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05/06/2012

Déjeuner sous l'herbe, de Frédérique Molay

dejeuner_sous_lherbe.jpgUne chronique de Paco.

 "Ne prenez pas le tableau-piège pour de l'art, c'est une information, une provocation."

Le roman commence par ce préambule, des propos tenus par Daniel Spoerri, un artiste plasticien suisse d'origine roumaine. En effet, l'auteur s'est inspirée d'un évènement bien réel pour déployer son intrigue, une action insolite et curieuse. En 1983, dans le parc de Montcel à Jouy-en-Josas, l'artiste Daniel Spoerri réalise une performance artistique assez folle et extravagante qui s'intitule "L'Enterrement du tableau-piège", ou encore "Déjeuner sous l'herbe". Cet homme a réuni une centaine d'amis, principalement des artistes reconnus de l'art contemporain, pour un grand banquet. Qu'est-ce qui est insolite allez-vous me dire? Au terme du repas, les tables, les couverts et les restes de nourritures sont enfouis dans une tranchée de 40 mètres et ainsi enterrés. L'artiste, en agissant de la sorte, a voulu marquer la fin d'une période artistique propre à lui; ses fameux tableaux-piège. 

En 2010, des archéologues de l'INRAP (l'institut national de recherches archéologiques préventives) mettent à jour un tronçon de 6 mètres qui correspond à deux tables et utilisent cette fouille pour étudier notamment la taphonomie contemporaine, c'est-à-dire l'étude des processus qui interviennent après la mort d'un organisme, mais aussi pour vérifier les témoignages d'époque et analyser les choix gastronomiques des artistes de l'époque. Mais voilà, la fascinante histoire de Daniel Spoerri s'arrête là; celle de Frédérique Molay, quant à elle, commence ici!

Quel bonheur de retrouver le commissaire Nico Sirsky, héros récurrent des polars de Frédérique Molay! Ce grand flic blond et yeux bleus, ce fin limier perspicace du 36, Quai des Orfèvres, que nous avons déjà pu suivre dans les romans "La 7ème femme" et "Dent pour dent", est appelé sur une scène assez inhabituelle. Direction le parc de la Villette, à Paris, un magnifique endroit marqué par la science et l'art, dont la réalisation a été confiée à l'architecte français d'origine suisse Bernard Tschumi. Se déroule dans cet antre de la science un évènement hautement médiatique; les fouilles archéologiques du fameux banquet de Samuel Cassian, le "Déjeuner sous l'herbe". Les premières fouilles de l'art moderne! Mais ce qui n'était pas vraiment prévu au programme de la journée, c'est la découverte de restes humains dans la fameuse tranchée "artistique". Les médias jubilent, la police adore ça... 

Frédérique Molay a choisi le parc de la Villette pour cette nouvelle intrigue, espace développé sur les anciens grands abattoirs, "La Cité du sang". Encore une fois, par le biais de ses personnages, l'auteur nous dit tout, nous explique avec détails et exactitude l'histoire de cet endroit aux origines marquée par le sang et la mort. Un pur régal pour moi qui ne connaît que de nom ce parc de LaVillette ponctué par ces magnifiques structures rouges, les "Folies". Une visite complète et fascinante orchestrée par l'auteur! Ces descriptions, ce côté instructif, je peux à présent prétendre que c'est une réelle marque de fabrique de Frédérique Molay. Si vous voulez ressentir l'ambiance sinistre de cet endroit à l'époque des abattoirs, regardez ce petit reportage que le commissaire Nico Sirsky découvre également lors de son enquête: le sang des bêtes, de Georges Franju. Âmes sensibles s'abstenir...  

Suite à la découverte de ce squelette, commence alors un minutieux travail d'identification; qui est-il? Que s'est-il passé? L'autopsie pourra déjà donner un début de réponse:

"Les os ont beaucoup de choses à raconter, ils sont aussi bavards qu'un cadavre, il suffit de les écouter."

