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01/05/2012

Entretien avec Joseph Incardonna

incardonna.JPG"Les mots existent, ils sont faits pour être utilisés. Les mots crus servent une histoire crue, violente, dure, excessive. On n’est pas chez Virginia Woolf. L’indécence, la vulgarité, comme le disait Charles Bukowski, se situe dans le fait de mal écrire, pas dans l’usage des mots soi-disant « vulgaires »." Joseph Incardona (Trash Circus)


 

Voici quelques questions que j'ai absolument voulu poser à Joseph Incardona concernant son roman "Trash Circus". Il faut admettre que son livre est excessivement cru, choquant et dur. Si comme moi vous tenez à savoir ce qui a motivé l'auteur à écrire un tel ouvrage, cet interview répondra, je pense, à bien des questions que vous vous posez. Il faut dire que Joseph Incardona s'est montré très généreux dans ses réponses. Bonne lecture!

 
Paco : « Trash Circus »… Dans ma chronique, j’ai donné ma version sur ce titre assez significatif. La version officielle c’est quoi ? Pourquoi ce titre ?

 
Joseph Incardona : initialement, ce roman devait s’intituler « Connecting People », allusion au slogan de Nokia et au problème d’échange involontaire de téléphones portable dans la dernière partie de l’histoire, ce qui va perdre Frédéric Haltier.

 
Il y avait aussi l’idée de prendre à contre-pied, ce slogan absolument vide de sens puisque, dans l’univers de mon personnage, les individus sont tous sauf connectés entre eux, mais plutôt voués au « struggle for life ». C’est une connection factice, slogan uniquement destiné à vendre, à faire du profit. Aujourd’hui, 70% des échanges de communications (portables, mails, Facebook…) sont tout à fait inutiles si ce n’est enrichir les grands groupes de téléphonie mobile. Nos sociétés véhiculent, la plupart du temps, du bruit, du rien. Tout sauf de la communication et de l’échange. La désolation totale.

 
L’éditeur de Parigramme, François Besse, a déjà eu par le passé (récent) un procès (qu’il a gagné) parce qu’une de ses auteur a mentionné dans un roman un lieu de commerce parisien et que celui-ci a entamé des poursuites pour avoir utilisé le nom de l’enseigne.

 
Face à Nokia, nous n’aurions eu aucune chance si ce cas de figure s’était présenté. La censure s’est donc faite en amont. J’ai été d’accord pour changer ce titre et le remplacer par celui qui m’a été proposé, à savoir Trash Circus. Le cirque des médias, le cirque poubelle, pas celui plus noble des arts vivants.

 
Paco : dans certain roman, on retrouve parfois un côté un peu choquant, provocateur. Dans le votre, c’est carrément l’inverse ! Il faut se lever tôt pour trouver un passage qui n’est pas choquant, voir indécent. Pourquoi ce choix ? Il faut admettre que c’est assez extrême non ?

 
Joseph Incardona : personnellement, je ne vois pas de problème à utiliser les termes censés expliquer, raconter une histoire particulière. Les mots existent, ils sont faits pour être utilisés. Les mots crus servent une histoire crue, violente, dure, excessive. On n’est pas chez Virginia Woolf. L’indécence, la vulgarité, comme le disait Charles Bukowski, se situe dans le fait de mal écrire, pas dans l’usage des mots soi-disant « vulgaires ».

 

 
Je m’étonne que certains critiques n’aient pas vu le travail sur le langage, la fluidité nécessaire à une telle histoire, le rythme, le souffle, ne jamais baisser la garde, rester tendu ou encore le fait, par exemple, d’avoir utilisé à certains moments des descriptions toute faites – trouvée sur le site d’Air France, du Bouddha Bar, de l’hôtel Amrath, du stade Gerland, etc. – de lieux fréquentés par le personnage, des lieux qui n’en sont pas, désumanisés en quelque sorte et, justement, décrits de cette façon informelle car le seul but est celui de vendre, de séduire. L’homme y est juste un consommateur.

 
Paco : le personnage principal… Frédéric Haltier (Altier ?), tout évolue autour de lui. C’est la caricature du parfait abruti, du petit connard qui se la pète et qui est prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut. Ecraser les autres ! Cet anesthésié de la moral – comme j’aime l’appeler – est né de quelle manière ? Etant donné que c’est vous qui l’avez créé, ressentez-vous tout de même un certain attachement pour ce minable ? Une certaine estime ?  

