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14/02/2016

Les salauds devront payer, d’Emmanuel Grand

emmanuel_grand_les salauds_devront_payer.jpgUne chronique de Jacques

Lors de la lecture, voici deux ans déjà, du premier roman d’Emmanuel Grand Terminus Belz, j’avais été séduit par la musique de ses mots et le rythme de ses phrases, une mélodie obsessionnelle qui m’avait hanté bien après que j’eus refermé le livre. Ces qualités se conjuguaient avec un sens de l’intrigue et des personnages forts qui rendaient ce polar ilien et breton particulièrement attachant.

Changement de décor pour son deuxième roman, puisque l’auteur nous entraine à Wollaing, entre Douai et Valenciennes, dans une région durement touchée par le chômage et la crise. Quarante ans plus tôt, la métallurgie semble installée là pour l’éternité ; l’usine Berga, qui employait des centaines d’ouvriers et faisait vivre la petite ville est maintenant désaffectée ; le R.S.A. est la norme, la pauvreté s’étend et le front national a le vent en poupe ; l’intensité des problèmes sociaux préfigure ce qui attend peut-être l’ensemble du pays dans les années à venir : pas de quoi verser dans un optimisme délirant !

L’enquête sur l’assassinat de Pauline, une jeune toxicomane, semble au départ plutôt facile pour les deux flics Erik Buchmeyer et Sahila Bouazem. Un organisme de crédit propose en toute illégalité à tous ceux qui sont à court d’argent de leur en prêter à des taux d’intérêt prohibitifs. Wallet, un ancien ouvrier de Berga qui dirige une salle de musculation est chargé de récupérer les créances impayées auprès de ceux qui se sont laissé berner par un prêt facile et sans contrôle. Une récupération parfois... musclée, Wallet fait peur, et d’ailleurs il est payé pour ça. Et justement Pauline avait emprunté une grosse somme et ne pouvait pas la rembourser. Accident de récupération ? C’est la piste privilégiée par une partie de la population. Mais pour les deux enquêteurs, l’affaire n’est peut-être pas si simple. Pourquoi Pauline avait-elle besoin de cette importante somme d’argent ? Que peut leur apprendre sur elle le docteur Antoine Vanderbecken dont elle était la protégée ?

L’enquête va prendre bientôt une épaisseur particulière quand d’autres meurtres ont lieu qui semblent avoir un lien avec le premier, et que des indices orientent les deux policiers sur une piste qui remonterait quelques décennies plus tôt. Des personnages apparaissent, d’abord à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, puis les mêmes en Indochine et l’Algérie qui luttent pour leur indépendance, puis nous retrouvons certains d’entre eux dans une usine Berga alors déclinante, au début des années 80. Les luttes syndicales âpres de l’époque auraient-elles un rapport avec les différents meurtres ? Ou un passé encore plus lointain ?

L’observation fine d’une région en crise est un des points forts du roman, qui mêle l’histoire d’une famille traumatisée par les guerres coloniales avec l’histoire politique de la France et l’histoire sociale d’une région. Le pari est audacieux, et rejoint celui d’un autre excellent auteur de polars, Maurice Gouiran, qui s’est fait une spécialité d’inscrire une enquête policière contemporaine dans de grands évènements de notre histoire proche : il est ici parfaitement réussi. Le suspense monte en puissance au fil des chapitres, et l’intrigue est suffisamment complexe pour nous titiller agréablement les neurones, jusque dans les dernières pages, au moment où le lecteur pense avoir tout compris. Les deux flics sont à la fois crédibles et attachants, et le personnage qui va se révéler être au cœur de cette histoire (naturellement, je ne vous dis pas qui il est) est remarquable par sa complexité peu à peu dévoilée.

Ce très bon roman ne devrait pas manquer de se retrouver dans la liste des futurs nominés des prix littéraires 2016 estampillés « polars ».

Les salauds devront payer
Emmanuel Grand
Éditions Liana Levi (janvier 2016 )