Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/01/2015

Un fond de vérité, de Zygmunt Miloszewski

fondveriteerecouv.jpgUne chronique de Jacques.

Dans son premier polar, l’écrivain polonais Zygmunt Miloszewski  décrivait les rapports complexes qui liaient la Pologne des frères Kaczinski à son passé communiste, en insistant tout particulièrement  sur le rôle des services de sécurité avant et après la chute du Mur. L’intuitif procureur Teodore Szacki était l’attachant personnage principal d’une histoire qui nous plongeait dans les méandres de la vie quotidienne agitée de Varsovie.

Nous le retrouvons ici pour ce deuxième volet, mais avec un changement radical : l’histoire ne se déroule pas à Varsovie, mais dans la petite ville très provinciale de Sandomierz, où Teodore vient d’être nommé après son divorce avec celle qui était encore récemment la femme de sa vie.

Sandomierz, ennuyeuse petite ville de province, est bien trop calme pour le sémillant procureur qui commence par s’y emmerder fermement. Quelques liaisons décevantes le laissent sur sa faim ; il a besoin d’une affaire qui puisse le sortir du morne ennui qui le frappe, et il va être servi : le corps d’une jeune et séduisante catholique, aimée de tous et bien sous tous les rapports, est retrouvé près d’une ancienne synagogue. Le fait qu’elle soit catholique n’est pas anodin, c’est même central dans l’histoire : Ela Budnick  a été égorgée selon un rituel juif, la shehita, ce qui va relancer certains des fantasmes liés au judaïsme qui hantent encore une partie de la société polonaise. Car Szacki apprend qu’une vieille légende portant sur des égorgements rituels d’enfants catholiques dont le sang serait utilisé pour confectionner du pain azyme, subsiste encore à Sandomierz.

Après le meurtre du mari d’Ela Budnick, d’abord suspecté, qui se produit dans des conditions semblables à celles de celui de son épouse, le procureur craint, surtout si la presse de caniveau (qui n’existe pas qu’en France) s’empare de l’affaire, une flambée d’antisémitisme. Certains courants nationalistes d’extrême droite pourraient être également tentés par une manipulation de l’opinion. Bref, il devra jouer serré, s’il veut démontrer que le dicton qui prétend que toute légende contient un fond de vérité n’est pas toujours fondé !

Après l’assassinat du mari de la victime, d’abord suspecté, Teodore  va accepter l’aide de sa collègue la procureure Barbara Sobieraj, amie de longue date du couple. Celle-ci se retrouve logiquement écartée de l’enquête, alors même qu’elle connait parfaitement la ville, ses habitants et ses dessous plus ou moins clairs. Leurs relations sont compliquées, car Barbara ne supporte pas d’avoir été mise à l’écart officiellement. Mais les relations conflictuelles font les meilleurs polars, nous le savons, car elles finissent inévitablement par évoluer... d’un côté ou de l’autre.

 Ce qui rend ce livre particulièrement intéressant, c’est qu’il n’a aucune faiblesse. Tout en passant la société polonaise au scanner sans complaisance ni exagération, il parvient à capter notre intérêt avec la vie, les observations et les réflexions personnelles du très cultivé Théodore Szacki, tout en gardant dans la ligne de mire l’intrigue policière complexe que celui-ci doit résoudre... ce qu’il fera naturellement avec brio.  

De plus, la description des rapports complexes entre catholiques et juifs, fruits de l’histoire tourmentée de la Pologne d’avant et pendant le nazisme, est cœur du livre et en fait tout le sel. Une belle illustration de ce que dit  le poète Adam Zagajewski dans un entretien publié par Médiapart : même s’il reste désormais peu de juifs en Pologne, il continue encore d’y sévir « un antisémitisme, désormais sans Juifs, dans les classes n’ayant pas bénéficié d’éducation ; alors que le milieu intellectuel, artistique, universitaire, pratique une forme de philosémitisme – toujours en l’absence des Juifs –, étudiant l’hébreu et le yiddish, se plongeant dans tout ce qui relève d’un monde disparu ».  

Un fond de vérité est donc un polar passionnant, intelligent, remarquablement construit, un des meilleurs de ceux que j’ai lus pendant l’année 2014. Vivement le troisième roman de Zygmunt Miloszewski !

 

Un fond de vérité
 Zygmunt Miloszewski
Mirobole éditions (6 janvier 2015)
Collection Horizons Noirs

Les commentaires sont fermés.