12/07/2011
Une enquête philosophique, de Philip Kerr [chronique de Bruno]
Une chronique de Bruno
Ne vous méprenez pas, ce roman n’est pas la dernière création du célèbre auteur de « la trilogie berlinoise » qui a eu le succès retentissant et planétaire qu’on lui connait. Ecrite et publiée dans les années 90, cette œuvre de Philip KERR est en fait une réédition. Il est bon de le préciser, car ce roman n’a vraiment rien à voir avec ce que l’on connait de cet écrivain aujourd’hui.
« Une enquête philosophique » risque fort d’ailleurs de surprendre ceux qui ont dévoré la trilogie. Ils vont y découvrir un univers totalement différent et un scénario original qui déjà faisait poindre tout le talent de cet auteur encore inconnu à l’époque.
Ici, point de trame historique, et l’intrigue ne se déroule pas dans un passé révolu mais dans un avenir encore lointain (du moins au regard la date initiale de la publication de ce roman), encore hypothétique, mais qui par bien des aspects pourrait un jour, dans quelques décennies, ressembler au nôtre. Oubliez donc tout ce que vous croyez savoir de Philip Kerr et plongez dans l’une de ses premières œuvres, le dépaysement total y est assuré !
Nous sommes donc en 2013, à Londres, dans une Europe devenue Fédérale et policée. Le crime est toujours présent, mais la société ne veut plus dépenser pour enfermer ses criminels, ou pour les mettre à mort. Une solution beaucoup plus économique à été mise en œuvre : le coma punitif. Selon la gravité de votre crime, vous êtes plongé dans un sommeil profond, à mi chemin entre la vie et la mort, pour une durée allant de quelques mois, au coma perpétuel.
Dans cette société où tout le monde est fiché, où le citoyen ne s’évade de son quotidien qu’à travers sa combinaison de Réalité Virtuelle, le gouvernement britannique a mis parallèlement en place un programme révolutionnaire capable de repérer dans la population les individus potentiellement dangereux, criminels et tueurs en puissance, susceptibles un jour de basculer dans la violence et de nuire à la société. Ce programme qui a été élaboré par l’Institut du cerveau a permis de repérer les hommes qui n’étaient pas dotés d’un Noyau Ventriculo Médian. Cette anomalie du cerveau prédispose en effet le sujet à l’agressivité. 0.003% de la population mâle du pays serait concerné. On les appelle des NVM.
Le programme LOMBROSO, c’est son nom, prévoit que ces individus, peu nombreux, soient pris en charge par l’institut pour recevoir une thérapie qui leur éviterait de commettre un jour l’irréparable. Pour protéger leur anonymat, leur nom est remplacé dans les bases de données de l’Institut par celui d’un philosophe.
Tout irait donc pour le mieux si un des NVM du nom du philosophe autrichien Wittgenstein n’avait décidé d’effacer des ordinateurs de l’Institut toute trace de son existence et de s’en prendre à ses « frères » en les éliminant un par un de six balles tirées dans la nuque.
Jack Jakowitcz est une femme flic qui voue aux hommes une aversion totale. Elle connait bien les tueurs en série. C’est même une spécialiste en la matière. C’est ainsi qu’elle se lance aux trousses de ce tueur philosophe qui lui, ne s’en prend qu’aux hommes.
Car c’est bien sur le terrain de la philosophie que va se livrer pour partie le combat, face à un tueur qui exprime à travers ses actes l‘affirmation même de son existence « Pensez au principe même de l’assassinat : l’affirmation de soi, de sa propre existence, par la négation de celle de l’autre. La création de soi par l’annihilation, œuvre d’autant plus créatrice lorsque ceux qui doivent être détruits représentent eux-mêmes un danger pour la société en général, et lorsque le meurtre est accompli dans un but bien précis. Plus question de parler dans ce cas de nihilisme. L’acte de décision pure n’est plus commis au hasard, sans égard pour le sens qu’il peut avoir. » .
Un tueur qui revendique ses crimes comme l’expression d’un art créateur. « Nous voyons donc à quel point le crime est fondamental dans nos sociétés. Qu’il puisse ne pas exister est tout aussi impensable que pour le mensonge de ne pas exister. Et c’est en cela que réside son importance artistique.(…/…) Que le meurtre puisse s’inscrire dans le cadre d’un idéal artistique répond à une idée plus répandue qu’on ne pourrait le croire. Les gens débattent de la notion de crime parfait beaucoup plus fréquemment qu’ils ne le font du tableau, de la symphonie, du poème parfait. »
Quant à l’immoralité de son art, le tueur se retranche derrière l’écrivain Thomas de Quincy qui « selon lui tant qu’un meurtre n’a pas été commis, tant que seule l’intention de tuer est en cause, il nous incombe de l’appréhender sous l’angle de la morale. Mais une fois le meurtre commis, ajoute-til, à quoi bon s’encombrer de vertu ? A quoi bon en effet ? Suffit pour la morale. Passons au goût et aux beaux-arts.
C’est donc à une enquête hors norme que se livre Jack Jakowitcz. Un combat ou l’issue n’est pas aussi manichéenne que l'on pourrait croire.
Disons-le tout de suite, « Une enquête philosophique » n’a rien d’un roman de plage. Il exige du lecteur une certaine concentration pour en appréhender toute la finesse, et pour en suivre le raisonnement. Mais il serait dommage de passer à côté de ce roman original qui ne laisse pas le lecteur indifférent. Sans être un roman d’anticipation, celui ci aborde le crime sous un angle original, où la logique prévaut sur la psychologie.
Et si la logique n’était que pure folie ?
Le blog de Bruno : http://passion-polar.over-blog.com/
A lire : l'article de Cassiopée sur le même roman
18:56 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |