charge de “commissaire aux morts étranges”. Aidé d’un moine aussi savant qu’hérétique et d’une pie qui parle, celui qui apparaît comme le précurseur de la police scientifique est appelé à élucider les meurtres les plus horribles ou les plus inexpliqués de son époque... En 1759, le cadavre d’une femme sans visage est retrouvé dans Paris. Dans cette enquête le commissaire se fait aider du libertin Casanova et du Comte de Saint Germain...
référence :
http://www.vivre-vienne.fr/actualite/Olivier-Barde-Cabucon-g
Écrit par : albertine | 27/11/2012
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