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Drive, de James Sallis
Une chronique d'Eric
Drive est un roman elliptique et abstrait; le titre évoque le héros solitaire de Taxi-driver de Martin Scorsese.
On peut situer James Sallis dans la lignée du roman noir américain (il rend d’ailleurs un hommage appuyé à Donald Westlake, Ed Mc Bain et Larry Block) qui a tant influencé l’école française du polar des années 70, de Jean-patrick Manchette à Jean-Bernard Pouy.
Comme nous, lecteurs, le personnage principal ne saisit pas l’enjeu de son existence, il veut faire le bien et il est contraint de tuer. Son amour pour l’autre le dépasse et l’asphyxie : il est piégé par un univers codé dont il ne comprend plus les règles. Cascadeur le jour pour des séries B hollywoodiennes, il participe la nuit à des cambriolages un peu minables ou ses services de pilote habile et précis sont bien nécessaires pour semer les poursuivants. N’est-ce pas là en fait les deux faces d’une même pièce ? Ses deux activités correspondent à une même réalité et à une même fiction. La description du monde urbain froid et dégradé fait écho aux états d’âmes du « chauffeur » et nous révèle une Amérique désorientée, celle des losers, des paumés, des perdants du monde libéral.
Au cœur de l’intrigue se noue une tragédie où se mêlent un amour fragile, le désir de vengeance et l’errance dévolue à celui qui doit expier..
Dernièrement une adaptation cinématographique fidèle au roman à donné une pépite dont le 7ème art s’honore de temps à autre avec dans le rôle principal Ryan Gosling, beau gosse blafard au jeu fluide et plein d’humanité qui ne laissera pas insensible le cœur passionné de ses dames. Une œuvre à découvrir.
Eric Furter
Drive
James Sallis
rivages/noir, 2005 réedition 2011 en raison de l’adaptation cinématographique.
Présentation de l'éditeur
Dans un motel de Phoenix, un homme est assis, le dos au mur d’une chambre, et il regarde une mare de sang qui grandit à ses pieds. Ainsi commence drive, l’histoire, selon James Sallis, d’un homme " qui conduit le jour en tant que cascadeur pour le cinéma, et la nuit pour des truands ". Dans la grande tradition du roman noir, il est " doublé " lors d’un hold-up sanglant, et bien qu’il n’ait jamais auparavant participé aux actions violentes de ses partenaires occasionnels, il se met à traquer ceux qui l’ont trahi et ont voulu le tuer.
Dédié à Ed Mcbain, Richard Stark et Lawrence Block, Drive est un roman au style affûté comme un rasoir, qui n’est pas sans rappeler l’écriture sèche et nerveuse de Jean-Patrick Manchette. Un exercice de style éblouissant de la part de James Sallis, créateur du privé Lew Griffin, poète, universitaire, traducteur en Amérique de Raymond Queneau et dont la plupart de ses romans ont été édités en Série noire.
Drive a fait l’objet d’une adaptation cinématographique, réalisée par Nicolas Wending Refn (Pusher, Valhalla Rising le guerrier silencieux), qui a d’ores et déjà reçu l’accueil très favorable de la critique ainsi que le Prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes.
04/11/2011 | Lien permanent
Les nuits de Reykjavik, d'Arnaldur Indridason
Une chronique d'Albertine.
Voici Erlendur jeune policier débutant assigné à la circulation. Il va s’emparer de deux affaires qui n’en sont pas (l’une classée, l’autre non résolue), sans mandat, sans même parfois avouer sa profession de policier pour conduire ses entretiens.
La première concerne un clochard retrouvé noyé dans une tourbière. Son taux d’alcoolémie conduit la maréchaussée à classer l’affaire sans suite. Personne ne peut s’intéresser à une pareille histoire !
Sauf que... ce clochard Hannibal et Erlendur ont eu l’occasion de se rencontrer au cours des patrouilles nocturnes du policier dans Reykjavik. Ils se sont parlé de ce dont on parle quand les deux protagonistes sont un clochard et un flic . Sauf que...vient un jour où Hannibal renverse la situation d’aide compassionnelle dans laquelle se trouve Erlendur, s’intéresse au jeune policier et finit par lui dire : « Quelle faute tu essaies de réparer ? ». Ils sont deux frères de détresse, c’est ce que conclura Hannibal, en comprenant qu’un évènement grave a gâché la vie d’Erlendur : « Dans un sens, vous êtes aussi exclu que moi de cette société, déclara le clochard après un long silence »
Les raisons de cet intérêt d’Erlendur pour le clodo ne nous sont révélées que tardivement dans le récit, après que nous apprenions la nature de ce terrible évènement survenu dans la vie d’Erlendur : la disparition de son jeune frère dans la montagne. Et c’est comme une réplique de l’évènement familial qui a jeté Hannibal hors de la société.
L’autre affaire qui conduit Erlendur dans ses investigations concerne une jeune femme disparue au moment où Hannibal est mort, et à proximité de la tourbière où il a été retrouvé noyé. Rien d’autre que cette concomitance et cette proximité ne relie les deux affaires. Mais Erlendur tissera les liens nécessaires à travers les dizaines d’entretiens qu’il conduit avec les uns et les autres, sans filet, sans mission officielle.
Sa ténacité à chercher et comprendre est aussi forte que le vague-à-l’âme qui semble l’habiter. Il est comme un navigateur sans boussole dans sa vie privé, totalement à côté de la réalité notamment avec sa petite amie ; mais il garde précisément le cap sur ses deux « affaires » qui n’en sont pas.
Pourquoi Indridason fait il ainsi un retour sur les débuts professionnels d’Erlendur ? Est ce pour nous confirmer que la vocation policière et le style d’Erlendur sont déjà-là, liés dès l’origine à la disparition de son frère, longuement traitée dans un précédent roman Etranges rivages ?
En tout cas, Erlendur débutant semble déjà vieux d’une longue et douloureuse expérience, comme on peut l’être quand on est poursuivi sans espoir de rémission par un souvenir culpabilisant.
Encore une fois l’humanité de ce personnage nous émeut, nous étonne, nous séduit. Le roman d’Indridason ne nous lâche pas...
Albertine, Marseille février 2015
Les nuits de Reykjavik
Arnaldur Indridason
Editions métailié, Paris, 2015
13/02/2015 | Lien permanent
L’œuvre de sang, de David Lecomte (tome 2) : ECHOeS
Une chronique de Cassiopée.
Dans le deuxième opus de sa trilogie, David Lecomte renoue avec le thriller mêlé au fantastique. L’enquête policière est toujours présente dans les pages et les événements un peu surnaturels, un peu bizarres, déstabilisant mais fascinant le lecteur et certains personnages, sont toujours là.
Bien sûr, il y a moins l’effet de surprise qu’au premier tome mais quelques petites choses commencent à s’éclaircir et, avide de compréhension, on tourne les pages jusqu’à se dire « vite le tome trois pour avoir la clé de tout ça ».
Jérémie, le jeune héros rencontré au début de l’histoire a grandi, conscient de sa différence, d’une certaine forme de pouvoirs mais inquiet de la gestion qu’il peut en faire. Il le dit lui-même « Il a le besoin maladif de créer », engendrer quelque chose qui n’existe pas..., intégrer ses sentiments dans son œuvre…. Ce rapport à la création est exploré, décortiqué par l’auteur dans le triptyque . On sent que tout cela l’interroge.
L’écriture est toujours aussi prenante, fluide, vive. Les situations sont exposées en quelques mots, on est très vite au cœur de l’action, on prend certaines réalités en pleine face, c’est de temps à autre très dur et on se demande ce qui peut pousser les hommes à tant de violence. Au nom de quels idéaux peut-on tuer ? On passe d’un individu à l’autre, cherchant à cerner qui ils sont réellement. On ne sait jamais tout mais les éléments distillés soigneusement nous suffisent pour avancer et ressentir une curiosité toujours plus grande. David Lecomte manie adroitement le suspense, il ouvre des portes mais il en ferme d’autres, certaines s’entrouvrent mais il n’y a que du flou derrière….
J’ai beaucoup apprécié cette façon de jouer avec les nerfs du lecteur, de l’égarer sur divers chemins ramenant toujours à un même point….
Lorsqu’un premier tome est excellent, il est toujours difficile de rester « en haut », alors s’il fallait placer « Echoes » sur une échelle de valeur, je le mettrai un peu en dessous du précédent. Peut-être parce que le contenu, me surprenant moins, m’a semblé « moins abouti », ce qui ne veut pas dire que cette lecture ne vaille pas le détour. Au contraire, il y a des séries où on s’arrête dès le début et d’autres où on regrette de voir arriver la fin…. L’œuvre de sang fait partie de la seconde catégorie et je vais donc très rapidement lire le tome trois.
ÉCHOeS
Série : L’œuvre de sang (2)
Auteur : David Lecomte
Éditions : Fleur Sauvage (Août 2013)
Nombre de pages : 240
ISBN : 9782954271033
Quatrième de couverture
Mon premier traque un tueur d'enfants
Mon deuxième tend à devenir un homme
Mon troisième ne voit plus que d'un oeil
Mon tout fait écho à une autre histoire
26/04/2015 | Lien permanent
Projet Sin, de Lincoln Child
Une chronique de Jacques
Lincoln Child, auteur avec Douglas Preston plusieurs polars à suspense dans lesquels le héros est l’insolite inspecteur du FBI Aloysius Pendergast, a écrit seul ce Projet Sin dans lequel il reprend le personnage récurrent de « l’énigmologue » Jeremy Logan. Il nous embarque ici dans une enquête qui, comme souvent avec Child, frôle l’étrange et le fantastique sans toutefois y plonger franchement.
Un centre de recherches scientifiques installé dans un manoir issu du cerveau torturé d’un richissime excentrique du 19e siècle ; un chercheur en informatique qui se suicide de façon aussi inexplicable qu’épouvantable ; une pièce secrète découverte par Logan dans une aile du manoir qui cache un étrange objet ; un comportement inhabituel de quelques chercheurs dont certains semblent être atteints de dérangement mental... notre énigmologue, appelé par le directeur pour résoudre ces mystères, ne va pas tarder à tomber sur un ancien projet scientifique – le projet Sin – qui fut abandonné dans les années 1930. Une découverte qui va s’avérer pleine de dangers pour lui et qui aurait même pu créer une crise internationale gravissime s’il n’avait pas été là pour y mettre bon ordre.
Tout le jeu du roman consiste donc à suivre Jeremy Logan dans la résolution de cette énigme, une recherche qui va l’amener à se confronter avec plusieurs scientifiques de la fondation, dont certains vont l’aider et d’autres lui mettre des bâtons dans les roues.
L’écriture de l’auteur tranche par rapport à celle de nombreux de ses collègues nord-américains qui font eux aussi dans les romans d’aventure/suspense sur fond d’enquête, James Patterson étant le chef de file de ce genre. Plutôt classique, elle fait par moment penser à celle de certains anglo-saxons du siècle dernier, comme Arthur Conan Doyle ou R.L Stevenson. L’auteur prend le temps de longues descriptions quand il l’estime nécessaire, sans suivre le mode d’emploi habituel qui préconise des chapitres de trois pages au maximum avec un rebondissement à l’issue du chapitre, ce qui est très vite lassant. De plus, il ne prend pas ses lecteurs pour des demeurés qui n’ont à leur disposition que trois cents mots de vocabulaire, ce qui est plutôt agréable, et il met même un point d’honneur, quand il aborde des sujets scientifiques, à réunir une solide documentation qu’il intègre avec habileté dans son récit en partant du principe que de nombreux lecteurs sont heureux d’apprendre tout en se divertissant.
Agréable à lire, bien construit, agrémenté d’un discret suspense de bon aloi, Projet Sin devrait plaire à tous ceux qui apprécient les énigmes, les enquêtes traditionnelles et les personnages originaux. Un excellent travail, d’un bon artisan de l’écriture !
Le blog de Jacques : Lectures et chroniques
Projet Sin
Auteur : Lincoln Child
Traduction : Fabienne Gondrand
Editions Ombres Noires (Octobre 2015)
384 pages
30/11/2015 | Lien permanent | Commentaires (2)
Noir Sanctuaire, de Douglas Preston & Lincoln Child
Une chronique de Cassiopée.
Dans ce nouvel opus, on va suivre séparément ce qu’est devenu Aloysius Pendergast, Constance, dont il est le tuteur, qui veut vivre sa vie et le fidèle majordome Proctor qui part seul vers dans une nouvelle quête. Présenté ainsi, on pourrait trouver cela assez surprenant et avoir peur du manque de liens mais ce serait sans compter sur les facilités qu’ont les deux auteurs à vous entraîner dans leur sillage.
Constance, de tome en tome, prend de l’assurance, de la prestance et sa personnalité s’étoffe. Elle est toujours un peu éthérée, assez imprévisible (même beaucoup cette fois ci) mais capable de réagir à l’instinct avec une certaine forme d’intelligence. Elle va surprendre plus d’un lecteur ! Proctor, opiniâtre, est un second rôle qui tient une place prépondérante dans la vie des protagonistes, même si parfois, il s’efface pour se faire oublier. J’aurais peut-être souhaité qu’on s’attarde un peu plus avec lui. J’ai eu la désagréable impression de l’abandonner en cours de route….
Ce que va vivre Constance est très intéressant et nous faire découvrir un pan de sa personnalité qu’on ne soupçonnait pas. C’est une bonne chose car cela permet de renouveler l’approche des personnages et de continuer de s’intéresser à eux en se disant qu’ils n’ont pas fini de nous étonner. A ce propos, je me demande si les auteurs ont une ligne directrice de ce que va devenir chacun ou s’ils se laissent porter par leur imagination au fil des romans….
En tout cas, ils ont la maîtrise de leur sujet et ce nouveau récit est captivant, mettant en avant une la jeune protégée d’ Aloysius, qui se trouve ainsi au premier plan. Le style et l’écriture sont égaux à eux-mêmes : vifs, rapides, on va de ci, de là et on ne souhaite pas lâcher le bouquin, c’est bien ficelé, bien pensé, bien orchestré. De plus, la traduction est soignée avec un vocabulaire de qualité (vous connaissez le verbe faseyer vous ?) ce qui ne gâche rien, bien au contraire.
J’ai apprécié le retournement de situation (dont je ne donnerai pas de détails), bien amené et pour lequel on peut se laisser berner. Une lecture agréable et ….à quand la suite ?
NB : J’ai volontairement spoilé la quatrième de couverture qui présente la fin du tome précédent.
Noir Sanctuaire
Tome 16: Cycle Pendergast
Auteurs : Douglas Preston & Lincoln Child
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sebastian Danchin
Éditions : L’Archipel (Mai 2017)
Collection : Suspense
ISBN : 9782809822274
440 pages
Quatrième de couverture
Constance Greene se retire dans les souterrains du manoir de Pendergast, au 891 Riverside Drive, à New York, où une bien mauvaise surprise l’attend…
08/05/2017 | Lien permanent
La mer d’innocence, de Kishwar Desai
Une chronique de Jacques.
Un paradis très artificiel...
Dans son troisième roman, publié comme les deux précédents par les éditions de l’Aube, l’Indienne Kishwar Desai continue donc à réfléchir sur la condition des femmes dans son pays à travers cette nouvelle enquête policière menée par Simran Singh.
Après avoir côtoyé notre travailleuse sociale préférée pendant les 700 pages des deux premiers opus, je l’ai retrouvée avec le même plaisir que si elle avait été une vieille amie avec qui les liens s’étaient renoués après quelques mois de séparation.
Simran, la veinarde, a pris quelques vacances avec sa fille adoptive Durga dans un lieu mythique, Goa. Cet ancien paradis des hippies du monde entier est devenu aujourd’hui un lieu aussi hautement touristique que – à ce qu’il semble – dangereux. Chargée par son ami Amarjit d’enquêter sur la disparition d’une jeune britannique, Simran va en découvrir la face noire : agressions sexuelles de jeunes touristes, meurtres, disparitions, tout cela sur fond de trafic de drogue et de corruption généralisée de la société indienne, un thème récurrent chez Kishwar Desai. La drogue, qui avait à l’époque des hippies un côté bon enfant et festif, est devenue à Goa une branche lucrative de l’industrie du crime, et elle semble bien être un des moteurs de la disparition de Liza.
Si l’intrigue imaginée par Kishwar Desai est suffisamment complexe pour satisfaire les amateurs de polars en stimulant leurs petites cellules grises, il faut bien reconnaitre que pour moi l’intérêt du roman était ailleurs. En tout premier lieu dans le regard acéré qui est porté sur les différentes strates de la société indienne, avec ses conflits, ses problèmes de violence, de corruption et de sexisme. Les réflexions de Simran (et de l’auteur) sur la vie quotidienne à Goa, les rapports entre les touristes et les autochtones, ou encore ses relations parfois compliquées avec son adolescente de fille sont un deuxième aspect plaisant du livre.
Et puis, petite cerise sur un gros gâteau, Simran, jeune femme indépendante d’une quarantaine d’années, qui n’est toujours pas mariée au grand désespoir de sa mère, est toujours à la recherche de l’amour, ou en tout cas d’une relation amoureuse forte, solide. Or, elle va rencontrer sur une plage de Goa un homme, Dennis, qui lui plait et semble bien sous tous rapports. Comment va donc tourner leur relation ? Si l’intrigue policière imaginée par l’auteur devait vous lasser, si vous deviez trouver que la description des méandres, des contradictions et de la complexité de la société indienne manque de poésie, peut-être serez-vous accroché(e) par cette angoissante question !
Même si j’ai préféré les origines de l’amour, polar qui abordait (toujours avec Simran Singh) le thème des pratiques commerciales lucratives de la GPA en Inde d’une façon aussi subtile que bien documentée, je me suis plongé avec plaisir dans la lecture de ce troisième volume. Une intrigue policière complexe, un personnage toujours aussi attachant et une plongée dans un pays immense et contrasté, si différent du nôtre : voilà de quoi passer quelques heures de lecture agréables.
Jacques, lectures et chroniques
La mer d’innocence
Auteure : Kishwar Desai
Traductrice : Benoîte Dauvergne
Éditions de l’Aube (6 janvier 2015)
333 pages.
28/02/2015 | Lien permanent
Lumière morte, de Michael Connelly
Pour celles et ceux qui aiment les don quichottes du LAPD, même à la retraite.
Harry Bosch met les pendules à l’heure.
Dans sa préface de Lumière morte, Michael Connelly himself explique que les choses ont changé, que son notre détective préféré, Harry Bosch, a vieilli et se retrouve désormais à la retraite.
Pour marquer le changement, Connelly explique qu’il s’est même efforcé de changer de style narratif pour passer à la première personne et nous faire mieux partager les pensées de Harry Bosch.
Mais on a tant de plaisir à retrouver tout cela après avoir fréquenté Harry durant de longues années qu’on se demande : ah bon, c’était pas écrit comme ça avant ? Comme si on avait toujours été dans les pensées de Hiéronymus Bosch.
Alors Harry à la retraite ?
Oui, oui. Bien sûr il s’ennuie et s’étiole, faisant semblant de jouer au privé sans grande conviction.
Alors on se doute bien, ne serait-ce que pour notre plus grand plaisir, que l’ami Harry va rouvrir un de ses vieux dossier, un cold case. Un frozen case même.
Sauf que ce dossier-là, fallait surtout pas le rouvrir, Harry.
« […] – Quelles sont mes chances de jamais consulter l’ensemble du dossier ?
– Je dirais entre zéro et aucune. […]
– Ils sont montés dans mon bureau, ont ouvert mon tiroir et l’ont embarqué. Je ne reverrai plus ce dossier. Et peut-être qu’ils ne me rendront même jamais le tiroir. […]
– Et qu’est-ce qui se passera si je ne peux pas laisser tomber ? Qu’est-ce qui se passera si, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec cette affaire, des raisons personnelles, il faut absolument que je continue ?... Dis-moi, qu’est-ce qui se passe ? Elle hocha la tête d’un air agacé.
– Tu prendras des coups. Parce que ces gens-là ne rigolent pas, Harry. Trouve donc une autre affaire ou une autre manière de te débarrasser de tes démons.
– Qui sont « ces gens-là » ? »
Depuis le 11 septembre on le sait, les États-Unis n’ont plus qu’une obsession, la lutte contre le terrorisme : TMSB, Tous les Moyens Sont Bons, au point d’enterrer les autres crimes s’ils touchent de près ou de loin au terrorisme, au point de vouloir fermer la trop grande gueule de notre ami Harry s’il tente de rouvrir des dossiers bien fermés.
Heureusement, Connelly ne s’appesantit pas trop sur ce volet politique un peu convenu qui (comme dans À genoux) ne sert que de décor à un polar très noir, à l’ambiance peut-être encore plus sombre que d’habitude.
Peut-être parce que cette fois-ci il n’y a pas d’affreux barjot, de psychopathe allumé, de serial-killer monstrueux, … non, rien que de l’américain bien normal dans cette enquête qui va mêler showbiz arrogant, LAPD corrompu et FBI paranoïaque.
Avec ce qu’il faut de retournements de situation et de coups de théâtre, jusque y compris dans la vie privée du privé !
Bruno ( BRM) : les coups de Coeur de MAM et BMR
Lumière morte
Michael Connelly
Traduction : Robert Pépin
Edition : Points
385 pages
01/03/2015 | Lien permanent
Requiem des ombres, de David Ruiz Martin
Une chronique de Cassiopée
Quarante-deux ans après le décès de son frère Virgile, Donovan Lorrence choisit de revenir dans la région où se sont déroulés les faits. Il ne peut pas accepter que ce drame reste sans réponse. En effet, Virgile a disparu une nuit où ils étaient sortis tous les deux, jeunes adolescents désobéissants. À cette époque-là, Novembre 1973, à Neuchâtel, une brume épaisse et poisseuse s’était abattue sur la ville et les environs, rendant toute escapade dangereuse et de ce fait fortement déconseillée. Mais bien sûr, les ados n’en ont cure de ce genre de recommandation….
Donovan, devenu écrivain à succès, est rongé par cette disparition, d’autant plus que le corps n’a pas été retrouvé et qu’aucune explication n’a pu être donnée. Que s’est-il passé ? Remords, culpabilité, deuil impossible, il est hanté par tout ça et ne sait comment attaquer ses recherches. Ce qui est certain, et il le comprend assez vite, c’est qu’il dérange et dans ce cas, on maîtrise rarement les événements.
Il va rencontrer d’anciennes connaissances, en faire de nouvelles mais rien ne l’aide vraiment. Il se heurte aux silences, aux non-dits. Et puis il voit la mystérieuse Iris, une femme trouble et troublante qui oscille entre deux mondes. Peut-elle l’aider ? Est-elle capable de cerner ce qui lui échappe ?
Tous les personnages ont quelque chose à cacher, même Donovan ne semble pas net, il louvoie entre les uns et les autres. J’ai même eu l’impression quelques fois qu’il cherchait à les exploiter….
Dans ce récit plutôt bien équilibre, il y a un peu de surnaturel, paranormal, mais sans excès, c’est assez bien dosé. Les protagonistes sont intéressants car réellement travaillés par l’auteur. Ils ont de la consistance. L'écriture est accrocheuse. Il y a du suspense, des rebondissements. Le rythme est un peu lent au début, comme si l’évocation de la brume qui colle à la peau avait ralenti la cadence, rendant tout plus difficile, plus « couteux ». Il faut l’arrivée d’Iris pour redonner du dynamisme à l’ensemble. J’ai trouvé cela un peu dommage car peut-être que certains lecteurs auront été rebutés.
La grande force de l’auteur est dans la description, que ce soit l’atmosphère ou les faits, c’est tellement bien présenté qu’on s’y croirait et c’est pour cela que cela semble un peu long au début, il faut le temps d’installer soigneusement tout un décor pour que le lecteur soit complétement à l’intérieur, partie prenante de ce qu’il découvre.
Ce recueil nous renvoie à nos propres peurs face à la mort, face au destin, face à tout ce qui nous échappe et qu’on ne contrôle pas. De vastes questions auxquelles l’auteur nous laisse le soin de répondre…..
Éditions : Taurnada (12 mai 2022)
ISBN : 978-2372581028
380 pages
Quatrième de couverture
Hanté depuis l'enfance par la disparition de son frère, Donovan Lorrence, auteur à succès, revient sur les lieux du drame pour trouver des réponses et apaiser son âme. Aidé par une femme aux dons étranges, il tentera de ressusciter ses souvenirs. Mais déterrer le passé présente bien des dangers, car certaines blessures devraient parfois rester closes…… au risque de vous entraîner dans l'abîme, là où le remords et la honte règnent en maîtres.
06/06/2022 | Lien permanent
Je pars demain pour une destination inconnue, de Maud Tabachnik
Une chronique de Cassiopée
L’épopée de l’Exodus mis à la portée de chacun de nous.
Dans un style enrichi de nombreux dialogues et d’actions, sans cesse en mouvements, Maud Tabachnik nous permet de découvrir un pan d’histoire.
L’Exodus est un bateau qui transporta en 1947 des juifs partant d’Europe, de façon clandestine, pour la Palestine alors sous « régime britannique ». Les passagers ont lutté avec toute leur énergie et la répression anglaise a été terrible, car bien entendu les Anglais n’avaient pas le souhait de les voir arriver….
Il ne s’agit nullement d’une fresque historique ou d’un récit d’époque. Non, tout simplement une tranche de vie avec des hommes et des femmes bien vivants, combattant sous nos yeux.
Maud Tabachnik s’est bien documentée, j’en veux pour preuve des extraits de la déclaration Balfour : lettre ouverte adressée en 1917 à Lord Lionel Walter Rothschild (Ce courrier a été un premier pas vers l’idée de la possibilité d’un foyer juif en Palestine et du respect des non juifs) ou des faits datés que l’on pourrait retrouver dans des livres d’histoire.
Les protagonistes portent parfois le nom et le prénom de personnes ayant existé mais l’auteur prend le soin de préciser qu’il s’agit d’un roman et qu’elle a pris des libertés avec la vérité.
Certains puristes trouveront cela déplorable mais il faut reconnaître que cela permet à des gens qui n’avaient jamais entendu parler de ce fait, de le découvrir d’une façon simple et dans un style fluide et abordable.
Présenté comme un roman à suspense, parce qu’on y trouve un bon lot de trahisons, d’espionnages, de peurs, d’angoisses, de pertes humaines, de rebondissements, c’est aussi un roman « historique » puisqu’il « revisite » un événement de l’histoire.
L’écriture est limpide, les échanges entre les individus donnent une cadence évitant tout temps mort. On peut reprocher des caractères un peu « caricaturés » mais ce sont des êtres humains très « réels », attachants, et dont on a envie de savoir ce qu’ils deviendront (il y a d’ailleurs un épilogue).
« Quand un homme comme vous oublie son devoir au profit de son cœur et que sans trahir les siens il choisit d’être un homme, je ne vois rien à lui reprocher. »
Moi qui ne savais pas grand chose de cet épisode historique, je suis contente de l’avoir découvert sous cette forme. Je n’ai pas été lassée de trop grandes descriptions, de nombreuses dates, des longueurs rébarbatives. Le ton juste de l’auteur m’a offert une première approche et donné l’envie, à l’occasion d’une prochaine lecture, d’aller plus loin dans la compréhension de cette aventure.
Lire cet opus est difficile car, même s’il porte le nom de « roman », on sait que ce qu’on a sous les yeux a réellement existé. On lit la lutte de ces hommes et de ces femmes, on découvre la dureté de la sanction britannique et on a envie de hurler car l’Homme (avec une majuscule) qu’il soit juif ou pas, a le droit de vivre, de penser et surtout d’être heureux…..
Une autre chronique sur ce roman : celle de Paul.
Titre : Je pars demain pour une destination inconnue
Auteur : Maud Tabachnik
Éditeur : Archipoche(février 2014)
Collection : Suspense
ISBN : 9782352875796
Quatrième de couverture
Dans la nuit du 29 juin 1946, la petite colonie juive de Yagour, près d'Haïfa, est réveillée par des soldats britanniques à la recherche d'immigrés clandestins. Un officier vient saisir les armes et arrêter les récalcitrants. Opération brutale, répétée dans plusieurs kibboutz de Palestine mandataire... Quelques mois plus tard, à Lyon, Serge Menacé, fils de déportés, prend contact avec l'abbé Glasberg, fondateur de l'Amitié chrétienne venue en aide aux Juifs pendant la guerre, pour lui confier une mission délicate. Il s'agit d'obtenir du ministère de la Marine l'autorisation d'embarquer plus de 4 500 rescapés des camps à bord d'un navire affrété en port de Sète par la Haganah - l'armée juive clandestine -, avec le soutien financier d'associations américaines. Son nom : le President Warfield, bientôt rebaptisé Exodus. Destination : la Terre promise, au défi des quotas imposés par les Britanniques, qui ont fixé à 1 500 les certificats d'entrée pour l'année 1947...
12/03/2014 | Lien permanent
N'éteins pas la lumière, de Bernard Minier
Une chronique de Jacques
Quand la manipulation mentale est élevée au rang d'œuvre d'art démoniaque...
Avec ses deux premiers polars, Glacé et Le Cercle, Bernard Minier a réussi l’exploit – plutôt rare – d’agglomérer autour de lui un « cercle » de lecteurs qui ne rateraient pour rien au monde son troisième livre. C’est mon cas !
