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25/10/2013

Le chat Ponsard, d’André Fortin

 chat_ponsard.jpgUne chronique de Jacques.

André Fortin est un auteur expérimenté, habitué des intrigues policières qui s’inscrivent au cœur de notre époque. Il aime aborder les problèmes de notre société en dessinant un arrière-plan politique qui ajoute de la crédibilité à l’histoire. C’est le cas avec son dernier roman : le chat Ponsard, au titre décalé et ironique, choisi comme si le chat était le personnage principal du roman alors qu’il se trouve là comme observateur des étranges bipèdes que nous sommes, et nous permet, par sa seule présence, de prendre du recul sur le récit.

Outre le chat, nous découvrons un animal humain fort peu sympathique : une araignée, au cœur de sa toile patiemment tissée, et cette araignée est aussi un sénateur maire à l’avenir politique prometteur, sans doute futur ministre. Sa proie (ou son butin), c’est l’argent public, celui de la ville qu’il administre, un argent public détourné à son profit. Sa méthode, largement éprouvée et qui a prouvé son efficacité : des fausses factures. Son complice : un chef d’entreprise travaillant avec la mairie. Des sociétés fictives servent d’intermédiaire à une société ayant pignon sur rue et vont permettre, avec la complicité de cette dernière, de récupérer l’argent détourné. Tel est le point de départ de l’intrigue de ce polar, une intrigue qui, par la grâce de l’auteur et de ses personnages, va se complexifier au fil des chapitres pour nous donner un roman dans lequel la noirceur de l’histoire est tempérée par l’humour et une plaisante légèreté de ton.

Il y a deux points faibles reconnus dans un système de fausses factures. Le plus fréquent ce sont des fuites, dues à une vengeance ou à la maladresse de l’un des protagonistes. L’autre point faible est lié à des dysfonctionnements comptables. Lucien Ponsard est justement le responsable en chef de la comptabilité. Vieux garçon maniaque et tatillon, vivant seul avec son chat, il repère une erreur de TVA qui va le mettre sur la piste d’une magouille financière qu’il trouve moralement insupportable. De son refus d’accepter l’inacceptable, quelques drames vont suivre.

Deux points forts dans ce roman de Fortin. Le premier est la description méticuleuse, précise, détaillée, de la méthode mise en place par nos deux truands en col blanc. Le deuxième consiste en une galerie de personnages originaux, dont l’auteur a soigneusement travaillé les caractères et les particularités. C’est ce travail qui va lui permettre de donner une vraie épaisseur au chat Ponsard. Chacun des personnages a sa logique, son caractère original, son mode de fonctionnement qui va faire basculer inéluctablement cette magouille ordinaire du côté des crimes de sang.

Ces personnages si divers dans leur personnalité le sont aussi par leur statut social.

Tout d’abord, deux anciens pensionnaires d’une fondation privée qui recueille des enfants abandonnés, orphelins ou placés par la justice, qui ont glissé de la petite délinquance ordinaire aux contrats de type mafieux : Léonard et Ali.

Ensuite deux salariés qui auraient dû être sans histoire, mais qui vont pourtant en vivre une (d’histoire) peu ordinaire : Ponsard et sa secrétaire Louise. 

Et enfin le gratin de la société, ceux qui tirent les ficelles et par qui le scandale arrive, aussi peu recommandables qu’ils sont admirés ou enviés : Jean-Pierre Bernon, responsable de Bernon travaux publics, un homme faible, sans caractère, dominé par son épouse, et Gilles Rupert, le sénateur-maire, ancien soldat d’Afrique, arriviste cynique et sans scrupule.

S’y ajoute un aventurier, ancien mercenaire tireur d’élite au Katanga, bras droit du sénateur-maire qu’il a connu en Afrique, son homme de main aussi séduisant que dangereux : François Cano.

André Fortin prend le temps d’installer les personnages d’Ali et Léonard, et réussit le tour de force de les rendre plus sympathiques et attachants que les donneurs d’ordre. On comprend le parcours d’Ali, ancien enfant chétif martyrisé par des petites frappes brutales, qui s’est placé sous la protection de Léonard. Ballotté par la vie, il conserve une naïveté rafraichissante qui rend son comportement surprenant aux yeux de son entourage. La relation qu’il établit avec le chat de Ponsard, puis avec Louise, la secrétaire gentiment fêlée, le rend plus humain que ne le sont Bernon ou Rupert.

Ces derniers n’ont pas eu de chance, si tout s’était bien passé, ce détournement de fonds aurait pu rester ignoré de tous. Au pire, découvert simplement, l’élu serait passé en justice sans trop de dommages collatéraux et il aurait pu s’en remettre politiquement : les citoyens considèrent parfois la malhonnêteté d’un édile comme le signe évident de sa compétence, et parfois ils n’hésitent pas à le réélire après une période de purgatoire plus ou moins courte. Ici, il y aura bien un procès, mais ce ne sera pas celui des têtes pensantes, des chefs.

André Fortin, qui a été juge d’instruction et vice président du tribunal de Marseille, profite de son expérience de la justice pour nous présenter vers la fin du roman une scène de prétoire qui ne déparerait pas dans un polar judiciaire. Point d’orgue du récit, ce procès va le faire basculer en jetant une lumière crue sur les motivations de chacun. Tout y est : effets de manche d’un avocat brillant qui va se retrouver piégé par le dévoilement de cette vérité... Le vrai coupable, le deus ex machina, va-t-il finalement plonger ? Ou bien, comme souvent dans une société où l’argent est roi, son pouvoir politique et financier lui permettra-t-il d’échapper à la justice, laissant à celle-ci le soin de punir les seconds couteaux ? L’auteur maintient le suspense quasiment jusqu’à la fin du récit, pour notre plus grand plaisir.

Ce roman à l’écriture allègre et sans fioritures, qui oscille avec bonheur entre une histoire criminelle classique et une analyse psychologique ciselée, acide et sans concession, des chats comme des humains, se lit d’une traite. C’est un excellent travail de romancier, que nous fournit là André Fortin...

Jacques, lectures et chroniques

Le chat Ponsard,
André Fortin
Éditions Jigal, septembre 2013
243 pages ; 18 euros

 

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