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11/03/2013

Messe noire, de Olivier Barde Cabuçon

messe_noire.jpgUne chronique d’Albertine.

 La nouvelle enquête  du jeune Volnay, commissaire aux morts étranges, assisté de son père le moine sans nom, nous ouvre les portes des bas-fonds parisiens, intrigues de cour de Louis XV, police royale, messes noires…La dimension picaresque du récit n’enlève rien à la logique et la rigueur de la recherche des coupables. Elle ne nous prive pas du plaisir de propos érudits, réflexions philosophiques et considérations politiquement incorrectes à cette époque où des idées font leur chemin, qui n’est ni celui de l’église ni celui du pouvoir royal. Fausses pistes et rebondissements matérialisent les hypothèses, avancées, hésitations de nos héros enquêteurs. Nous savourons une bonne dose d’hédonisme et d’humour, quelques récits de cape et d’épée ou d’assauts libertins, apprécions un zeste de cynisme, juste pour la légèreté de l’ensemble, et sommes heureux  de connaître par la dernière phrase du livre, un nom de commanditaire qui boucle le tout (à l’insu des enquêteurs). Bref, les amateurs de récits enlevés, aux personnages bien campés dans un contexte historique dont même l’odeur (ou les parfums, c’est selon), nous est restitué, apprécieront.

Le couple d’enquêteurs constitue un étrange attelage : un tout jeune commissaire aussi brillant par son intelligence (et sa beauté) que raide et coincé dans ses relations aux femmes, et attentif à ménager ceux qui ont sur lui un certain pouvoir ; et son père, moine hérétique, grand amateur de femmes, provocateur des pouvoirs établis. Pourtant ils sont bien faits du même bois : tous deux cultivés, grands humanistes en une époque qui l’est fort peu, contempteurs de la bêtise et méchanceté des puissants ; tous deux semble-t-il beaux hommes (même si de deux générations différentes) appréciés des femmes, habiles à l’épée, déterminés et courageux. Leur relation, empreinte de leurs sensibilités différentes, est également fortement marquée par le lien père /fils  que l’on pourrait dire totalement raté si l’on considère les nombreux agacements, les quelques jalousies et les souffrances de l’un et l’autre, provoquées par un supposé manque d’amour. 

Mais que font-ils donc,  ces deux enquêteurs ? Ils cherchent les coupables d’une messe noire ayant entouré la mort d’une belle très jeune fille, Sophia, retrouvée nue dans un cimetière, non loin d’un garde lui aussi occis, par une sombre nuit de décembre. L’enjeu est fort car on ne plaisante pas avec les messes noires dans cette royauté décadente bordée par le parti des dévots. De plus Sartine, lieutenant général de police et patron de Volnay, est également le maître d’œuvre de manipulations obscures, espionnant ouvertement les deux enquêteurs père et fils, par les bons offices d’une superbe femme, Hélène, dont les deux ne peuvent manquer de s’éprendre.

Le mystère qui restera entier dans ce récit sera bien celui d’Hélène, que l’auteur se plaît à présenter comme manipulatrice manipulée, d’une redoutable culture incluant les connaissances autorisées (équitation, escrime, sept langues dont l’araméen…)  et les connaissances interdites puisqu’elle se dit sorcière et exhibera le sceau de l’infamie sur son épaule…Occasion pour le moine sans nom de tomber amoureux et de se perdre dans le vertige de la séduction d’une femme de vingt ans sa cadette, sous les yeux outrés de son fils. Les femmes sont comme souvent chez Olivier Barde Cabuçon, des êtres accomplis, à la fois séduisants, mystérieux et capables du meilleur comme du pire aux yeux des hommes qu’elles ensorcellent. Le lecteur aura envie d’en savoir plus sur elle mais restera sur sa faim, tout comme les héros du récit (même si au final il aura tout de même une information qu’ils n’ont pas).

Le mystère de la messe noire sera bien entendu éclairci par ce formidable couple d’enquêteurs qui entretiennent avec le terrible Sartine une relation étrangement libre. On pourrait même les soupçonner de se respecter ! Il faut dire que Sartine également, s’impose comme une figure mystérieuse, homme implacable mais capable de s’émouvoir devant Sophia, la jeune fille retrouvée dans le cimetière glacé. Sa position dans l’histoire montre comment la vie d’un lieutenant général de police peut croiser celle d’un moine hérétique : cherchez la femme. Et avec Olivier Barde Cabuçon, chercher la femme est une occupation constante, depuis Casanova ou la femme sans visage (qui constitue la première enquête de Volnay) ou bien le détective de Freud  ! N’hésitez pas à suivre l’auteur sur les pas de ses femmes.

 Albertine, 8 mars 2013

 Messe noire,
Olivier Barde Cabuçon
Actes Sud (3 mars 2013)
Collection Actes Noirs
320 pages ; 22,90 €