15/07/2012
Le détective de Freud, Olivier Barde-Cabuçon
Une chronique d'Albertine.
Sexe, sueur, sang, enfants abandonnés, pédophilie... comment une histoire articulée autour de thèmes aussi violents peut-elle prendre si légère tournure, devenir si amusante galerie de portraits, nous tenir en haleine par ses rebondissements, exciter notre esprit critique ?
Par la magie de la plume d'Olivier Barde-Cabuçon, qui manie l'ironie et la tendresse pour ses personnages avec une grande maestria, campe ses petites histoires dans l'Histoire dont il restitue les tourments (ici l'histoire sociale et l'histoire de la psychanalyse), tourne et retourne les questions de transmission mais aussi d'amitié et d'identité. Tout un programme, mis en œuvre ici avec bonheur, comme il le fera ensuite pour « Casanova, ou la femme sans visage ».
Tout commence par un congrès de l'association internationale de psychanalyse, et se termine par un comité secret des doctrinaires de la psychanalyse. Entre les deux, par la volonté de Freud, se déroulera une enquête « policière » qui, peut-être, consommera le divorce d'avec Jung.
Nous sommes dans les années du début du XX° siècle à Paris, où un jeune psychanalyste, du Barrail, conduit une enquête sur la mort d'un confère, Gernereau. Aidé par Jung et un détective marxiste nommé Max Engel (sic), du Barrail va trouver sur son chemin de très belles femmes qui lui mettront la tête à l'envers : la Dame en Vert précisément, parfumée, soyeuse, catin et sublime sœur d'infortune ; Marie, patiente de Gernereau dite la Dame aux loups, qui surmontera un douloureux passé au terme de ce récit.
Lui-même, du Barrail, en l'occurrence psychanalyste et enquêteur, est au confluent de plusieurs histoires : celle du docteur Gernereau qui n'est pas seulement victime mais fils de bourreau et triste sire, la sienne propre qui est aussi une quête de changement d'identité, celle de Marie et de son enfance bouleversante, et enfin, celle des relations tumultueuses entre Freud et Jung. Ce dernier est dans ce récit un personnage central, un jeune sage bienveillant autour duquel tournent les personnages et s'élaborent les interprétations.
Le différend entre les fondateurs des deux principaux courants de la psychanalyse s'ancre sur des considérations égotistes : « tu quoque fili » s'exclamera Freud en considérant que Jung dont il voulait faire son continuateur, veut l'éliminer. Mais leur opposition se développe aussi et surtout à partir de deux visions de l'homme ; et « Entre Jung, romantique optimiste, et Freud, réaliste pessimiste, du Barrail avait choisi son camp et sa filiation ». Car notre héros est immergé dans cette querelle, ayant été choisi par Freud pour conduire une enquête, et étant soutenu par Jung pour la résoudre. Les ferments du différend sont présents tout au long du récit, non sans quelques incarnations humoristiques de concepts freudiens, tel le fétichiste, troisième patient du docteur Gernereau dont la fonction dans l'histoire est surtout de nous faire rire.
Car le récit se caractérise d'abord par la légèreté et l'humour ; il ne cesse de nous surprendre, par des ruptures dans l'action ou dans l'histoire des personnages, les apparitions inattendues, les niveaux de lecture proposés. La philosophie de cette écriture pourrait être la mise en acte d'une maxime citée par Jung : « Je ne sais pas encore où je vais, mais ne dit-on pas que l'on ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ignore où l'on va ? » : c'est dans cette disposition légère et pleine de curiosité naïve que Barde Cabuçon place ses lecteurs tout au long du récit. Les amateurs d'hédonisme charnel et spirituel seront enchantés avec ses personnages amoureux de bonne chère et belle chair tel Max Engel : il nous promène de bistrot en bistrot, pour un casse-croûte ou un café crème et succombe volontiers aux charmes tarifés de piquante prostituée. Et l'amitié qui se tisse entre ces hommes en recherche de vérité, le jeune et naïf psychanalyste enquêteur, le coquin détective et le déjà-sage Brutus, n'est pas le moindre des charmes de l'histoire ; agapê semble constituer pour l'auteur une valeur fondamentale, qui tient à distance les querelles stériles et les gonflements de l'égo. Même la Dame en Vert entre dans ce cercle si vertueux de l'amitié, pour notre plus grand plaisir.
Freud a déclenché l'enquête mais reste à distance : le récit s'ouvre et se termine par des rassemblements de psychanalystes autour de lui, ce qui le conduit à s'autoproclamer in fine avec quelques disciples, « gardien du temple sacré de la psychanalyse ». Au fait, qu'en est-il des lettres qu'il avait envoyées à la victime, et qu'il espérait récupérer grâce à du Barrail ? S'agissait-il de prises de position imprudentes qu'il aurait pu regretter de voir dévoilées ? Seul l'auteur sait. Peut-être cherche-t-il à nous dire, sans oser nous avouer, qu'il partage les vues de Michel Onfray sur Freud, vues qu'il a largement étayées sur la correspondance du Maître ?
Si vous avez déjà lu et apprécié « Casanova ou la femme sans visage » qui est édité chez Actes Sud, cherchez " Le détective de Freud » sur internet (car nos librairies ne disposent pas forcément des ouvrages de l'éditeur de Borée) ; vous vous baladerez dans une histoire agréablement invraisemblable : mais « je ne sais plus quel poète a dit : il n'y a pas de vérités, il n'y a que des histoires ».
Albertine, 14 juillet 2012
Le détective de Freud
Olivier Barde-Cabuçon
Editions de Borée
384 pages; 21,30 €
Présentation de l'éditeur
Paris, 1911. Missionné par Sigmund Freud en personne pour enquêter sur la mort mystérieuse d un confrère, le docteur du Barrail se lance dans une aventure où la vérité se cache loin en deçà des choses. Épaulé par Max Engel, un drôle de détective marxiste, et le sémillant psychiatre suisse Carl Jung, le jeune homme interroge les faits et sonde les esprits. Mais il ne peut s empêcher de soigner aussi les âmes ! Trouvera-t-il la clé de cette énigme dont trois femmes semblent être les troublantes héroïnes ? Contre toute attente, le propre passé de du Barrail refait alors surface... Entre quête d identité, suspense et histoire d amour, un roman haletant qui nous transporte dans le Paris turbulent de la Belle Époque, sur les pas des pionniers de la psychanalyse. Que cherchez-vous ? La vérité, monsieur, simplement la vérité. Elle soulage tous ceux qui la prononcent et le monde aurait moins de peine si elle revenait plus souvent. Passionné de littérature, de théâtre, d art et d histoire, Olivier Barde-Cabuçon a signé Les Adieux à l Empire, un premier roman paru en 2006 chez France-Empire. Pour écrire Le Détective de Freud, ses principales sources d inspiration ont été l uvre de Freud et les mémoires de Jung, fascinants personnages qui retrouvent vie sous la plume du romancier.
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