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22/03/2017

Nuit, de Bernard Minier

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Une chronique de Jacques

Le dernier  Bernard Minier : une vraie réussite !

Et revoilà Martin Servaz, notre flic intello et tourmenté amoureux de la littérature, un Servaz qui partage avec son adversaire privilégié Julian Hirtmann, son amour pour la musique classique et tout particulièrement celle de Mahler.

Hirtmann, tueur impitoyable et plus que jamais machiavélique, nous l’avions croisé dans les trois premiers romans de Minier, dont le premier, « Glacé », a fait l’objet récemment d’une adaptation télévisée sur la chaine M6 après avoir été un succès international traduit dans 19 pays.

Dans « Une putain d’histoire », son quatrième roman, Minier avait délaissé ses deux héros récurrents pour nous plonger dans une « histoire d’amour et de peur, de bruit et de fureur », celle d’un adolescent vivant sur l’île de Glass Island soupçonné du meurtre de sa petite amie. Un aparté plutôt réussi, et voilà donc Bernard Minier qui revient pour son cinquième livre à ses premières amours avec son couple maudit Servaz/Hirtmann.

Dès les premières pages, l’effet de surprise et de dépaysement, toujours utile pour secouer le lecteur, est bien là. Kirsten Nigaard, une flic norvégienne, se rend sur une plateforme pétrolière de la mer du Nord pour élucider le meurtre d’une technicienne dont le corps martyrisé a été retrouvé sur l’autel d’une église de Bergen.

« La nef était faiblement éclairée. Kirsten s’étonna qu’on ait laissé brûler les cierges à proximité de la scène de crime, laquelle était circonscrite par une tresse orange et bleue qui interdisait l’accès au sanctuaire et au chœur.

L’odeur de cire chaude lui chatouilla les narines. Elle sortit une petite boîte métallique plate de son manteau ; à l’intérieur, trois petites cigarette préalablement roulées. Elle en ficha une entre ses lèvres.

- On n’a pas le droit de fumer ici, dit Kasper Strand.

Elle lui adressa un sourire, sans mot dire, et  alluma le cylindre mince et irrégulier avec un briquet bon marché. »

Dans le cours de son enquête, elle va découvrir une photo d’un homme, Martin Servaz et celle d’un enfant de cinq ans, ainsi qu’un mot manuscrit portant son propre nom. L’enquête conjointe que vont mener Nigaard et Servaz permettra de comprendre (à la fin du roman) les liens qui unissent entre eux ces différents personnages, et en particulier ce qui les relie à Julian Hirtmann.

Entre Hirtmann et Servaz existe une opposition fondatrice qui coexiste avec des liens profonds qui les relient.

« La dernière fois qu’il avait eu des nouvelles du Suisse, c’était il y a cinq ans, lorsque Hirtmann lui avait envoyé ce cœur qu’il avait pris pour celui de Marianne. Cinq années... Et depuis, plus rien. L’ancien procureur du tribunal de Genève, le bourreau supposé de plus de quarante femmes dans au moins cinq pays, avait disparu de leurs écrans radars et – pour autant qu’il sût –  de ceux de toutes les polices. Envolé. Évaporé. »

Cette opposition entre les deux hommes, ainsi que le souligne Minier dans un entretien, rejoint celle des couples de frères ennemis dans certaines civilisations, Caïn et Abel, Osiris et Seth, et nos deux personnages ne représentent pas seulement, de façon schématique et antithétique, le bien et le mal, l’ombre et la lumière, le jour et la nuit, mais on comprend que chacun porte en lui ses failles, ses contradictions, et se révèle finalement plus complexe que ce qu’il semblait être au départ.

Les liens, ils vont aussi se retrouver sur la question de la filiation, qui sera abordée à travers les rapports difficiles et parfois conflictuels que Servaz établit avec sa fille Margot, mais aussi avec Gustav, l’enfant mystérieux qui apparaît au début du livre et qui va prendre une place de plus en plus centrale dans le cours du récit.

La force de l’écriture de Bernard Minier, plus que le suspense qui est pourtant toujours savamment distillé, plus que les révélations imprévues dans le cours de l’histoire qui tendent à nous déstabiliser, se trouve dans la richesse et la complexité des personnages. Ceux-ci, malgré leur force, sont toujours en demi-teinte, ils évoluent sans cesse et parviennent ainsi constamment à nous surprendre – que ce soit Matin Servaz, profondément marqué et durablement transformé par un évènement qui va se produire dans le cours de l’enquête, ou  Kirsten Nigaard qui va se révéler si différente de ce qu’elle semblait être au départ. Il en est de même avec tous ces personnages secondaires à qui l’auteur donne une humanité et une crédibilité qui contribue largement au plaisir de lecture.

« Des rondins, de l’ardoise, de la pierre, des sapins tout autour : une carte postale du Canada avançant vers eux – même si c’était eux qui avançaient – dans l’obscurité précoce. Gilbert Beltran pensa à Croc –Blanc, à L’appel de la forêt, à ces lectures d’enfance pleines d’aventures, de grands espaces et de liberté. A dix ans, il avait cru que c’était cela la vie : de l’aventure et de la liberté. Au lieu de quoi, il avait découvert que les marges de manœuvre sont faibles, qu’une fois qu’on a pris telle direction il est presque impossible d’en changer et que tout cela est somme toute bien moins excitant que ça en avait l’air au départ. »

Faux-semblants, illusions et transformations des êtres, qui ne restent jamais identiques à eux-mêmes dans le cours de leur vie, richesse des détails et cohérence de l’histoire, tout cela fait de ce cinquième roman de Bernard Minier un livre passionnant à lire, de la première à la dernière page.

Nuit, de Bernard Minier
XO Éditions/2017
525 pages


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