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07/05/2015

Entretien avec Gilles Verdet

entretien,gilles verdet,éditions jigalAprès avoir écrit une chronique enthousiaste sur Voici venu le temps des assassins, Cassiopée a eu tout naturellement envie d’interroger Gilles Verdet sur son roman, la poésie, son rapport à l’écriture et aux lecteurs...

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Cassiopée.  
C'est le premier roman que je lis de vous et je suis scotchée par la place de la poésie, est-ce une habitude d'écriture?

Gilles Verdet. À vrai dire, je fuis généralement les habitudes. Mais le naturel est tenace, même après l’ouverture de la chasse…

Dans ce roman, la poésie est effectivement l’enjeu principal. L’arme et le mobile du crime. Sans doute parce qu’elle est l’âme de la révolte. Et de l’idéalisme jusqu’au au délire et à la folie.

J’ai publié, il y’a quelques années, en série noire, « Une arrière saison en enfer », l’histoire d’une bande d’anars joyeux qui se livraient à des actions violentes et spectaculaires comme des happening lyriques… Du poétiquement correct…

C’était les années 70, et l’époque était rebelle, autant qu’au siècle précédent. Finalement, oui, doit y’avoir chez moi un léger tropisme pour cette thématique...

Quant à l’écriture, c’est affaire intime. Une identité qu’on n’a pas choisie. Comme une voix, un timbre, une sensibilité au monde. Chaque expression est singulière. Et difficile à réfréner. Y’a qu’à lire, voir ou entendre autour de nous. Je ne connais pas deux pianistes, même les plus virtuoses qui joueront de la même façon une partition de Mozart ou un standard de jazz. Pareil pour toute figure artistique. À chacun sa voix, sa respiration, son émotivité, faut faire avec. Et au mieux.

 C.  Bernanos écrivait: « Soyez fidèle aux poètes, restez fidèle à l'enfance! » Ne devenez jamais une grande personne!
Que pensez-vous de cette phrase?

G.V. Bernanos était un drôle de type. Avec des prises de positions mystiques, politiques et sociales souvent ambiguës et contradictoires. Et parfois heureusement changeantes. Soit.

Sur ce sujet je ne le suivrais pas non plus. Associer l’art poétique à l’enfance est plus que réducteur. C’est même un contresens. L’idée d’une naïveté enfantine et bienveillante n’est pas celle que je me fais du sujet. Pas davantage qu’une rébellion adolescente comme une poussée d‘acné.

Je crois plutôt à une posture volontaire, têtue, dissidente et jouissive. Une pensée adulte, chargée d’ivresse, d’amitiés, de passions, de chagrins, de sexe et de griseries. Ces gens-là ont, malgré eux, un p’tit truc en plus. Une hyper sensibilité qui fait jouir autant que souffrir. Et les garde toujours au plus loin de l’ordre établi.

"Je suis doué d’une sensibilité absurde, ce qui érafle les autres me déchire"  est parait-il un mot de Flaubert. Un joli mot. Ça l’a pas empêché d’écrire avec les grands auteurs bien installés de l’époque des obscénités sur la Commune… contre Vallès, Rimbaud, Verlaine et Villiers de Lisle-Adam… Comme quoi les discours de principe...

C.  J'ai pris la poésie de plein fouet, à l'âge de neuf ans, avec "Liberté" de Paul Eluard, à partir de ce moment là, les poètes ont eu une place particulière dans ma vie. Et vous? Votre première rencontre poétique?
Lisez-vous des poèmes, en écrivez-vous? (question stupide: votre roman est un long poème ;-)

G.V. Oui, je lis assez souvent des textes poétiques. Le seul genre littéraire qui autorise la relecture. Sans jamais lasser.

Mon pote Rimbaud est toujours en haut de la pile. «Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient…» Une saison en enfer est un long poème entêtant. Tout comme les illuminations. On peut lire ça cent fois. C’est à la fois obscur et lumineux. Sensible et terrible. Un gisement de pépites. Et d’émotion.

M’est arrivé d’écrire des chansons. Rarement de poèmes. 

Voici le temps... est un roman plutôt réaliste. L’écriture, je ne sais pas, mais c’est d'abord et surtout un roman noir. Noir comme le cirage du chagrin. Noir comme la vie qui va. Et gai comme la mort qui vient. Là où on ne l’attend pas...

 C. Souvent, dans les romans policiers, l'action et une certaine forme de violence prennent le dessus. Dans votre livre, malgré la noirceur de la situation, la poésie apporte de la couleur, du rêve, une certaine forme de tendresse (comme si, ceux qui tuaient le faisait "au nom de la poésie", pour la faire vivre encore et encore ....)
Pensez-vous qu'en agissant ainsi, les tueurs de votre intrigue, voulaient venger les livres brûlés plus que leur mère?

 G.V. C’est difficile d’en parler sans déflorer l’intrigue. Les morts successives sont finalement assez violentes. Mais je ne suis pas un forcené de l’écriture trash. J’adhère pas au club des  serials-klller de la syntaxe et des psychopathes à la tronçonneuse. Je trucide avec l’élégance involontaire des timides. Et je cadavérise avec la réserve polie des autodidactes...