 
Joseph Incardona : j’ai lu quelque part sur un site que Frédéric Haltier (Altier, oui, très juste) est une sorte de virus, d’où l’utilisation du « je » narratif. C’est une description parfaite de ce qu’est ce personnage, je remercie ce lecteur d’avoir mieux que moi-même décrit ce qu’est, symboliquement, Frédéric Haltier. Un virus dans le sytème, un électron libre, la conséquence physique, matérielle, immorale, d’un versant possible de notre société. En ce sens, il est presque une caricature. Mais il faut forcer le trait pour mettre en garde. Si on n’est pas excessif dans un livre alors vaut mieux laisser tomber. La littérature est un miroir déformant, un thermomètre au mercure bouillonnant. Surtout le roman noir.

 
Il me fallait donc un virus. Il est né avec ces émissions de télé-réalité qui sont de la pure décadence : morale, esthétique, sociale, affective. S’il a fallu plus de 3 millions d’années d’évolution humaine pour en arriver là, alors, c’est que la vie, l’existence, n’a plus aucune valeur.

 
Quant à de l’attachement, eh bien oui, j’en ressens parce qu’il découle de l’attachement, de l’importance de ce que je suis en train de faire, d’écrire. Ce n’est pas le personnage mais le livre auquel je suis attaché. C’est comme un comédien qui interprète le rôle d’un salaud : pour bien jouer le salaud, il doit aimer son rôle, y trouver du plaisir, parce qu’il sait qu’il va servir une cause supérieure qui est une réflexion sur le salaud dans notre société : d’où vient-il ? Pourquoi est-il salaud ? Comment son attitude interagit-elle avec le monde, etc. ?

 
Le crime, le délit est toujours le reflet d’un moment donné de l’histoire. C’est le contexte social, économique, politique, historique qui déterminent le crime ou le comportement néfaste (ou positif, pourquoi pas ?). Le mauvais ne naît pas du vide, ile st toujours une conséquence. Je vous mets au défi de trouver un serial-killer dont l’enfance a été heureuse. Il y a une responsabilité globale, sociétale du crime. On ne peut pas l’ignorer. Frédérique Haltier, ce minable là, est important parce qu’il nous dit quelque chose sur nous-mêmes, sur notre pays, notre culture, etc.

 
Paco : franchement, il n’y a presque que le cul qui l’intéresse. Et il faut en plus que cela soit d’une violence extrême pour qu’il puisse se lâcher... Pourquoi avez-vous voulu que ce personnage soit aussi cynique et immoral ?

 
Joseph Incardona : je crois que j’ai déjà répondu avec la question suivante sur le cynisme (par celui de Diogène, mais dans le sens contemporain du terme) et l’immoralité.

 
Pour ce qui est du cul, c’est parce que le cul, c’est tout ce qui reste quand l’amour, l’amitié, la tendresse, l’idéal ont foutu le camp. Le cul est le dernier à mourir. C’est l’atavisme de la condition humaine, de la survie, de la reproduction de l’espèce. Par un paradoxe de l’histoire, cet homme qui roule dans une Porsche Boxster – vitrine mécanique du génie humain – est un cro-magnon. Le cul est le seul endroit où il est absolument sincère. Ce n’est pas pour lui un acte d’amour, mais un acte sexuel. Fred est distordu, perdu également dans sa sexualité (qui est double et sado-masochiste). En ce sens, il n’est pas bi-sexuel mais ni hétéro ni homo. Il a juste besoin de faire mal ou d’avoir mal pour jouir. Peu importe son partenaire ou son genre, car il ne le voit même pas, en fait. Il ne conçoit pas le plaisir, sa plénitude, sans qu’il soit filtré à travers la notion de mal, concrètement, dans la douleur.

 
Paco : il faut être courageux. Personnellement j’ai adhéré. Mais vous n’avez pas peur que vos lectrices et lecteurs ne vous suivent pas sur ce coup-là ? C’est tout de même extrême...

 
Joseph Incardona : un peu de courage pour l’écrire et pour le publier. Mais bon, c’est très relatif. Il y a des actes de bravoure et de courage bien supérieurs à celui d’écrire un tel livre, surtout lorsque la liberté d’expression nous le permet.

