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08/11/2016

Deuxième entretien avec Maurice Gouiran

maurice gouiran,entretien,cassiopéeDans la foulée de sa chronique sur Le printemps des corbeaux, Cassiopée a  souhaité poser quelques questions à l’auteur.

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 Cassiopée.  Pourquoi avez-vous "abandonné" Clovis dans votre dernier roman?

 Maurice Gouiran. C'est l'éternel problème du héros récurent... Le héros récurent impose à son créateur énormément de contraintes et limite ainsi ses possibilités d'expression. Nombreux sont les auteurs qui ont voulu se débarrasser de cet encombrant personnage (on peut citer quelques-uns des plus célèbres de ces infanticides, comme Conan Doyle avec Sherlock Holmes, Agatha Christie avec Hercule Poirot ou Jean-Claude Izzo avec  Fabio Montale).  En ce qui me concerne, j'aime trop Clovis pour l'éliminer définitivement, mais j'ai besoin, de temps à autre, de prendre un peu de liberté. Comment aurais-je pu travailler le personnage de Louka dans « Le printemps des corbeaux » si j'avais eu Clovis dans les pattes ?

Il faut également gérer un problème d'époque. Clovis est apparu en 2003 dans mon 5eme titre, « Les martiens de Marseille ». C'est un quinquagénaire fringant qui revient dans 17 des 21 romans suivants qui se déroulent aujourd’hui. Il n'a pas sa place dans « Sous les pavés, la rage » ( qui se passe en 1968), « Train bleu, train noir » (1993), « « Appelez-moi Dillinger » qui est un recueil de nouvelles et « Le printemps des corbeaux » (1981). Notez également que je lui ai donné le beau rôle  dans « L'été finira » qui se déroule en 1973. Il n'a alors qu'une vingtaine d'années et ses réactions annoncent ses actions à venir.

Il sera peut-être absent du prochain roman, mais il reviendra. Promis, juré.
Souvenez-vous de la chanson de Leny Escudero :

Il y a longtemps de ça

Et longtemps de nuits blanches

Qu’il est parti de là

Chercher d’autres dimanches

Mais le givre est venu

Se coller à sa branche

Et parce que sa vie flanche

Clovis est revenu

Clovis revient toujours !
Si vous ne la connaissez pas, allez donc l’écouter sur youtube

 C. Vos livres sont reliés à des faits du passé plus ou moins connus, que vous intégrez à vos histoires. Pourquoi ce fonctionnement? Comment choisissez vous ce que vous décidez de mettre en avant? Comment vous documentez vous sur la période choisie et comment articulez vous votre intrigue autour de la réalité que vous voulez présenter? Comment en êtes-vous venu à mélanger passé et présent? Est-ce que vous gardez cette façon de faire comme une "marque de fabrique"?

 M.G. Hou là là... ça fait beaucoup de questions ! Je vais tâcher d'y répondre dans l'ordre.

C'est ma passion de l'histoire qui m'a conduit à ce type de construction. Durant mes études (scientifiques, j'ai un doctorat de mathématique) j'ai sans doute été frustré de ne pas pouvoir explorer l'histoire contemporaine, je me rattrape aujourd'hui. En fait, je cherche surtout à mettre des coups de projecteur sur des faits peu ou mal connus qui ont une incidence sur notre vie actuelle. Je voudrais aussi faire comprendre que le manichéisme n'existe pas en histoire, que rien n'est tout noir ou tout blanc.

En ce qui concerne le choix des thèmes, il né d'une étincelle. Un article de presse, un témoignage, une image, une rencontre... et c'est parti. Ensuite rien ne dit qu'on en tirera un roman de 300 pages...

Lorsque l'idée est là, il convient de se documenter soigneusement car mes romans font souvent référence à une histoire récente. Mes études en mathématique et mes travaux de recherche scientifique sont alors autant d'atout pour moi . J'ai les réflexes du chercheur. Un écrivain n'a pas la légitimité d'un historien, il doit donc être irréprochable sur les faits historiques qu'il dévoile (et ce d'autant plus qu'il s'agit souvent d'événements tabou ou dissimulés, en contradiction avec l'histoire officielle). Donc, la doc est importante, elle débute souvent sur le web (mais oui, il existe des sites sérieux, universitaires par exemple) , se poursuit par la consultation des archives et se termine par les témoignages de personnes qui ont vécu cela. Ce dernier point est fondamental. Je disais que l'écrivain n'a pas la légitimité de l'historien, mais il possède un atout essentiel : il peut mettre de la chair et de la vie  là où l'historien se contente de chiffres. Par exemple, dans « Train bleu, train noir », je raconte l'histoire de ces 1600  Marseillais qu'on entasse un dimanche matin dans des wagons de la gare d'Arenc. Marseille, Compiègne, Drancy, Sobibor (camp d'extermination). Pour l’historien, cela fait 1600 morts, une paille dans une guerre qui a tué plusieurs dizaines de millions d'hommes, de femmes et d 'enfants. Ais si vous racontez le voyage d'une demi-douzaine de Marseillais, qui vous ressemblent qui me ressemblent, leur angoisse, leur peur, leur espoir toujours déçu, vos pages prennent une toute autre importance.

