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01/05/2012

Transtaïga- Les villages assoupis (tome 1), d'Ariane Gélinas

villages-assoupis-Tome1.jpgUne chronique de Richard

Un des grands plaisirs de la littérature est de découvrir un ou une nouvelle auteure. On regarde la jaquette, on lit la 4e de couverture et on commence à lire les premières lignes. On se laisse porter par les premières pages jusqu’au moment où on s’arrête et on pose un premier regard. Une première opinion se construit.


Les premiers chapitres de "Transtaïga. Les villages assoupis", je l’avoue, m’ont un peu décontenancé; l’atmosphère, le climat étrange, ces descriptions d’une terre de mon pays mais qui ne ressemble pas du tout au coin où j’habite. Ces paysages du grand Nord québécois et ses humains qui l’habitent, les véritables peuples qui vivent au froid, font en sorte que nous les Québécois du Sud, on se prend à visiter notre propre pays comme des touristes étrangers.


Puis, dans un deuxième souffle, j’ai été charmé par le style bien particulier d’Ariane Gélinas. L’auteure est capable de peindre un tableau plein de douceurs, avec toutes les nuances du spectre de la violence. Comme l’image de la jaquette, Ariane Gélinas nous dépeint un monde où la brutalité, la douceur et la spiritualité se côtoient et même s’entrechoquent au rythme des croyances et des superstitions. Regardez ce personnage sur la couverture, habillée comme une petite fille qui s’en irait faire ses dévotions à l’église mais qui tient une hache, instrument mortel au fond de ce bois clairsemé et inhospitalier.

Ce voyage initiatique, cette lente progression d’Anissa vers sa destinée, est jonchée de cadavres et de meurtres, décrits tout en douces nuances. Pour le plaisir, juste pour le plaisir d’une comparaison boiteuse et contestable, je dirais qu’Ariane Gélinas pourrait devenir une Stephen King dont la plume de corbeau a trempé dans une encre poétique.
L’histoire est relativement simple ! Anissa se rend à Combourg, un petit village fantôme dont sa grand-mère est le pasteur. Cette route du Nord du Québec, Anissa l’a parcourue dans le sens inverse quand elle avait trois ans. Sa mère avait alors quitté le village pour fuir sa grand-mère et ses pratiques religieuses très singulières. Cependant Anissa a toujours su que sa grand-mère l’attendait pour prendre sa relève, à la tête du village et perpétuer les croyances et les pratiques qui ont fait les fondations de sa communauté.

Ah oui, et n'oublions pas une donnée intriguante à souhaite: cette route qu'emprunte Anissa vers son étrangeAriane_Gelinas.jpg destin mesure réellement "666" kilomètres.

Elle entend donc cet appel et nous lecteurs, découvrons la genèse du village, grâce à un carnet écrit par la grand-mère, sorte d’héritage spirituel à l’intention de sa petite fille.
Tout au long de la route qui l’amène vers son nouveau «royaume», elle cueille cette nourriture indigeste et inhabituelle qui servira à nourrir sa terre et à renforcer les protections mystiques et sécuritaires du village.
Mais est-ce que ce sera suffisant ? Comment Anissa trouvera-t-elle cette communauté, ce village qui l’attend ? Sera-t-il conforme à l’image qu’elle s’en est faite ?
Ariane Gélinas nous livre avec ce premier tome d’une trilogie, un premier roman puissant, dérangeant et parfois même assez prenant. Sans nous donner un récit haletant avec de multiples rebondissements, elle nous trace plutôt une arantèle diabolique, avec un fil de soie qui semble fragile mais qui nous attrape et nous laisse prisonnier de son atmosphère. Ne cherchez pas l’intrigue haletante, le thriller angoissant, laissez-vous simplement emprisonner par la suavité du style de l’auteur et par son écriture en demi-teintes.
Ariane Gélinas possède cette façon de nous faire avaler des couleuvres d’horreur en les emballant dans un emballage cotonneux. Un exemple concret, pendant une scène de pêche où il se passe un événement tragique: témoin de la noyade de quelqu’un de très important pour elle, Anissa reste de glace, immobile, ne tente aucune action pour sauver cette personne. Elle pense cependant: «J’avais songé au poisson qui se débattait encore au bout de sa canne, à l’hameçon qui transperçait l’une de ses orbites.»
J’ai beaucoup aimé être toujours assis entre ces deux chaises en me disant que j’étais peut-être inconfortable mais toujours à l’aise. Et jusqu’à la fin, dans une poésie un peu morbide mais tellement belle, l’auteure nous laissera nager dans cette ambiguïté qu’elle a habilement montée. Les dernières phrases de l’avant-dernier chapitre sont d’une élégance toute délicate; on se laisse envahir par cette finale en s’abandonnant aux mots et aux images.
Un livre à lire, une auteure à découvrir !!
Avant de vous quitter, une petite anecdote pour accompagner cette chronique. J’ai rencontré Ariane Gélinas par hasard, en assistant au lancement du recueil de nouvelles de mon amie Suzanne Myre. J’ai pu, avant le début du lancement, parler avec Ariane et me rendre compte que son roman était exactement dans mes gouts de lecteur de romans noirs. Je me suis donc procuré son livre et demandé une dédicace ... pour apprendre que c’était la première fois qu’elle dédicaçait ... son premier roman. Alors, j’ai la chance d’avoir la première signature de sa carrière d’auteure. Je lui en souhaite une très longue avec beaucoup de séances de dédicaces!
Et enfin, un dernier mot sur le livre comme tel, l’objet. Je tiens à féliciter la maison d’édition Marchand de Feuilles pour la qualité physique du roman. Si la collection Lycanthrope garde cette qualité ... : une page couverture superbe, un papier et une calligraphie agréable et aussi, une découpe des coins de pages tout en rondeur !
Un très bel objet ! Félicitations aux artisans !

Quelques extraits pour terminer:

«La fumée s’élève vers le ciel, tel un serpent éthéré. J’ai envie de me mêler à lui, de devenir immatérielle pour un instant.»
«Sa beauté m’apparaît à ce moment, encore plus parfaite, comme si l’effroi magnifiait ses traits. C’est décidé: je ne manquerai pas de le supplicier moi-même. À cette idée, l’impatience me gagne.»
«je me sens devenir sentimentale. Le jeune homme me rejoint sur le tabouret voisin, un corbeau juché sur l’épaule. Les griffes de l’oiseau ont déchiqueté le haut de son complet, taché de sang autour des déchirures. Il me sourit néanmoins, mais un tic nerveux trahit son inquiétude. Il me dit ensuite:
- La route vers Combourg est pavée de signes invisibles. L’aine escortera tes pas jusque là-bas.»
«Le vent impudique s’enroule autour de mes chevilles, poursuivant son ascension sur mes cuisses et mon ventre, puis sur mes seins. Malgré moi, je songe aux étreintes d’Aurélien, en bordure de la Transtaïga. Le désir me galvanise.»
Et le dernier paragraphe du roman ... une finale ... toute en ... douceur?
Je résiste à la tentation de l’écrire.
Bonne lecture !

Richard, Polar Noir et blanc


Transtaïga
Les villages assoupis
Tome 1
Ariane Gélinas
Lycanthrope
Les éditions Marchand de feuilles
2012
152 pages

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