19/02/2011
Ville noire ville blanche, de Richard Price
Voici une deuxième critique, originale et remarquablement écrite, du roman de Richard Price Ville noire ville blanche (Freedomland). Cet article a été écrit par Bernard L.
Banlieue de New York, époque contemporaine.
Dans une ambiance glauque et lourde à souhaits, chacun essaie de se débattre dans sa vie quotidienne vide de sens.
Tous sont nés dans ce trou à rats. Le ghetto pour les uns et les bicoques façon après guerre de sécession pour les autres, les plus nantis, les blancs.
Le mot d'ordre est de fermer son clapet, même si pépé et mémé ont été froidement abattus et que tout le monde connaît le salaud qui a fait ça.
Ce qui compte c'est de bouger, la dope y a pas mieux, le jaja c'est pas mal non plus, je deale, tu deales, il deale, ça passe le temps et quand on plane on ne voit pas ou moins la pourriture qu'il y a en bas.
Bien sûr Price aurait pu commencer en faisant sonner les trompettes de Jericho, hurler les sirènes de pompiers, faire cavaler tout le monde dans tous les sens, stop ! Il a choisi la difficulté, sentez moi ça les gars, ça pue pas, hein ?
T'as vu tous les mecs qu'attendent aux urgences et le toubib qui t'explique que son diplôme il ne vaut pas tripette, ici, lui il ne vient pas du New Jersey mais de Jakarta ou d'ailleurs où c'est encore plus la dèche.
Et on monte d'un cran, paf, une mère de famille, les mains en compote, agressée par un black, ça va faire mousser la mayonnaise, tu penses, faut regarder ailleurs c'est plus noble.
La cavalerie arrive, les cow-boys blancos (c'est rare un cow-boy black) , des mandats de perquise plein les poches, alors allons y gaiement, un coup d'épaule dans la porte c'est plus facile que de frapper avant d'entrer, pas besoin de s'essuyer les pieds sur le paillasson;
Un ton au-dessus encore, vas-y Richard, on te suit ! On boucle le ghetto déjà bouclé, c'est nouveau, du jamais vu, on vient de l'inventer. Mais, attendez, faut pas se méprendre on est dans notre bon droit.
Le vide j'vous dis, le vide, rien, scènes banales de la haine ordinaire, alors pourquoi se presser et, puis, tout le reste c'est ça :
La Brenda qui se renferme dans son monde avec les chansonnettes d'Ike et Tina Turner et d'autres, casque sur les oreilles, comme un refus de l'évidence ambiante. Comme si ce qui lui arrive lui passe au-dessus de la permanente ! C'est pas vrai ? Peut-être ! Joli masque.
La journaliste qui attend le Pulitzer assise sur son derrière, dictant les situations plutôt que les écrire elle même, paumée, le frangin qui l'étouffe, le flic qui la rabroue, Brenda qui la snobe, la joie, quoi !
Lorenzo, Saint-Lorenzo, ancien poivrot, madame est partie vingt-cinq fois, deux fils diamétralement opposés, qui n'en peu plus de fatigue, dodo chez maman. Son chef, le chef de son chef, le maire, le proc, que des empêcheurs de tourner en rond, café gobelet plastique à la main, cigare au bec, bref des têtes pensantes pendant que l'autre est dans la rue à se coltiner la fange quotidienne. Il y a de quoi se faire une balle à la roulette russe. Trop simple, qui s'occuperait des gamins dans la cité ?
Les pasteurs qui pasteurisent : on se laissera pas faire ! Cause toujours mon lapin.
Le comité de boy-scouts en jupons, qui a de l'expérience, champion du coucou fais moi peur. Elles gagneront le mickey du manège ces braves dames, chapeau !
L'intrigue : un fait divers de journal, du sang à la une et la page de couverture pendant trois jours, ensuite ça rentre dans les pages intérieures pour finir en entrefilet en dernière page. Mais le bazar fichu par les journaleux, lui, il reste, on en fait des T-shirts, des casquettes, merci les gars, z'êtes les bienvenus quand vous voudrez.
C'est tout, fermez le ban !
Comment pouvait-il y avoir une autre fin, un autre dénouement ? Sinon, paf, le pétard du 4 juillet en pleine figure;
Price a concocté, à mon avis, un livre magnifique, d'une puissance rare et dont la lenteur du début contribue au malaise prenant au fur et à mesure de l'avancée dans l'histoire. Il a écrit avec ses tripes, malmené qu'il devait être, mal assis. Ses dialogues sont percutants comme un uppercut au visage, un marteau piqueur de trottoir, on vibre, je vibre. Merci à lui pour cet excellent moment de lecture.
Un grand livre, un coup de cœur.
Bernard L.
Poche: 620 pages
Editeur : 10 X 18
Collection : Domaine étranger
14:13 Publié dans 02. polars anglo-saxons | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |