Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/08/2011

S.J. Watson, avant d’aller dormir

avantdallerdormir.jpgUne chronique de Jacques.

Le thème de l’amnésie est un grand classique de la littérature et du cinéma, et la littérature policière en est particulièrement friande.  Les plus célèbres auteurs s’y sont essayé : Elisabeth George, Mary Higgins Clark, Anne Perry, Robert Ludlum... on trouverait sans peine des dizaines de titres !

L’amnésie présente des avantages indéniables pour un polar : le héros, placé en position de découvrir sa propre identité, est souvent obligé de mener une sorte « d’enquête policière » pour savoir qui il est vraiment. Il va, tout comme le lecteur, de surprise en surprise en découvrant qu’il n’est pas celui qu’il croit. Parfois, il découvre avoir commis dans son autre vie des actes qui lui semblent inimaginables.  Et puis il y a la quête permanente de l’identité, un thème fort dans la littérature : quand l’auteur est habile, le suspense est garanti.

Dans avant d’aller dormir, tout en   utilisant ce thème plutôt rebattu de l’amnésie, l’auteur va tout de même innover et tenter de faire du neuf avec du vieux.

Première originalité : il s’agit ici  d’une amnésie particulière, une forme très rare d’amnésie nous dit un des personnages. Christine  a occulté les vingt dernières années de sa vie après un accident. Elle  ne se souvient pas avoir été mariée et ne sait pas si elle a eu des enfants, pourtant elle se découvre  un mari, forcément inconnu.

Jusque là, c’est du classique, on a déjà l’impression d’avoir lu ou vu dix fois ce genre d’histoire. L’originalité réside dans le fait que l’oubli des vingt dernières années de sa vie se double d’une autre forme d’oubli : les souvenirs de la journée qu’elle est en train de vivre vont s’effacer dès qu’elle va sombrer dans le sommeil. Avant d’aller dormir elle sait qu’elle va perdre dans la nuit tous ses souvenirs de la journée et se retrouver au matin sans savoir ni qui elle, est ni qui sont ses proches. Un mécanisme efficace pour susciter chez la narratrice,  et donc chez le lecteur, un  sentiment d’angoisse. Surtout s’il y a dans l’histoire  un méchant qui tente de manipuler l’héroïne, car  nous sommes dans un thriller, et là  tout est possible, même le pire !

La deuxième originalité porte sur le procédé narratif choisi  par l’auteur, un procédé induit par la nature même de l’amnésie de Christine. Comment faire pour ne pas repartir de zéro chaque jour et conserver quelques souvenirs de ses journées ?  Le moyen le plus évident consisterait à écrire un journal intime relatant de façon détaillée les évènements qu’elle vit. Ainsi, quand elle se réveillerait, la lecture du journal lui permettrait de retrouver ses souvenirs de la veille.

C’est  ce que va faire notre héroïne. Il se trouve qu’avant son amnésie elle était écrivain, ce qui va lui donner toutes les facilités possibles, puisque  le fait qu’elle ait été romancière justifie que ses découvertes quotidiennes soient écrites…comme un roman et non comme une chronique plate, pesante et ennuyeuse.

  A travers ce journal nous suivons ses progrès, ses angoisses, son questionnement. Comment va-t-elle découvrir  qui elle était vraiment ? Va-t-elle comprendre ce qui lui est arrivé ? La réalité est-elle ce qu’elle croit ?  Peut-elle avoir confiance en son mari ? Le  tour de force de S.J. Watson consiste à éviter les redites fréquentes et introduire des éléments qui vont jeter le doute dans l’esprit du lecteur en procédant avec l’habileté d’un vieux routier de l’écriture.

Si le livre démarre  lentement, nous sommes ensuite pris dans un engrenage impitoyable. La tension monte au fil des pages en même temps que les interrogations de l’héroïne sur son entourage s’accentuent, et la fin du roman est haletante, surprenante. Difficile de lâcher le livre pendant les cent dernières pages !

L’auteur a gagné son pari : utiliser un truc usé (l’amnésie) pour faire du neuf, rendre palpitante et crédible la lecture d’un journal écrit comme un roman et accrocher le lecteur sans le lasser, jusqu’à la fin de l’histoire.

Je  ferai tout de même un reproche à S.J. Watson et à son éditeur : ils ont laissé ici ou là quelques incohérences mineures qui sont la preuve d’une relecture peu attentive. Page 213, un des personnages dit à l’héroïne : « on vous a déplacée pour votre propre sécurité autant que pour la sécurité des autres », puis page 218, le même affirme « vous n’étiez pas dangereuse, ni pour vous-même ni pour les autres », en parlant du même évènement, sans aucune justification après coup. On pourrait retrouver deux autres erreurs du même type aux pages 350/351 et à la page 391, je laisse aux lecteurs attentifs le soin de les découvrir.

Mais ces peccadilles ne doivent pas nous masquer l’essentiel : susciter un tel plaisir de lecture pour un premier roman est suffisamment rare pour que nous attendions avec curiosité et impatience le deuxième livre de cet auteur.

Jacques

Vous pouvez lire également la chronique d’Eric Furter qui apporte un point de vue différent sur ce roman.