Encore une fois, l'auteur nous place en première loge pour suivre ces étapes d'une précision chirurgicale, aussi précis que la Rolex Explorer II - montre suisse! - que portait la victime. Car il s'agit bien d'une victime d'une mort violente; les premiers éléments de l'enquête vont rapidement permettre aux enquêteurs d'établir que cette personne a été assassinée il y a plus de 20 ans, probablement à coups de marteau. Mais pourquoi cette présence dans les fouilles de ce célèbre banquet? Lorsque d'autres crimes crapuleux vont être découverts les jours suivants dans les alentours du parc de la Villette, les enquêteurs vont évidemment tenter de trouver un lien entre toutes ces affaires, s'il y en a vraiment un... Étrangement, toutes les victimes ont l'épaule entaillée, avec une partie emportée par l'auteur. Cette découverte macabre dans la fouille a-t-elle provoquée un déclenchement?   

Le commissaire Nico Sirsky et son équipe du 36, lors de ce début d'enquête difficile et délicate, vont réussir à établir avec certitude l'identité du malheureux et ainsi être confrontés à un premier coup de théâtre! L'enquête est réorientée et va emmener les enquêteurs dans plusieurs directions, différents milieux, notamment celui des homosexuels; une enquête qui va faire ressurgir des sentiments tels que la jalousie, la vengeance, la rivalité, l'intolérance ou encore la haine. Toutes les pistes devront être exploitée jusqu'au bout pour tenter de dénouer cette inhabituelle et funèbre énigme; même les fausses pistes, évidemment. 

Le travail de Frédérique Molay est toujours aussi précis et juste en ce qui concerne les procédures policières, les méthodes de la police scientifique ou encore les détails croustillants - si je peux m'exprimer ainsi - de l'univers de la médecine légale, l'ambiance spécifique des autopsies. Ayant moi-même participé à ce genre de pratique, je dois reconnaître que l'esprit y est relativement bien reflété, chose qui n'est pas forcément simple à transmettre avec des mots. A retenir également les nombreuses auditions, respectivement les magnifiques interrogatoires menés par la brigade. C'est subtil, adroit et encore une fois truffé de réalisme! L'auteur nous guide dans les méandres de la police, le fameux 36, Quai des Orfèvres, comme si elle en connaissait tous les recoins, - cela doit certainement être le cas -, mais aussi dans les dédales de la justice, avec ses spécificités, ses caractéristiques et surtout ses subtilités. Le code de procédure pénale semble n'avoir aucun secret pour elle. 

Les personnages sont un grand atout dans ce roman. Le commissaire Nico Sirsky en est le protagoniste principal et l'auteur nous donne l'occasion de le découvrir encore un peu plus; on appréciera son caractère humain, à l'esprit avisé et judicieux, un flic près de ses hommes et hautement respecté par sa hiérarchie. Dans cette œuvre, nous pouvons aussi apprécier notre flic sous un autre angle, une approche plus intime; un homme que l'on côtoie dans sa vie privée, tiraillé entre la douleur provoquée par la maladie de sa mère et la mélancolie que lui provoque l'intérêt pour ses origines provenant du bord de la mer Noire, l'Ukraine. Frédérique Molay, une fois n'est pas coutume, nous dévoile beaucoup de choses sur ce pays, notamment en nous accompagnant dans un Paris riche en culture, marquée par des symboles forts et splendides. Comment ne pas avoir envie de visiter cette église orthodoxe Saint-Serge, lieu de pèlerinage de notre commissaire Sirsky lors de son aventure...

La détermination du commissaire Nico Sirsky va s'avérer puissante pour résoudre cette enquête; une sorte de pari avec lui-même, ou plutôt un solide serment qu'il ne peut pas se permettre de trahir - se trahir. Un encouragement pour cet esprit déjà bien tourmentée par les problèmes de santé que subis sa mère. Tiendra-t-il cette lourde promesse? Bonne lecture dans cet univers de morts, de sang, d'intolérance et d'Art contemporain!    

 

Paco (passions romans)

Déjeuner sous l’herbe
Frédérique Molay
Fayard Noir
328 pages ; 18 €

 

 

Présentation de l'éditeur

Paris, Parc de la Villette. Alors que les caméras de télévision filment en direct des fouilles archéologiques, les pelleteuses font une horrible découverte… Un squelette humain !
Nico Sirsky, le chef de la brigade criminelle du Quai des Orfèvres, est aussitôt chargé de l’affaire. Mais le sang n’a pas fini de couler là où se dressaient jadis les abattoirs de la Villette… Et la rage meurtrière de celui qu’on surnomme déjà le « boucher » fait trembler tout Paris.
Nico s’engage alors dans une course contre la mort, où se joue aussi la survie de sa mère...

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