Outre la qualité de son écriture, peut-être est-ce dû au personnage de Martin Servaz, flic cultivé, brillant et fragile, qui aime la littérature, la poésie et la musique classique et a une fascination toute particulière pour Gustav Malher ; Servaz, un être certes imaginaire, mais que j’imagine bien avoir une proximité de goûts et la même vision du monde que son créateur. Vrai ou faux, cela lui donne une profondeur rarement atteinte dans la très longue liste des personnages récurrents de flics enquêteurs dans le polar français.
Dans N’éteins pas la lumière, nous retrouvons Martin Servaz dans un centre de repos et de soins pour flics dépressionnaires. Car depuis qu’il a acquis la quasi-certitude que Marianne, la femme de sa vie, est morte assassinée par Hirtmann (voir son premier roman : Glacé), il soufre d’une dépression sévère dont il a du mal à sortir... jusqu’au moment où il reçoit une invitation anonyme à se rendre dans une chambre d’un grand hôtel de la région, le lendemain. Sa curiosité sera plus forte que la dépression, et il va se trouver alors embarqué dans une enquête non officielle pour laquelle il va se passionner, et le lecteur avec lui.
Nous allons découvrir avec lui une histoire dans laquelle la manipulation mentale est élevée par son initiateur (ou initiatrice) inconnu(e) au rang d’œuvre d’art démoniaque. Il ne s’agit pas de la classique manipulation mentale des pervers narcissiques, ceux qui tentent d’assurer leur emprise psychologique sur leur conjoint(e) sans raison particulière, juste « pour le plaisir » de dominer. Là, le (ou la) coupable, qui ne sera connu(e) que vers la fin du roman, a une motivation bien précise, mais qui reste jusqu’à la fin inconnue du lecteur. Servaz va faire partie du jeu terrible et complexe qui est mis en place. Quel est le rôle qui lui est dévolu ? C’est un des enjeux de l’intrigue.
Dans la chambre 117 de l’hôtel où il va se rendre s’est suicidée un an plus tôt une jeune artiste plasticienne, Célia Jabonka. Son suicide, d’après le médecin légiste, ne fait aucun doute, mais le flic se demande tout de même si ce suicide ne cache pas autre chose. Pendant qu’il tente de comprendre ce qui s’est passé, une autre jeune femme, Christine Steinmeyer, reçoit dans sa boîte aux lettres une première lettre qui semble écrite par une jeune femme inconnue, lettre dans laquelle elle annonce son suicide prochain. Elle prévient la police un peu tard, et à partir de là, sa vie bascule, se détraque, peu à peu, puis devient un enfer. Un enfer dans lequel quelqu’un cherche à l’enfoncer... mais qui, et pourquoi ? Elle n’en a aucune idée.
Naturellement, il ne fait aucun doute pour le lecteur que ce que vit Christine est lié, d’une façon où d’une autre, à ce qu’a vécu Célia quelques mois plus tôt. Nous attendons que la jonction se fasse entre les deux évènements, et en attendant ce moment où Servaz et Christine vont se rencontrer et confronter leurs expériences respectives, nous allons découvrir plusieurs personnages clés du roman : Gérald, le fiancé de Christine, Denise, son assistante, Cordélia, stagiaire dans la station de radio dans laquelle Christine est animatrice, et surtout Léo, un célèbre spationaute français qui a été l’amant de Christine. À travers lui, nous avons un des points forts du roman, la toile de fond originale dans laquelle va se dérouler une partie de l’intrigue : les vols spatiaux, la cité de l’espace de Toulouse et l’entrainement des spationautes à la Cité des étoiles près de Moscou... Naturellement, le lecteur se demande si la solution du mystère pourrait avoir un rapport avec ces lieux magiques, excellemment décrits et bien documentés par Bernard Minier.
Il faut avouer qu’au niveau de l’intrigue et du suspense, l’auteur fait très fort ! J’ai cru trouver la clé du mystère vers la page 500 du livre, mais je me suis aperçu rapidement que l’auteur m’avait magistralement piégé. Dans les cent dernières pages du roman, les rebondissements s’enchaînent et il est impossible de lâcher le livre avant d’être arrivé au terme de l’histoire. Un terme qui annonce une suite probable, pour notre plus grand plaisir.
Un remarquable polar donc, qui inscrit davantage encore Bernard Minier parmi les grands auteurs contemporains du genre.
Jacques (lectures et chroniques)
Une autre chronique sur ce livre
N'éteins pas la lumière
Bernard Minier
Xo éditions (27 février 2014)
616 pages; 21,90 €
07/03/2014 | Lien permanent