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07/04/2011

Entretien avec Sylvie Cohen sur son roman "Mammouth rodéo trash"

Un entretien de Sylvie Cohen avec Eric Furter sur Mammouth rodéo trash

 

Eric Furter.  Quel est pour vous le point de départ de ce livre : un cri de révolte contre l’éducation nationale ou « un dépit amoureux » ?

Sylvie Cohen.  Un cri de rage plutôt contre le système. Malgré le tourbillon de folie contagieuse qui anime Mammouth rodéo trash, c’est, je crois aussi, un hymne au métier : pour exemple, le surnommé  « Ultralucide ».

E.F.   La violence crue que vous décrivez ne semble pas pouvoir être endigué par une morale ou un valeur démocratique quelconque. Au-delà de la perte de valeur n’y a t-il pas une carence démocratique, une limite à ce qu’elle prône : l’égalité des chances, le respect des uns envers les autres... bref la religion démocratique n’est-elle pas tout simplement au bout du rouleau ?

S.C. Je n’ai pas eu pour idée de penser politique, idéologie en écrivant mon livre. C’est un roman : je ne démontre rien, je raconte une histoire en tentant d’émouvoir le lecteur. La violence semble devenir le seul repère, toutes catégories sociales confondues. Ainsi, le jeune surnommé JCE, a tout pour lui a priori : il est issu d’un milieu favorisé et pourtant…

E.F.  Les enseignants sont comme des pions sur un échiquier ; ils disparaissent dès qu’ils craquent : que deviennent-ils après ? Reviennent-ils ? Sont-ils condamnés à finir leur vie de clinique psychiatrique en clinique psychiatrique ? Peuvent-ils se défaire de l’idée d’avoir été abandonné ou trahis ?

S.C. Le lieu que je décris n’appartient pas aux zones violences, ni aux zones d’éducation prioritaire mais à la petite classe moyenne mais cela n’empêche que la violence y règne  contre l’enseignant mais aussi entre les jeunes eux-mêmes.  Les enseignants réagissent différemment : certains craquent mais d’autres tiennent bon. Ainsi une des « formatrices » après avoir voulu innover s’incline devant la hiérarchie. Ils sont surtout humiliés : tout est de leur faute. L’administration les abandonne, la famille elle-même se laisse déborder par leur enfant, ou alors autre dérive : l’enfant est considéré comme un dieu.

E.F.  Les personnes que vous décrivez représentent une catégorie de population frappée par la crise mais pas particulièrement exposée. Considérez –vous que le désarroi social annihile la notion de catégorie ou au contraire la renforce ?

S.C. Non, ce n’est pas le désarroi social mais le désarroi psychologique et le mimétisme qui provoque le dysfonctionnement. Aucun de mes personnages n’est misérable. Et même les plus défavorisés s’en sortent plutôt bien comme celui surnommé « Yeux bridés ». Max, le dit caïd, a surtout des problèmes à cause de sa structure familiale : une mère déconnectée et un père quasi inexistant.

 

E.F.  La violence est-elle la seule issue à la situation actuelle dans le monde de l’éducation ; voyez-vous une autre issue ?

S.C. La violence existe dans la société et non pas seulement dans le monde de l’éducation. C’est « du copié-collé » comme dit un de mes personnages. Il est entendu qu’il faudrait une solution dans le monde de l’éducation. Il y a de nombreuses possibilités mais je ne suis que romancière.

E.F.  Votre travail littéraire passe par une langue renouvelée : quelles ont été vos influences littéraires ou cinématographiques ?

Comme vous l’avez bien souligné dans votre critique, seuls le travail sur la langue et la structure narrative peut placer le lecteur dans ce tourbillon vertigineux, cette spirale obsédante dans lesquels les personnages s’enfoncent. Mon influence essentielle littéraire est la littérature américaine : de Faulkner, Norman Mailer, Styron, Carson Mac Cullers etc…Et plus près de notre époque, certains romans de Joyce Carol Oates, Volmann, Widerman, un ou deux de Palahniuk, Bret Easton Ellis. Pour le cinéma, David Lynch, Polanski, « Pulp fiction » de Tarantino, certains de C. Eastwood, quelques uns de Almodovar., Visconti.

E.F.  Votre roman m’a rappelé la polémique autour du livre de Thierry Jonquet Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte. N’y a t-il pas un changement idéologique de la part des écrivains dits de gauche au sujet de la grande violence en banlieue ?

S.C. J’avais bien aimé le livre de Jonquet (hélas décédé) mais il s’appuie sur une idéologie qui, effectivement, procède d’un changement de point de vue. Par ailleurs, il situe son roman dans la banlieue ce qui n’est pas mon cas. Personnellement, j’ai juste un projet littéraire : narrer une histoire poignante. S’il s’avère dans Mammouth rodéo trash qu’il y a un constat critique d’une réalité politique, sociale, ce n’est pas mon but premier. Je veux juste arriver à placer le lecteur dans l’ambiguïté et la complexité de l’univers décrit, rendre la  clameur de cette fureur obscure et impitoyable qui anime mes personnages.