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21/11/2020

Entretien avec Sandrine Cohen

thumbnail_047.jpgAprès avoir lu "Rosine, une criminelle ordinaire", Cassiopée a posé des questions à l'auteur: Sandrine Cohen.

Bonjour et merci d’accepter de participer à cet entretien pour le blog « Un polar Hautetfort »

 

1) Vous êtes comédienne, réalisatrice, photographe, une vie bien remplie. Pourtant, vous venez de sortir un roman bluffant. Pourquoi l’écriture de ce récit ? Pour un nouveau défi ?

Oui, j’ai une vie bien remplie. En fait, tout est prétexte pour moi à raconter des histoires et je prends toutes les portes ouvertes que la vie m’offre.

En ce qui concerne le roman, c’est ce que j’appelle une « opportunité cachée ». Après mon premier film, Le goût du partage, j’ai écrit des séries pour la télévision trois pour être exacte, Les rescapés, une histoire de crash d’avion, Rosemonde, une histoire sur la « folie ordinaire » et donc, Un criminel ordinaire, des histoires dont Clélia, enquêtrice de personnalité est l’héroïne, elle cherche le pourquoi des crimes. J’ai eu des prix, des aides, des options, mais elles ne passaient pas la barre des diffuseurs comme on dit. C’est-à-dire que les producteurs n’arrivaient pas à les vendre. On me parlait de mon écriture romanesque, une série, c’est beaucoup d’écriture et de matière, du plaisir de lire mais que c’était trop difficile à « mettre en image ». Et puis, je voulais réaliser.

Une nuit, après un nouveau rendez-vous, où une productrice m’avait dit qu’elle voulait bien mon projet mais pas de moi en tant que réalisatrice, mon cerveau m’a réveillée à trois heures du matin et m’a littéralement dit : « Si c’est pour écrire pendant deux ans et écrire seulement, autant écrire un roman ». C’est comme ça que j’ai écrit un premier roman, un deuxième, ils ne sont aboutis ni l’un ni l’autre et enfin Rosine, une criminelle ordinaire qui est donc « l’adaptation » de la première histoire de ma série Un criminel ordinaire, la première enquête de Clélia.

J’ai découvert, avec le roman, une liberté d’écriture incroyable dont je ne me passerai plus aujourd’hui, et qui m’est finalement « naturelle ». J’ai lu énormément de romans depuis très jeune. Comme, en plus, j’ai rencontré un éditeur formidable, Jean-Louis Nogaro, des éditions du Caïman, qui publie du noir et que j’écris essentiellement du noir, je me dis que c’était certainement le « destin », mon chemin en tout cas.

 

2) Le sujet que vous avez abordé dans « Rosine, une criminelle ordinaire » n’est pas commun. Comment vous est venue l’idée de ce thème ?

Il y a deux réponses.

D’abord et c’est amusant de voir les ponts qui se créent dans ma vie, Un criminel ordinaire est né de trois documentaires que j’ai écrits et réalisés sur des « criminels ordinaires » justement : Le mystère Manuela Cano, Meurtre devant un club échangiste et Une grand-mère assassinée. À cette occasion, j’ai découvert les arcanes de la justice et du crime. En fiction, nous avons souvent affaire à des tueurs en série ou à des crimes particulièrement complexe. Dans la réalité, 85% des crimes sont des crimes dits de proximités, des faits divers, une personne « ordinaire » tue sa femme, son conjoint, sa collègue, son père, son enfant. Des crimes pulsionnels. Comme une « décharge ». Et l’infanticide vient en tête de ces crimes. Un immense tabou.

Ensuite, lorsque j’avais 9 ans, j’étais en CM1, je lisais tout ce qui me passait sous les yeux, et lors d’un atelier de peinture, l’institutrice avait mis du papier journal sur nos pupitres. Et j’étais tombée sur un article qui racontait qu’une femme avait noyé ses deux filles. Je m’en souviens très bien, l’article disait même qu’elle les avait droguées pour que ce soit plus facile. Ça m’avait profondément marquée.

Des années plus tard, c’était une évidence que cette histoire serait la première que Clélia allait résoudre.

 

3) « Juger c’est comprendre » écrivez-vous. Pensez-vous que la justice s’y prend mal dans son approche des hommes et des femmes pour qui il faut décider d’une peine (ou pas).

Pour l’un de mes documentaires, Meurtre devant un club échangiste, j’ai assisté au procès du criminel aux assises, j’ai fait un film de « justice ». À cette occasion, j’ai rencontré Pierre Denier, l’avocat général de l’affaire et il m’a dit cette phrase : « Juger c’est comprendre ». Elle a immédiatement résonné en moi.

En effet, en faisant mes documentaires, j’ai été très surprise de voir que moi, réalisatrice, je trouvais des éléments qui me semblaient devoir influencer le verdict, que la justice ne trouvait pas, que la justice ne cherchait même pas d’ailleurs, des « raisons » au crime, des éléments d’explication en tout cas.

Cette phrase a donc fait écho à une vision de la justice que j’avais « sans le savoir ». Il me semble que chercher la motivation plutôt que le mobile, comprendre ce qui a pu pousser un homme, une femme ordinaire au crime, est essentiel pour « punir » justement.

