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26/08/2012

Cadix, ou la diagonale du fou, d'Arturo Pérez-Reverte

cadix.jpgUne chronique d'Albertine.

Roman historique, roman policier, roman maritime...Cadix ou la diagonale du fou relève de tous ces genres. Il nous révèle la vie de la société gaditane et des armées d'occupation pendant le siège des français qui isola Cadix  durant 30 mois et 20 jours sous Joseph Bonaparte. C'est à travers le parcours de vie de cinq personnages, en lien direct ou indirect, que nous pénétrons les arcanes de cette époque. Chacun d'eux est habité par une passion ou une obsession, qui les fait avancer, parfois jusqu'à en mourir. « Les passions perdent les hommes, mais elles peuvent aussi les sauver » nous dit Perez Reverte ; qu'en sera-t-il de nos héros ?

Rogelio Tizon, commissaire en quête de l'assassin de très jeunes filles lacérées à mort dans les rues de Cadix, cruel, dominateur, corrompu, manifeste une étrange sensibilité, comme une connivence avec cet assassin qui lui fait pourtant horreur. Grâce aux questions qu'il se pose et aux réflexions partagées avec son compère d'échec le professeur Barrul, nous entrons dans les découvertes mathématiques du siècle des lumières, tout en frôlant l'ésotérisme. « Trop vague, trop insaisissable, ce qu'il cherche. Ce qu'il croit chercher. Ce soupçon d'un lien secret entre les bombes et les filles assassinées est confus et peut-être injustifié. Il a beau se creuser les cervelle, il continue à n'avoir aucun indice, aucune trace réelle. Juste des tire-bouchons tordus, qui sont là comme des pressentiments ».  L'enquête suivra un rythme étrange, très lent, au hasard des bombardements qui pilonnent Cadix : « Parfois la pensée que l'assassin ne tentera plus jamais rien tourmente Tizon ; et cette idée le plonge dans une désolation où l'exaspération le dispute à la fureur. En dépit du temps qui s'est écoulé, de l'inutilité de ses efforts, du nombre des nuits de veille passées à tendre des filets qu'il relève vides au petit matin, son instinct lui répète qu'il est sur la bonne voie, que la perverse sensibilité de l'assassin coïncide en un certain sens avec la sienne, et que l'un et l'autre se croisent constamment, comme des lignes inévitables sur l'étrange carte de la ville que tous deux partagent. »

Simon Desfosseux lui, est l'artilleur français de grand talent qui bombarde la ville assiégée, et il présente également tous les symptômes de l'obsession, amoureux de son métier et de son canon (un obusier surnommé Fanfan), même s'il s'est battu vainement, pour obtenir des mortiers  ; mais que voulez-vous, l'empereur est pour les obusiers ! Sa vie d'artilleur se résume à des « poids, volumes, longueur, élévation, densité des matéiraux, résistance de l'air, effets de rotation. Ardoise et règle à calcul ».  Desfosseux jouera un rôle dans la traque de l'assassin, de connivence avec Tizon dont il reconnaît que l'intérêt recoupe le sien : l'impact de ses obus a quelque chose à voir avec les lieux où sont trouvés les corps martyrisés des jeunes filles, pour une raison tout à fait mystérieuse. « Pour lui (Desfosseux) jusqu'à maintenant, ce ne sont que des points d'impact. Des objectifs atteints avec succès puisque dans six des sept cas, les bombes ont touché la ville et explosé comme prévu. Pour l'homme qu'il a devant lui en revanche (Tizon), ces marques sont autre chose : des images concrètes de sept filles mortes après avoir été atrocement torturées. »

