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08/11/2013

Hypérion victimaire, de Patrick Chamoiseau

hyperion_victimaire.jpgUne chronique de Liliba.

Dernière nuit de garde pour le commandant de police Eloi Ephraïm Evariste Pilon qui terminera ce vendredi 13 sa longue carrière. Pas fâché d’en avoir fini et de pouvoir enfin s’occuper de sa fille, de profiter de son temps libre, de lire les poètes qu’il aime… Sauf que rien ne va comme prévu et que le sort (le sort, vraiment ?) va le mettre sur le chemin d’un terrible tueur en série, LE tueur dont il a rêvé toute sa carrière en lisant des polars américains, celui qu’il aurait voulu chasser et mettre sous les barreaux. Mal barré, car pour l’instant, c’est lui qui se retrouve avec le canon de l’arme du tueur sous le nez, et qui doit l’écouter sous peine de ne pas finir la nuit.

 « Le commandant fut happé par l’idée que, dans une ironie malencontreuse du sort, il était en train de vivre ce qu’il avait ardemment désiré au fil de sa longue et monotone carrière : la rencontre avec un tueur considérable, une bête de sang demeurée inconnue des forces de police. Et c’était là, durant la merde de ce vendredi 13, ultime nuit de garde de sa longue carrière, qu’il découvrait son existence, et qu’il se retrouvait soumis au bon plaisir de ce que la Martinique avait sans doute produit de plus épouvantable ».

 Et il en a à dire, ce tueur ! Il va en effet passer la nuit à raconter sa vie, dans tous ses détails, et va de ce fait avouer tous ses crimes, car il est « un massacreur, un égorgeur de chose, un défonceur de chair, un déchireur de peaux, un briseur de vertèbres, un démanteleur de hanches, d’épaules et de cous, un écarteleur de poitrine, un dérouleur de boyaux et, parfois, en certaines circonstances, un très goulu buveur de sang », vous voilà prévenus.

 Mais il est aussi tout à fait atypique, lisant Césaire, s’essayant à la poésie ou cuisinant avec le sang de ses victimes. Psychopate ? Dingue ? Oui et non. Veut-il se faire absoudre de tous ses crimes en les décrivant par le détail ? Ou bien juste partager sa pauvre vie, faire comprendre ses motivations ? En tout cas il déroule le fil et on comprendra pourquoi il a choisi de le faire dans l’oreille du commissaire et pourquoi ces deux-là se ressemblent plus qu'il n'apparait au départ.

 Il faut ajouter que ce roman se passe à Fort-de-France, et que sans jamais y être allé, le lecteur y sera transplanté dès la première page. Les bruits, les odeurs, les cris, la crasse, la beauté, tout est mêlé et indissociable, de même que la langue extrêmement chantante du narrateur (qui s’intercale, on écoute une fois le tueur et une fois le commissaire, chacun ayant des remords et des souvenirs différents). Bien sûr la ville et le pays même ne sont pas décrits sous leur meilleur jour : violence, trafics, pauvreté, immigration, prostitution, alcool, drogue… tout part un peu à vau-l’eau dans les vapeurs du rhum. Mais quelle beauté dans la fange, quel charme dans ce monde interlope !

 Impossible de lâcher ce roman d’une ligne tant la langue de Patrick Chamoiseau est chantante et colorée, mélangeant le français au créole, nous faisant voyager, et nous apprenant en passant tout un vocabulaire local truculent aux détours d’envolées lyriques jubilatoires. C’est un délice. Et en plus un vrai polar avec une intrigue bien ficelée, des morts à la pelle, du suspense et une fin pour le moins surprenante.

 À lire !

Liliba : les lectures de Lili...

 Hypérion victimaire,
Patrick Chamoiseau  
Éditions La Branche 
février 2013 
317 pages, 15 euros.