Et puis, comprendre c’est aussi la possibilité de la réparation, d’arrêter les répétitions, le « fatum ». C’est indispensable, pour trouver une vraie « réponse » au crime. Et peut-être une liberté, même en prison.

En France, il y a ce qu’on appelle la présomption d’innocence. C’est d’ailleurs une exception judiciaire, la justice anglo-saxonne est très différente, et le procès porte sur le verdict. Alors qu’en France, la partie civile doit « prouver » la culpabilité du suspect, y compris pendant le procès. Toute l’enquête et le procès sont donc tournés vers l’enquête dite matérielle, au dépend de l’enquête de personnalité, les deux enquêtes qui sont à la charge du juge d’instruction. Les enquêteurs de personnalité comme les psychiatres experts, sont sous payé. Les informations qu’il pourraient ramener n’intéresse pas beaucoup la justice. Et nous passons le plus souvent à côté de la victimologie et de la criminologie. Qui est la victime ? Qui est le criminel ? Pourquoi le crime était-il possible à ce moment-là entre ces deux personnes ? Qu’est-ce qui dans la vie du criminel a permis le passage à l’acte ?

Donc je suis de l’avis de Clélia, à mes yeux, la justice ne s’y prend pas correctement pour juger les criminels ordinaires. À quoi ça sert d’envoyer un jeune homme de 18 ans, mythomane, SDF, malade donc, en prison pour 30 ans sans possibilité de recours parce qu’il a tué sa grand-mère pour 500 euros ? Ce qui n’est évidemment pas un mobile. Ce gamin ne tuera sans aucun doute personne d’autre. Par contre, en prison, il peut apprendre à devenir un tueur. S’il ne meurt pas avant.  

4) Avez-vous rencontré un (ou une) enquêteur (trice) de personnalité avant de commencer à écrire ?

Non. Je connaissais la fonction, mais j’ai inventé mon enquêtrice de personnalité, très hors norme d’ailleurs.

5) J’ai beaucoup parcouru votre blog. Je me suis délectée des mots de la page « à propos » . Les mots ont-ils une place particulière dans votre vie ? Est-ce qu’ils vous animent ? Vous dites « tout est prétexte à écrire », que vous apporte l’écriture ?

Merci.

Oui, les mots ont une place essentielle dans ma vie.

Les mots que j’ai lus, les livres m’ont sauvé la vie quand j’étais enfant et même plus tard. Certains m’ont guidée, m’ont « faite » telle que je suis aujourd’hui.

Les mots que j’ai dits dans un cabinet d’analyse pour mettre des mots sur les maux selon la formule consacrée.

Et puis les mots que j’écris, tous, ces histoires qui me traversent et qui me rendent la vie plus douce, parfois supportable. Écrire, c’est une liberté de penser extraordinaire, une liberté d’inventer un monde meilleur, de transmettre sa vision du monde, de réparer ce qui doit être réparé en le sublimant. J’ai écrit quelque part ailleurs « On peut venir de la boue sans en charrier, faut pas charrier quand même ». L’écriture est mon oxygène, ma respiration et mon désir de lien, de partage.

Et enfin, les mots que je dis à ma fille, maintenant.

6) Combien de temps avant d’écrire le mot « fin » pour « Rosine » ? Ce livre a-t-il été douloureux à écrire ?

L’écriture de Rosine dans sa forme actuelle a pris assez peu de temps, je dirais quatre mois, ce qui ne veut pas dire grand-chose sans relativiser au temps passé, et moi, je peux écrire six ou sept heures d’affilée, je n’ai pas « un autre travail ». Plus encore six mois de relecture, corrections, travail avec mon éditeur.

Mais Rosine était en « jachère » depuis beaucoup plus longtemps, presque quatre ans, entre l’écriture de la série et celui de la trame de Rosine, une trentaine de page. Je suis scénariste à la base, j’écris toujours une « structure ».

Et donc, contrairement à ce que peut laisser penser le sujet, Rosine a été très agréable à écrire.

7) Avez-vous des « tics » d’écriture ?

Non, j’écris comme je respire. Je n’ai aucun rituel, aucune manie, ni même d’horaires. Une singularité peut-être, je n’écris pas sur un bureau, mais sur un canapé, les pieds sur ma table basse, ou dans mon lit. J’ai beaucoup de chance.

8) Pouvez-vous nous donner : un mot, une couleur, un lieu, pour parler de vous ?

Absolu.

Bleu.

La Mongolie.

9) Avez-vous un autre roman en route ?

Oui. Je termine actuellement un roman qui s’appelle Tant qu’il y a de l’amour. L’histoire d’une femme qui suite à un « attentat » personnel de trop, se suicide. Elle a quatre enfants mineurs et de quatre pères différents. Ils décident de cacher la mort de leur mère pour rester ensemble. Ça se passe pendant les attentats de Paris.

Soudain, je me dis, il y a un « truc » avec les mères.

Et puis, en arrière-plan, la trame de la prochaine enquête de Clélia est en train de naître.

10) Souhaitez-vous rajouter quelque chose ?

Merci.

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