De la ville assiégée au camp des assiégeants, passent des informations, grâce à des informateurs. Voilà un autre lien entre ces deux hommes et leurs obsessions,  assuré par Grégorio Fumagal, taxidermiste et éleveur de pigeons voyageurs, qui dresse la carte de la ville sous l'angle des impacts de bombes.« ...lignes et courbes tracées au crayon s'étendent en partant de la partie orientale comme une complexe toile d'araignée conique sur le tracé urbain de Cadix. C'est le fruit d'un an de travail risqué et minutieux, jour après jour. D'interminables marches, calculs et observations clandestines qui lui donnent une extraordinaire valeur scientifique ».Information précieuse pour Desfosseux (destinataire de ces données par pigeon voyageur interposé), qui peut ainsi ajuster les tirs, mais aussi pour Tizon, qui cherche la carte des impacts afin de mieux comprendre les raisons de sa coïncidence avec la carte des assassinats...

En parallèle aux activités policières et guerrières de ces trois personnages, un homme et une femme, emblématiques de la vie  de la cité maritime et commerçante qu'est Cadix mènent leurs affaires comme les prédestine leur vie. Celle de Lolita Palma,  belle jeune femme d'affaire, qui affrète des bateaux pour commercer avec le monde entier – et plus particulièrement l'Amérique. Celle de Pepe Lobo, corsaire qui va jouer sa vie sur l'eau en traquant les bateaux sous pavillon ennemi (français), qu'il détrousse pour ses affréteurs. La  jeune bourgeoise intelligente, cultivée, finalement assez conventionnelle, qui se bat « comme un homme » pour faire survivre son entreprise...va défaillir devant le corsaire viril, dur au combat, mais homme de parole, lequel ne restera pas insensible au charme de la jeune femme. Mais elle saura aussi lui demander l'impossible, le péril de sa vie, et obtenir son concours. Par delà leur belle relation, celle de deux êtres que rien ne devrait rapprocher mais qui sont irrésistiblement attirés l'un par l'autre, Lolita Palma et Pepe Lobo nous ouvrent à la vie commerçante et maritime de Cadix, avec de superbes récit de navigation et de combats en mer.

Le dernier – premier?- personnage de ce récit riche, coloré, précis, est Cadix, une ville étrange, presque île, isolée par le siège français, entourée de marais,  « espace très particulier, modelé par la mer, les vents, et la structure urbaine qui les affronte et les canalise ; (…) conglomérat d'air, de silences, de sons, de température, de lumières, d'odeurs ». Cadix est l'échiquier sur lequel jouent tous les personnages humains dont nous avons parlé ; ils jouent chacun leur partie, jusqu'au bout, sans laisser place à quelque distraction que ce soit : le commissaire, la commerçante, le corsaire, le taxidermiste, l'artilleur, mais aussi l'assassin dont nous faisons connaissance à  la fin du récit et qui fait dire à Barrul : « l'obsession accompagnée de sensibilité extrême, engendre des monstres ». lequel d'entre eux ne l'est pas ?

Albertine.

Cadix, ou la diagonale du fou
Arturo pérez-reverte
Editions Le Seuil
Boll. cadre vert
765 pages
23,30 €

Présentation de l'éditeur

Cadix, 1811. Joseph Bonaparte est sur le trône d'Espagne et le pays lutte contre l'occupation des armées napoléoniennes. Mais dans la ville la plus libérale d'Europe, les batailles sont d'une autre nature. Des jeunes filles y sont brutalement assassinées à coups de fouet, à l'endroit exact où tombent les bombes françaises. Ces meurtres tracent sur la cité une carte sinistre, un échiquier sur lequel la main d'un joueur invisible semble déplacer ses pions selon les lignes de tir, la direction des vents ou de savants calculs de probabilités, scellant le destin des personnages : un policier brutal et corrompu, l'héritière d'une importante compagnie de commerce maritime, un corsaire prêt à risquer sa vie par amour, un taxidermiste misanthrope et un excentrique artilleur français. Cadix, ou la Diagonale du fou narre la fin d'une époque dans une ville énigmatique et ténébreuse sous l'apparente blancheur de ses murs et de sa lumière océane.