La vie est violente et la mort nous accompagne partout. Chacun l’appréhende ou l’apprivoise à sa façon. Encore une fois, c’est affaire de pudeur et de sensibilité. « je mes suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie… » 

Non, mes tueurs vivent dans l’obscurité de leur tragédie familiale. Dans le versant sombre du ressentiment. Et de la vengeance primaire, colérique, adolescente. Tuer au nom de la poésie serait un non-sens, un paradoxe absurde et contre nature. Une connerie d’intégriste.

Quoique des abominations aux motivations délirantes, on en a connu récemment pas loin de chez nous…

 C.  Accepteriez-vous de nous dire comment vous est venue l'idée de relier les faits par ces poèmes et l'époque tumultueuse où ils ont été écrits? Comment s'est mise en place l'intrigue?
G.V.  J’ai toujours beaucoup de difficultés à parler de ma méthode de travail. Parce qu’à vrai dire,  j’en ai aucune. Je ne fais pas de plan préalable. J’ai quelques idées en tête, puis je travaille. Je travaille encore.

Beaudelaire disait que l’inspiration c’était sa table de travail. L’écriture, pour moi, est graphomotrice. Elle génère sa propre production. Peut-être que tout est déjà là. Au fond de nos têtes. Suffit de creuser. Et creuser encore.

J’ai beaucoup lu de bios sur Rimbaud, j’étais passionné par ce club littéraire des "vilains bonshommes" et forcément par la Commune de Paris qui avait embrasé la capitale et tourmenté les esprits. La présence du poète sur les barricades n’est pas avérée par les historiens. Mais le doute est permis. Et souhaité. Le lien avec les communautés anarchistes de années 70 est venu naturellement. Les renvois, les similitudes, les analogies se mettent en place comme des concordances de temps. Des collisions historiques. Avec la facilité d’une vérité découverte ou d’un bobard inventé dans l’instant. Ça m’a semblé une évidence...

Mais c’est dans la réalité du monde que s’invente presque toujours la fiction. L’infâme Gallifet a réellement exécuté dans les fossés les insurgés aux cheveux gris. La femme immolée emportée par hélico est malheureusement une histoire vraie, le travailleur pauvre dans son logis automobile aussi. J’habite près du périf et j’ai vu les rats qu’il nourrissait. J’ai visité un abattoir en plein travail et passé quelques jours autrefois dans des communautés du Sud. Le réel est parfois si riche qu’il est inracontable. Aucun lecteur n’y croirait.

 C. Jimmy Gallier m'a dit, que dans la vie, vous étiez comme vos livres. Êtes-vous poète dans toutes les fibres de votre être? Comment aimez-vous vos oeuvres?

 G.V.   Jimmy Gallier est un mec bienveillant. Et un excellent éditeur. Et son point de vue m’honore.

Mais je ne bois pas autant que dans mes livres. Je n’ai jamais braqué de bijouterie. Enfin, pas encore. Et n’ai jamais été un militant aveuglé par le sectarisme. Pour le reste, l’amitié, les passions tristes et l’amour des femmes…

Non je ne me sens pas du tout poète. Je suis auteur de roman noir. Un chieur d’encre. Un gâte papier. Un raconteur de misères.

Je vois mes oeuvres comme un passé heureux. Il m’arrive, rarement, de les relire. Mais ça va. Le truc ennuyeux, c’est qu’on peut plus rien y changer.

 C.  Croyez-vous au pouvoir des mots ?

 G.V. Les mots. Bien sûr ! Au commencement est le verbe. Ensuite vient le complément. Et là, ça se gâte, voilà l’émotion. Et tout le tremblement qui suit. Tout est dit.

Le pouvoir des mots, une évidence. En quelques phrases on provoque une colère, un fou-rire ou une érection spontanée. Y’a encore rien de plus efficace au monde…

 C.  Avez-vous des rituels d'écriture? Un autre livre en route?

G.V. Pas de rituel, non. J’écris plutôt le matin. Très tôt. Parfois avant le lever du jour. Et puis je relis à voix haute. Souvent je m’enregistre au dictaphone. Pour m’écouter. Saisir la musique, le rythme, la scansion. Et virer les fausses notes.

J’ai plusieurs manuscrits qui sont en lecture chez des éditeurs. Un recueil de nouvelles qui va paraitre bientôt.

Je travaille sur un projet de roman noir. Porté par l’expérience Tupamaros en Uruguay, la guérilla urbaine des années 60-70. Avant la dictature militaire. Encore une histoire générationnelle.

 C.  Souhaitez-vous partager autre chose avec nos lecteurs?

 G.V. Un jour, une femme m’a abordé dans l’ascenseur de ma tour. Une voisine que je saluais au passage. Un peu gênée, elle m’a dit qu’elle appréciait mes livres. M’a raconté que son mari était un gangster. Un récidiviste qui a passé beaucoup d’années en prison. Et elle, beaucoup d’années au parloir.

Je ne sais pas pourquoi mes romans lui rappelaient ces moments-là. C’était une femme modeste. Et aimable. Elle m’a un peu raconté sa vie.

J’ai reçu ses compliments mieux qu’une chronique littéraire dans un journal du soir…

Avec moi, souvent les lecteurs sont sympas… Et c’est tant mieux !