Ensuite vient la fabrication du « cocktail » entre l'Histoire (avec un grand H) et l'histoire, entre les faits avérés et la fiction. Je n'ai pas de règles, c'est instinctif, je prends seulement garde que l'Histoire n'étouffe pas l'histoire. C'est à l'intrigue de mener la danse !

Mes romans se déroulent généralement sur deux époques (passé et présent) et dans plusieurs lieux. Je ne sais pas si c'est ma marque de fabrique, mais c'est ma façon d'écrire. Elle provient sans doute du fait que je me suis interdit toute lecture lorsque j'ai décidé d'écrire ma première histoire, j'ai dû donc trouver un style et ce découpage m'est apparu naturellement. Je trouve qu'il renforce la dynamique du roman.

 C. Lorsque vous écrivez, avez-vous le souhait de faire passer un message?

 M.G. Absolument pas. J'écris sur ce qui me révolte ou me titille. J'apporte une information au lecteur sous une forme ludique, ensuite il en fera ce qu'il voudra. Mon seul engagement est le combat contre la haine, la vanité et la stupidité. Je ne brandis aucun drapeau et ne roule pour personne. Je suis un auteur libre qui écrit ce qu'il veut comme il veut (un grand merci au passage à mon éditeur qui me permet cela!) et qui est évidemment heureux des retours des lecteurs. Quoi qu'en disent les auteurs qui jouent les blasés, les encouragements sont précieux parce que l'écriture d'un roman impose un travail volumineux, parfois ingrat et toujours solitaire.

 C. Avez vous toujours une "idée" d'avance pour un prochain roman?

 M.G. Ma crainte n'est pas celle de la page blanche mais celle de l'idée blanche. J'ai affirmé dans la question 2) qu'un polar naissait d'une étincelle. Jusqu'à présent, cela a toujours marché mais je me dis qu'un jour peut-être, il n'y aura plus d’étincelle et donc plus de roman.

Généralement, lorsqu'un de mes romans paraît, il y a en toujours un autre en préparation. C'est le cas aujourd'hui, mon prochain est quasiment terminé, il repose dans ma cave depuis quelques mois et je dois le reprendre avec une vision nouvelle. Il traitera d'un thème que peu de gens connaissent et qui n'est pas marseillais.

 C. Si vous pouviez boire un pastis avec un écrivain mort ou contemporain, qui inviteriez vous et pourquoi?

 M.G. Oh, il en a beaucoup... Et en plus cela dépend des jours. J'aurais pu vous citer Norman Mailer, Boris Vian et beaucoup d'autres... Mais s'il ne faut donner qu'un nom, je choisirai aujourd'hui George Orwell car je le trouve toujours d'une brûlante actualité. Et j'abandonnerai peut-être le pastis (ou plutôt la mauresque) pour le Jura. C'est un single malt qui est produit sur l'île d’Écosse de même nom sur laquelle Orwell s'est retiré.

 C. Est-ce que l'éditeur vous associe au choix des couvertures? Avez vous vos titres dès le début ou une fois le livre écrit?

 M.G. Il faut savoir que la couverture et la 4eme sont le domaine exclusif de l'éditeur. Mon éditeur me demande toujours un projet pour la 4eme et il m'est arrivé de lui proposer des idées de couvertures pour « Franco est mort jeudi » ou « Sur nos cadavres, ils dansent la tango ».

En ce qui concerne les titres, c'est moi qui les propose à l'éditeur. Parfois, le titre est évident. Ainsi, « Le printemps des corbeaux » existait avant l'écriture du bouquin. Parfois, il n’apparaît qu'après la relecture avec l'éditeur. Ce fut le cas pour « Maudits soient les artistes ». Le seul titre qui ne soit pas de moi (mais que j'ai validé) est « Les martiens de Marseille » (le titre que j'avais proposé était « Le sang noir des étoiles »).

 C. Si vous deviez "sauver" un mot, lequel choisiriez- vous et pourquoi?

 M.G. Sans hésitation fraternité. Dans notre belle devise, la liberté peut se conquérir, l'égalité se décréter mais la fraternité est quelque chose que nous devons porter en nous et cultiver. En ces temps de xénophobie, de peur de l'autre, voire de haine du voisin, c'est ce qui manque le plus.

 C.  Lisez vous des romans policiers? De qui?

 M.G. Vous avez compris, depuis la question 2) que ma lecture prioritaire est la documentation (archives, autobiographies, témoignages...)

Bien entendu, je lis aussi des polars (plutôt que des romans policiers si je me fie à la définition attribuée à JP Manchette : « le roman policier voit le mal dans l'homme, le polar voit le mal dans la société »). Je lis un peu tous les auteurs et en particulier ceux que je croise dans les salons et dont le discours me séduit. Je ne citerai pas de noms de crainte d'en oublier...

 Le premier entretien  avec Maurice Gouiran a été publié en avril 2014, à l'occasion de la sortie de son livre Franco est mort jeudi.