10/12/2013
« Mais je fais quoi du corps ? », d’Olivier Gay
Une chronique de Jacques.
Nous le savons : l’incipit d’un roman donne parfois un aperçu de sa tonalité générale, une idée de son style, et dans le cas d’un polar il peut être aussi une clé qui nous ouvrira les portes de l’énigme, le vaste champ du suspense que nous, lecteur, attendons avec une impatience frémissante.
Ici, dès le prologue, nous découvrons l’efficacité du style de l’auteur, sa façon de happer l’intérêt du lecteur, la légèreté de son écriture, sa concision et son efficacité.
« D’après sa carte d’identité, elle s’appelait Coralie Edelmar. D’après son extrait de naissance, elle avait vingt-six ans. D’après ses fiches de paie, elle travaillait chez Microsoft France. Tout cela était faux. D’après ses parents, elle était surdouée – et ça, s’était vrai ».
Qui est cette jeune femme mystérieuse ? Quel rôle va-t-elle jouer dans l’histoire ? Il nous faudra pas mal de temps pour le découvrir, d’autant plus qu’à la suite du prologue, c’est le narrateur qui va prendre le relai et nous emporter dans un suspense fiévreux, avec une série de personnages dangereux, des questions sans réponses, une angoisse suscitée par l’auteur sur la question de l’avenir du héros de l’histoire.
Un héros éminemment sympathique. Certes, son métier de dealer de cocaïne n’est pas spécialement valorisé par les médias, même si certains journalistes ont la réputation d’être eux-mêmes de solides consommateurs de la chose, mais si John-Fitzgerald, alias Fitz, est un beau gosse au cœur d’artichaut et aux multiples conquêtes féminines, un spécialiste des nuits branchées parisiennes, il est aussi un garçon qui adore sa famille et prend la vie comme elle vient, avec décontraction et simplicité. Un jeune homme aussi généreux que fiable, des qualités qui lui permettent de conserver l’amitié fidèle de ses deux potes : Déborah, jolie prof de ZEP dans la banlieue et Moussah, grand black jovial travaillant dans la sécurité.
Fitz, qui a interrompu un repas de famille dans lequel il avait entrainé Déborah pour aller approvisionner en poudre blanche le médiatique député Georges Venard, découvre ce dernier à son domicile, tout ce qu’il y a de plus mort. Occis ? Suicidé ? Dans un premier temps, la police semble ne pas savoir, mais pour Fitz, les ennuis commencent.
Bob, un mystérieux hacker qu’il n’a jamais rencontré, mais avec qui il entretient de bonnes relations, rend une petite visite à son appartement à travers son ordinateur qui est resté branché, comme il le fait souvent. Il le prévient que des hommes sont chez lui avec des intentions qui semblent un tantinet suspectes, tellement suspectes que l’un d’eux déclare au téléphone à son présumé commanditaire « ... mais je fais quoi du corps ? ».
Tout bascule pour Fitz, garçon plutôt pacifique qui ne se connait pas d’ennemi. Dans son désir de comprendre ce qu’il se passe et son souci de sauver sa peau, il va aller au-devant d’aventures aussi rocambolesques que palpitantes pour le lecteur, qui vont nous tenir en haleine pendant les 300 pages du roman.
Il faut dire qu’Olivier Gay a une façon percutante de raconter son histoire. Les descriptions de ses personnages sont incisives, plaisantes et sonnent juste, comme lorsque Fitz nous parle d’Howard, son frère, avec qui il entretient un rapport ambivalent de rivalité affectueuse :
« Je n’ai rien contre Howard. Comme tous les grands frères, il m’avait volé des jouets lorsque j’étais plus petit, m’avait enfermé dans la salle de bain lorsque les parents n’étaient pas là et avait piétiné mes châteaux de sable. Mais je n’étais pas le genre d’homme à garder de la rancœur pour des batailles enfantines, et nos relations avaient su évoluer à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Pendant un certain temps, il avait même été un modèle pour moi – études brillantes, esprit brillant, amis brillants. Beaucoup de lumière en une seule personne. Nous avions trois ans d’écart et trois zéros de différence sur nos comptes en banque. Il avait suivi la voie royale, classe préparatoire, école de commerce, payée à la sueur de son front et de journées passées à préparer des hamburgers derrière des comptoirs de tel ou tel fastfood. Il avait des dents aussi longues que ses cheveux étaient courts, sagement coiffés en une brosse militaire ; il investissait des sommes folles dans des costumes à la sobriété déprimante ».
À travers les coups de théâtre et les rapports parfois compliqués que le narrateur entretient avec les femmes de l’histoire (Déborah ainsi qu’une ancienne petite amie de Fitz, qui est commissaire de police), l’intrigue se dévoile peu à peu, et nous commençons à en comprendre les enjeux. Naturellement, l’auteur conserve pour la fin quelques munitions qui procureront au lecteur un effet de surprise bienvenu.
Tout comme Les talons hauts rapprochent les filles du ciel et Les Mannequins ne sont pas des filles modèles, ce troisième polar d’Olivier Gay est lui aussi un roman-champagne : pétillant, léger, il s’absorbe avec gourmandise d’une seule traite. Quand il se termine, nous oscillons entre le regret de l’avoir achevé et l’espoir d’ouvrir bientôt une nouvelle bouteille d’Olivier Gay. Ce « Mais je fais quoi du corps ? » est un excellent cru.
À déguster sans modération !
Jacques, lectures et chroniques
Mais je fais quoi du corps ?
Olivier Gay
Editions Le Masque
301 pages ; 16 €
15:49 Publié dans 01. polars francophones | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : olivier gay, mais je fais quoi du corps ? | Facebook | |
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