 
Pour ce qui est de « mes » lecteurs, je dirais : à chaque livre, j’essaie d’aborder le roman noir par un prisme, un angle d’attaque différent. J’espère donc être à la fois moi-même et quelqu’un d’autre à chaque nouveau livre, me répéter le moins possible. Je sais que ça peut être déroutant. Mais pour la répétition du même, le quotidien suffit.

 
Paco : le langage cru et profondément obscène que vous employez dans Trash Circus, c’était essentiel pour vous ? Le but était quoi ? Le maximum d’insultes en minimum de temps ?   

 
Joseph Incardona : le langage est fonction d’un milieu. Il le représente, le définit et inversément. Je n’emploierais pas le mot « insultes ». Je crois que j’ai déjà répondu plus haut. L’obscénité, je peux la trouver dans le langage politique courant, par exemple.

 
Paco : Frédéric Haltier est un inconditionnel des bastons qui suivent les matchs de foot. Sa drogue se trouve dans le milieu hooligan. Pour vous, c’est un réel problème de société ? Etes-vous intéressé par ce phénomène ?

 
Joseph Incardona : ce phénomène m’intrigue. Il est de plus en plus circonscrit, limité. D’ailleurs le Paris Saint-Germain de mon livre n’est déjà plus celui d’aujourd’hui, qui est devenu une multinationale comme tous les grands clubs d’Europe et permet, notamment, l’investissement frauduleux et le recyclage de l’argent sale. Je me suis toujours intéressé à ce phénomène. Il faut lire les livres de John King (Football Factory, La Meute, Aux couleurs de l’Angleterre) ou encore Parmi les hooligans de Bill Buford. Ou simplement regarder des documentaires sur Dailymotion. D’une certaine manière – et ça je le dis de front dans Trash – je ne peux pas totalement condamner ces types qui vont se foutre sur la gueule le samedi sur un parking (de commun accord, je précise). D’une certaine façon, ils sont parmi les derniers qui refusent une sorte de mondialisation, d’uniformisation par l’argent et le pouvoir de l’argent (comme beaucoup d’autres choses) d’un sport autrefois populaire. A part les cas d’une infiltration politique, ces types sont des loups solitaires qui avancent en meute. Des nihilistes. Honnêtement, qui faut-il craindre le plus : 100 ultras d’un club du nord de l’Angleterre chargés au joint et à la bière ou les organisateurs (pour ne pas les nommer) d’une Coupe du monde en Afrique du sud qui est un vrai scandale humaine, économique, écologique et social ?

 
Paco : ce personnage va très loin pour pouvoir se profiler dans son job ; soit se mettre en avant en écrasant les gens qui évoluent autour de lui, sans état d’âme, même plusieurs fois de suite s’il le faut ! Ce genre d’individu existe bel est bien malheureusement. Avez-vous voulu « dénoncer » ce genre de comportement, d’une certaine manière ?

 
Joseph Incardona : Oui. Encore une fois. Il faut montrer pour être vigilant. Regardez ce type, vous le voyez ? Eh bien méfiez-vous en ! La littérature permet cela.

 
Paco : quelle question auriez-vous voulu que je vous pose concernant ce roman et qui vous semblerait fondamentale, voir essentielle ? Et quelle serait la réponse ?

 
Joseph Incardona : la gestation et l’écriture de ce roman a-t-elle été difficile ?

 
Oui. Car il faut rester en contact avec le mauvais, devenir ce personnage lors des cessions d’écriture. Croire à ce qu’on fait pour être crédible vis-à-vis des lecteurs. C’est éprouvant, mais ensuite on tente d’être meilleur de ce qu’on est. Il y a un côté « Actor’s Studio » dans le fait d’écire à la première personne sur un sujet qui vous éloigné dans la vie réelle. Mais l’écriture, comme le jeu du comédien, permet, le temps de la fiction, d’être le meilleur comme le pire. En fin de compte, c’est libérateur afin d’être au plus près de soi-même.

 
Paco : Joseph, après ce roman trash, noir et choquant, quelle est votre direction ? Vous nous réservez encore du plus noir ? D’ailleurs est-ce possible ça…


Joseph Incardona : comme je l’ai dit, l’angle d’attaque sera différent, complètement. Est prévu pour septembre, la sortie chez Baleine de « Misty », un roman-hommage, loufoque, tendre et tragique au « hardboiled » américain. Femmes fatales (oui, au pluriel), jazz, whisky… Les déboires d’un détective privé obèse qui n’est jamais là où on l’attend et qui doit se dépatouiller avec la Vie et la Mort.

 

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